MULTIPLE PHOTOSTOUT CE QUI BRILLE N'EST PAS OR
Les travailleurs des banques entre mythe de l'opulence et réalité de la débrouille
Du fait de leur mise impeccable et de l’environnement dans lequel ils évoluent, les travailleurs de banque apparaissent aux yeux de beaucoup de Sénégalais comme des personnes aisées, vivant dans le luxe et pouvant s’offrir toutes les folies. "L’As" vous plonge dans l’univers de ceux qui manipulent l’argent au quotidien et vous aide à faire le distinguo entre le mythe et la réalité crue et dure qui entoure le milieu de la banque.
En classe de troisième, élève brillant, toujours parmi les cinq premiers, Amath Soumaré (nom d’emprunt), la tête farcie de rêves étoilés et de projets ambitieux, veut devenir banquier et aider ses parents à sortir de la misère. Prenant en effet comme modèle leur voisin de quartier qu’il voit rentrer du boulot à bord de sa rutilante voiture, le port altier et la démarche fière, toujours tiré à quatre épingles, et les bras chargés de paquets (cadeaux), le jeune lycéen pense que son salut viendra d’une carrière réussie de banquier à l’image de son modèle.
Son choix est vite fait. Il prend l’engagement d’assouvir son ambition. Du lycée à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Amath se donne les moyens de vivre son rêve. Il bosse dur et décroche la maîtrise en sciences économiques en 2004. Le graal, se dit le jeune diplômé qui pense enfin pouvoir dérouler son tapis de rêves. Mais la déception est énorme. Les nombreuses demandes de stage qu’il a déposées auprès de quelques établissements financiers restent infructueuses.
Après plus d’un an à se tourner les pouces, le jeune homme décide d’intégrer l’Agence temporaire pour le travail (Att), une société d’intérim qui collabore avec la plupart des banques classiques et autres établissements de micro-finance de la place. Au bout de quelques années de piges comme agent de guichet dans une grande banque étrangère établie à Dakar, Amath a mis une croix sur ses rêves d’ado. Adieu donc la vie dorée, la luxueuse villa les pieds dans l’eau, les vacances dans les plus grandes villes du monde, les cravates Hermès, les costumes "sur mesure" sortis tout droit des grandes maisons de couture…
Son salaire qui s’élève à 154 000 FCfa ne suffit même pas à couvrir ses charges familiales. Pour cet aîné de la famille qui envisageait, dans sa prime enfance, de prendre à bout de bras les siens, le réveil est brutal, la réalité dure, le destin implacable. C’est pourquoi, lorsque l’occasion d’émigrer au Canada s’est présentée à lui, Amath n’a pas hésité une seule seconde.
Des salaires de 150 000f et des décennies d’intérim
Comme Amath Soumaré, ils sont nombreux les travailleurs de banque à vivre dans la galère. Contrairement à la vision populaire qui les perçoit comme des personnes nanties, vivant dans l’opulence, pouvant dépenser sans compter et ayant des comptes bancaires bourrés, au Sénégal, les travailleurs de banques et autres établissements financiers sont de véritables "gorgorlou" et connaissent très bien le système D (être débrouillardise).
"En dehors du prestige qui entoure la profession, c’est la précarité qui prévaut dans le milieu de la banque", souffle Pape Djibril Guèye (nom d’emprunt). Aujourd’hui cadre à la Banque nationale pour le développement économique (Bnde), Guèye se rappelle l’épisode douloureux que constitue son passage à la Banque islamique du Sénégal (Bis).
A la Bis où il a fait ses premières armes à sa sortie de l’université, il trouve découvre la précarité dans toute sa hideur. Alors qu’il est directement engagé par la banque pour un stage de trois mois comme agent de guichet, celle-ci s’empresse cependant de le confier à la société d’intérim Att qui, à son tour, le reverse à l’établissement bancaire. "C’était la précarité totale. Je suis resté intérimaire pendant trois ans.
