TOUT POUR EUX, RIEN POUR LES AUTRES !
CES POTENTATS QUI CANNIBALISENT LES SYNDICATS
C’est à croire qu’ils sont inamovibles à leurs postes, qu’ils n’ont point d’adjoints désireux eux aussi d’avoir leur part du gâteau ou de sortir un peu de l’ombre, et que les congrès statutaires que leurs organisations tiennent régulièrement — ou ne tiennent pas ! — ne sont que de simples formalités, des grand’messes destinées à les reconduire éternellement.
Du moins jusqu’à la mort. Sinon, de leur vie, pas question de les déboulonner de leurs postes de secrétaires généraux, ou de présidents, de leurs syndicats de travailleurs ou d’organisations patronales. A la lecture de la liste des membres du nouveau Conseil économique, social et environnemental (CESE), bon nombre de camarades de ceux dont il est question ici, mais aussi beaucoup d’observateurs, ont dû s’écrier : « encore eux ! » En effet, c’est à croire qu’il n’y en a que pour ces excellences.
Pour ne nous en tenir qu’au monde du travail, mettant face à face les travailleurs et leurs employeurs, à l’exception notable de M. Mansour Cama, président de la CNES que son geste grandit car il a préféré s’effacer pour laisser le poste offert à son organisation à un dévoué militant du nom d’Ibou Ndiaye, tous les autres ont sauté à pieds joints sur les sièges offerts par le président de la République — et les avantages qui vont avec.
On pensait que Mody Guiro, Mademba Sock et Baïdy Agne, pour ne parler qu’eux, céderaient les strapontins offerts aux structures qu’ils dirigent à leurs proches collaborateurs. C’était mal les connaître apparemment puisqu’ils ont tous accepté de siéger au sein du nouveau « machin » créé par le président de la République pour caser avant tout quelques uns parmi les responsables de son parti, l’Alliance pour la République (APR), qui n’avaient pas encore eu leur part du gâteau de la nouvelle Alternance.
Certes, Mohamadou Lamine Fall, l’adjoint de M. Mody Guiro, le patron de la Confédération nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS), la première centrale syndicale de notre pays, fait partie des membres du CESA au titre du quota de son organisation mais, en s’effaçant, Guiro aurait permis à un autre membre du bureau confédéral que lui, de jouir enfin des bienfaits de la lutte syndicale en siégeant dans une institution prestigieuse.
Hélas, la boulimie d’honneurs et de responsabilités du successeur du Père Madia Diop, l’historique leader de la CNTS, a privé au moins un autre responsable méritant de la CNTS d’une telle joie. C’est sans doute d’autant plus injuste pour ces derniers que Mody Guiro est aussi le bienheureux président du Conseil d’administration de l’IPRES (Institution de Prévoyance Retraite du Sénégal).
Certes, son mandat à la tête de cette dernière institution a expiré et Guiro a sans doute tenu à siéger au CESE pour ne pas perdre tous ses privilèges du jour au lendemain mais enfin, quand on est le tout-puissant patron de la CNTS, ce ne sont pas les conseils d’administration où siéger qui manquent ! La Caisse de sécurité sociale par exemple où, justement, la CNTS, l’UNSAS, la centrale de M. Mademba Sock, le CNP de M. Baïdy Agne et, dans une moindre mesure, la CNES de M. Mansour Cama font la pluie et le beau temps. Et se partagent tous les postes au conseil d’administration.
Parlons de Mademba Sock, justement. Bien que retraité de la Senelec, il refuse de lâcher les rênes du SUTELEC, le Syndicat unique des Travailleurs de l’Electricité, au point d’être poussé vers la sortie par une fraction dissidente de ce syndicat. Laquelle vient de faire scission après avoir, en vain, tenté de convaincre le « camarade » Sock, en sa qualité de grand timonier, de céder enfin son fauteuil de secrétaire général du syndicat de base, à défaut de celui de la centrale.
Mademba refusant d’entendre raison et s’accrochant désespérément à son poste, ses jeunes camarades se sont rebellés. Et une grande partie d’entre eux sont allés avec M. Aliou Bâ créer une Sutelec-bis. Une des raisons de leur fronde, c’est sans doute le fait que l’honorable Mademba Sock a accaparé pour lui tous les honneurs et privilèges dévolus à l’UNSAS (Union nationale des Syndicats autonomes du Sénégal) depuis plus d’une décennie. Jugez-en : le « camarade » Ngagne Sock, en plus du CESA dans lequel il vient d’entrer, était déjà membre du défunt Conseil économique et social (avec rang de vice-président !), administrateur de l’IPRES dont il a d’ailleurs été le président du conseil d’administration.
Comme si cela ne suffisait pas, il est toujours le PCA de l’Agence sénégalaise d’Electrification rurale (ASER). Ce en plus, on l’a dit, d’être l’inamovible timonier de l’UNSAS. Autant de choses qui font que ses camarades et collaborateurs avaient espéré que, cette fois-ci au moins, il déclinerait le poste de conseiller au CESE au profit de l’un d’entre eux. C’était mal le connaître, lui qui dirige l’UNSAS depuis Mathusalem alors que la CNTS, au moins, a connu un changement de secrétaire général, le vieux Madia ayant eu la sagesse, quelques années avant sa mort, de mettre en selle son dauphin Mody Guiro et de l’accompagner quelque peu.
Mademba Sock dirige l’UNSAS depuis les années 80. Or, durant cette période, une centrale comme la CGT (Confédération générale des Travailleurs) française, a connu au moins trois secrétaires généraux que sont Louis Viannet, Bernard Thibault (qui a fait 12 ans !) et, depuis quelques mois, Thierry Lepaon. Mais pour Sock, la retraite n’est pas à l’ordre du jour…
Du côté du patronat — du moins de l’organisation la plus représentative qu’est le CNP (Conseil national du Patronat) —, on n’est apparemment pas moins sensible aux honneurs et aux postes qu’au niveau des travailleurs. Car comment expliquer, sinon, que M. Baïdy Agne, le président du CNP, déjà membre du défunt Conseil économique et social, ait encore choisi de siéger au CESE ? Et ce alors que, nous dit-on, des démarches avaient été effectuées en sa direction pour qu’il accepte de s’effacer au profit d’un vieux membre de l’association dont les affaires ont périclité et qui, depuis lors, s’investit sans relâche dans les activités du CNP.
Une chose est sûre : il n’a pas été aussi seigneurial que Aimé Sène, patron de la société de location de voitures Hertz, propriétaire d’hôtels et figure éminente de la communauté catholique nationale. Initialement choisi avec une dame, par le cardinal Théodore Adrien Sarr, pour représenter les catholiques, il a préféré laisser la dame siéger lorsque, au dernier moment, la présidence a appelé l’Archevêque pour lui dire que, finalement, un seul siège pouvait être offert à ses ouailles. Car l’autre catholique, Emile Wardini pour ne pas le nommer, siège ès qualité et non pas au nom de l’Eglise.
Encore une fois, Mansour Cama a eu la grandeur de s’effacer au profit d’un de ses collaborateurs. Et Mbagnick Diop, le président du MEDS (Mouvement des Entreprises du Sénégal) dans tout ça, nous demandera-t-on ? Eh bien lui, il bénéficie de larges circonstances atténuantes dans la mesure où c’est la première fois que son organisation bénéficie d’un quota dans une institution de la République ! Cheikh Diop, le patron de la CNTS/FC, une centrale dissidente de la centrale participationniste originelle, a lui aussi pris pour lui le poste qui revient à sa centrale. Laquelle fait l’objet d’une dissidence menée par la syndicaliste enseignante Bakhao Diongue, pestiférée par les temps qui courent car étant la sœur de Mme Aïda Diongue, la richissime responsable libérale dans le collimateur de la CREI (Cour de Répression de l’Enrichissement illicite) !
Bref, on pensait que seuls nos leaders de partis politiques s’accrochaient indéfiniment à leurs sièges — encore que Dansokho a cédé le sien au placide Maguette Thiam —, mais on avait tout faux, apparemment, puisque, dans l’univers de l’entreprise aussi, patrons des patrons et leaders syndicaux s’entendent au moins sur une chose : la nécessité de truster les postes dans les conseils d’administration et les institutions de la République. Les postes, mais aussi les honneurs, les privilèges et les immenses avantages matériels et financiers qui vont avec !