Pour quelqu’un qui devait porter à bout de bras pratiquement tout le travail de l’entreprise, je percevais 156 000 FCfa. Chaque jour, je quittais mon domicile dans la lointaine banlieue à 6 h du matin pour être au bureau à 7 h. Je n’étais pas seul dans cette situation, nous étions trente (30) agents intérimaires, mais les responsables ne tenaient pas compte des efforts que nous déployions. Nous étions les premiers au bureau et les derniers à partir ; on se tapait tout le boulot, mais on dirait que cela ne suffisait pas. Je n’arrêtais pas de me faire entendre parce que je trouvais la situation injuste", se souvient celui qui fut tour à tour agent de guichet, gestionnaire de portefeuille à la compense et chargé de clientèle.
Cependant, il commence à reprendre espoir à l’arrivée d’une nouvelle direction qui fait la promesse de procéder au recrutement de la plupart des intérimaires. "Mais au lieu d’un recrutement, on nous a fait faire un test avec à la clé un Contrat à durée déterminée (Cdd) d’un an. Et pour vraiment corser la note, on m’a affecté dans ma ville natale en tant que chargé de clientèle ; ce qui ajoute au calvaire parce que dans notre milieu les gens sont réticents à servir dans leur ville d’origine. A la fin de l’année qui devait consacrer mon embauche, on m’a notifié la fin de mon contrat, après six bonnes années. L’expérience était vraiment douloureuse", confie notre interlocuteur qui révèle qu’en six ans d’exercice il n’a jamais bénéficié de congé, car on lui a toujours demandé d’attendre le Contrat à durée indéterminée (Cdi).
Les infortunés de la fortune
Alors qu’ils sont pris à tour de bras par les banques au service desquelles ils se retrouvent des années voire une décennie, les intérimaires n’ont droit à aucun avantage. En plus des modiques salaires qu’ils touchent, ils ne peuvent pas prétendre à un crédit, ne bénéficient pas de congé, sinon très rarement. Qui plus est, ils n’ont pas de treizième mois. "L’Etat devrait faire quelque chose parce que nous sommes constamment exploités", alerte Mlle Gningue (nom d’emprunt), employée comme agent de caisse depuis dix ans à la Cbao, avant d’ajouter avec une pointe de désolation : "c’est difficile de joindre les deux bouts, nous sommes criblés de dettes. Puisqu’on nous impose d’avoir tout le temps la mise impeccable, les gens croient que nous sommes pleins aux as, mais c’est la galère totale".
Si l’on en croit notre interlocutrice qui a rejoint la filiale du groupe financier marocain Attijariwafa bank à travers une société d’intérim, certains de ses compagnons d’infortune étaient parfois obligés de revendre leurs tickets de restauration pour avoir de quoi payer le transport. "Comme je ne suis pas un soutien de famille, mes frères qui avaient pris en charge ma formation dans une prestigieuse école de commerce de la place m’en voulaient énormément de me faire exploiter par la banque et l’agence d’intérim. Je sais qu’ils ont raison d’être en colère parce que le salaire que je gagne est nettement inférieur à la mensualité scolaire que je payais lors de ma formation ", soutient Mlle Gningue qui indique que certains de ses collègues en sont à leur quinzième année d’intérim.
C’est pourquoi Saliou Diagne (nom d’emprunt), chef d’agence de la Banque of Africa (Boa) à l’intérieur du pays, invite les Sénégalais à démythifier le métier de banquier. "Nous sommes comme le jeune instituteur, le journaliste, l’infirmier, bref comme tous ces gorgorlou qui, vers le 15 du mois, sont obligés de solliciter le boutiquier du coin pour s’en sortir. Nous n’avons qu’un salaire moyen", explique ce titulaire d’un master en monnaie-banque-finances dont le salaire est compris entre 350 000F et 500 000F et qui a intégré le secteur de la banque par le plus grand des hasards.
D’autant plus qu’il ambitionnait de devenir enseignant en sciences naturelles. D’après certaines informations recueillies à la bonne source, la modicité des salaires ne doit pas être imputée à la banque. D’autant plus qu’elle paie au prix normal de la convention collective à la société d’intérim. Celle-ci prend une partie du salaire et reverse le reste à l’agent. Par conséquent, la situation profite aux sociétés d’intérim.
Quand des agents revendent leurs tickets de restauration pour se faire des sous
Comme son collègue de la Boa, ce cadre de la Bis, appelons-le Sidate, souhaite que le mythe qui entoure le travailleur de banque soit levé, même si par ailleurs il ne se plaint guère de sa situation. Pour ce chef d’agence qui rêve d’atterrir à la tête de la Direction financière d’une importante société, c’est le volet risque qui pousse les employeurs à recourir aux sociétés d’intérim.
En effet en cas de détournement par un intérimaire, l’institution bancaire s’adresse directement à l’agence d’intérim pour être rétablie dans ses droits. A charge maintenant pour celle-ci de mettre un terme au contrat de l’agent indélicat et de déclencher des poursuites judiciaires contre lui.
Cet argument est partagé par un autre haut cadre d’une banque de la place : "non seulement il y a le volet risque, mais aussi c’est une façon de tester les nouveaux agents qui n’ont pas assez d’expérience. Mais lorsqu’ils atteignent un certain niveau, les banques les intègrent".
Ramant à contre-courant de ceux qui accusent les institutions bancaires d’exploitation, notre interlocuteur soutient que les banques sont à l’image de toutes les entreprises. "Il y a des gens qui sont très bien payés en fonction de leurs responsabilités, de leur expérience et de leur apport pour la banque. Comme il y a un personnel qui, pour des raisons de manque d’expérience et de position, est moins bien payé", rectifie-t-il.
Comparé à certains services, ajoute-t-il, "le métier de la banque est une profession où les salaires sont plus ou moins corrects. Mais il existe des disparités dans la corporation. Dans la même institution, on voit des gens qui ont des niveaux de rémunération différents parce qu’ils n’ont pas les mêmes responsabilités. Et d’une banque à une autre, les salaires ne sont pas les mêmes parce qu’il y a des grilles salariales. Chaque banque a sa politique de grille salariale et de motivation de ses employés".
Selon notre interlocuteur, être agent de caisse n’est pas un métier dévalorisant puisque, dit-il, il arrive qu’on soit aussi bien payé que les cadres. "Aujourd’hui, révèle-t-il, je vois des directeurs qui ont commencé par le poste d’agent de caisse. A force d’abnégation, ils ont rampé jusqu’à atteindre des postes de direction", dit-il.
Les nouvelles banques, les plus généreuses
D’après les confidences faites par de nombreuses sources sous le sceau de l’anonymat, les dernières venues dans le Landerneau bancaire national sont celles qui paient le mieux. "Les cadres qui rejoignent les nouvelles banques ont les plus gros salaires. La plupart du temps, ce sont des personnes qui ont été débauchées ; ce qui leur permet de négocier leur salaire", souffle une source en poste à la Société générale des Banques au Sénégal (Sgbs) qui estime qu’il est fréquent de voir un chef d’agence dans une banque traditionnelle gagner dans les 650 000F.
Les seuls avantages dont bénéficient tous les personnels de banque ayant un Cdi sont le treizième mois, la couverture maladie, la gratification et la prime de restauration. La prime d’intéressement qui aidait fortement les agents à tenir le coup ne sera pas payée cette année. La Sgbs ayant fait l’objet d’un redressement fiscal de plusieurs milliards de francs Cfa et ayant provisionné des sommes importantes sur injonction de la Commission bancaire ne s’est pas retrouvée en situation excédentaire en 2014.
Un banquier d’hier à aujourd’hui - Doudou Issa Niasse, secrétaire général du SYTBEF de 1982 a 1994 : "À notre époque, même les gardiens étaient des permanents"
Cadre à la défunte Banque nationale pour le développement du Sénégal (Bnds), Doudou Issa Niasse a été porté en 1982 à la tête du Syndicat des travailleurs des banques et établissements financiers du Sénégal (Sytbefs). Aujourd’hui à la retraite, le maire socialiste de la commune de Biscuiterie se rappelle la situation des travailleurs de banque il y a vingt ans et les acquis qu’ils ont obtenus à la faveur d’un intense combat mené par le Sytbefs.
"Après notre élection comme secrétaire général du Sytbefs, nous avons décidé de nous battre pour changer les conditions de travail et d’existence du personnel. Le Syndicat regroupait les banques, les assurances, les établissements financiers, les sociétés de commerce et toutes les entreprises sociales comme l’Ipres, la Caisse de Sécurité Sociale et la Caisse de péréquation. Ce qui fait que lorsqu’on prenait une décision, cela avait un impact réel sur l’économie du pays. Nous avons fait des grèves tournantes à l’issue desquelles une convention collective des banques a été adoptée. Elle a changé fondamentalement la situation financière des travailleurs parce que les sursalaires qui étaient accordés à la tête du client et au bon vouloir du patron étaient désormais intégrés dans la grille salariale. Une prime a été constituée pour l’ensemble des diplômes. On a institué les prêts pour les travailleurs de banque. Désormais, on avait droit à 45 mois de salaire remboursable en 15 ans à un taux quasiment nul ; il représentait en quelque sorte le taux d’achat de la Bceao. Ce qui avait permis aux travailleurs d’avoir des logements. Cela donnait une situation de prestige. Nous avions 15 mois de salaires. Hormis les travailleurs du pétrole, les travailleurs de banque étaient les mieux nantis. En effet, ils bénéficiaient du prêt véhicule, du prêt meuble et ils avaient la possibilité d’avoir les avances sur salaires. A notre époque, même les gardiens étaient des permanents ; les sociétés d’intérim n’avaient pas fait leur apparition. La situation a maintenant changé", affirme Doudou Issa Niasse.
C’est à son départ de la tête du syndicat en 1994, renseigne-t-il, que le Sytbefs a connu une scission en deux groupes et le patronat en a profité pour stabiliser les salaires.
Comment font les banques pour gagner de l’argent
En tant qu’entreprises, explique une source qui travaille dans le secteur depuis plusieurs années, les banques ont des produits et des charges. Et elles cherchent à optimiser les premiers et à minimiser les deuxièmes afin de faire des bénéfices. Le premier produit de la banque, ce sont naturellement les comptes bancaires, à travers lesquels elle consent à faire des prêts et à prendre des intérêts.
Ensuite, elle possède une palette de services à vendre. Ces services sont la monétique, les cartes bancaires, le web banking, les produits, les agios sur les comptes, les intérêts sur les prêts, les crédits de trésorerie, les engagements de signature, les frais de tenue de compte etc.
C’est cet ensemble de services qui est rémunéré. Une institution comme la Sgbs dispose de trente-huit (38) produits à vendre. Lesquels produits vont des assurances aux cartes Gab en passant par les découverts, etc. En plus des services classiques de la banque, il y a des services annexes.
Il s’agit des services de transfert d’argent qui ne sont pas des opérations bancaires, mais qui sont adossés au service bancaire. On peut citer entre autres Western Union, MoneyGram, Money Express, Wari. Ces services permettent également aux banques de gagner de l’argent. A côté des particuliers (travailleurs, commerçants etc.) qui constituent le gros de sa clientèle, la banque traite également avec les sociétés, les Pme, les grandes entreprises et les professionnels.
Les établissements de micro-finance silence, on exploite !
Si dans les banques classiques beaucoup de voix s’élèvent pour déplorer les conditions de travail et la modicité des salaires, la situation est encore pire dans les structures de micro-finance. Ici, le sort que subissent les travailleurs dépasse l’entendement et est assimilable à l’esclavagisme.
Par exemple dans une agence dakaroise d’une de ses institutions où nous nous sommes rendus, les agents interrogés inspirent pitié lorsqu’ils révèlent le montant de leurs salaires. Un chef d’agence gagne 100 000 FCfa par mois, un agent de caisse perçoit 60 000F et un agent de crédit touche 50 000F.
Outre ces salaires de misère, ils sont soumis à de nombreux risques et subissent les foudres de la direction générale à la moindre erreur, qu’elle soit volontaire ou accidentelle. Il arrive en effet qu’un manquant soit noté lors de retrait de fonds et aussitôt l’agent est sommé de rembourser, même s’il n’y est pour rien.
*Tous les noms utilisés sont des noms d’emprunt.