UN ANCIEN MINISTRE EN DÉFICIT DE SENS MORAL
Arrêtons l'hypocrisie : nous savons qui a fait quoi pour le bien ou le mal de l'économie sénégalaise et préférons que même un million volé ne reste impuni
Serigne Mbacké Ndiaye était, sous Abdoulaye Wade, ministre-conseiller en charge des Affaires sportives, de la Communication et porte-parole de la présidence de la République. Il nous le rappelle au terme d'un article publié dans les médias, où il réclame un pardon de la part de tous ceux qui ont joué un rôle dans la traque des biens mal acquis. Il a bien fait de rappeler ce qu'il a été, car on l'avait oublié. Cependant l'acte extravagant qui l'a rendu légendaire est encore frais dans nos esprits.
Car si aujourd'hui des anciens dignitaires du régime qu'il a servi sont en prison, il peut être fier d'en avoir eu une vision claire et exprimée à temps, dans un élan de sincérité et une intention de conjurer avec efficacité le sort qui guettait ses collègues.
N'est-ce pas extraordinaire qu'un ministre-conseiller du président de la République, en fonction, s'adresse publiquement à ses collègues et leur tient ce discours prémonitoire à l'approche d'une campagne présidentielle : «gare à vous si nous perdons ces élections, beaucoup d'entre nous iront en prison» ? Par la suite, la perte des élections survenue, les voici exposés à des peines de prison. En plein dans le mille je dirais, convaincu que ce n'est pas dû au hasard, mais à une bonne analyse de faits et événements bien pris en compte.
Comment dès lors, monsieur Ndiaye peut-il nous présenter aujourd'hui comme extraordinaire, le seul fait que Wade-fils soit jugé le même jour que la date de création du PDS, par son père. Quel mythe se prépare t-il à nous faire avaler ? Que s'est-il passé entre temps dans sa conscience ?
La lecture de son article nous le dit. Arrivée à la fin l'on reste sur sa soif, incapable d'y déceler le moindre substrat qui a pu en motiver la publication ou des arguments valables pouvant servir de fondement à la réclamation d'un pardon.
Rien qu'un sens moral déficient
La prévarication, le détournement de deniers publics, la concussion, sont des crimes que, vous Monsieur Ndiaye, ne pouvez vous permettre d'apprécier selon vos préférences, les circonstances ou la conjoncture, comme s'ils relevaient de l'éthique de chacun à tel ou tel moment et lieu donnés. Ils ne sont ni relatifs, ni contingents et relèvent non pas de l'éthique mais de la morale.
Il n'y a pas de société humaine à aucun moment de l'histoire où ces actes passent pour être quelque chose de bien. Ils sont partout bannis et interdits. Quand on les commet, on fait du mal et l'on est consécutivement à condamner. Alors quand on a été ministre de la République, il est plus recommandable de s'en tenir au soutien de ce qui est moralement bien. Faire dans l'amalgame est une forme de violence.
La société sénégalaise dont vous appelez imaginairement la réconciliation n'a pas besoin de ça et elle est loin d'être dupe. Elle est fondée sur de nobles et honnêtes gens qui se comptent en milliers et sont dans toutes les couches de la population. Parmi les politiques tout comme les simples citoyens, les militaires et civils, les fonctionnaires, les avocats, les magistrats, les anciens et nouveaux ministres, les collaborateurs des présidents. Ils le sont et personne, si ce n'est l'évidence manifeste, ne le dit. Alors arrêtons l'hypocrisie qui consiste à dire que l'on s'accorde sur la reddition des comptes et la traque de biens supposés mal acquis, mais contre qu'une quelconque personne soit "persécutée" par la justice, que la montagne a accouché d'une souris, que la traque a bloqué l'économie...
La justice sénégalaise, mature et composée de magistrats très compétents, a mieux à faire. Nous savons qui a fait quoi pour le bien ou le mal de l'économie sénégalaise et préférons que même un million volé ne reste impuni.
Pourquoi ne pas simplement laisser la justice suivre son cours et les magistrats dire le droit pour l'intérêt de notre pays ?
Je suis tellement gêné en tant que citoyen d'entendre un ancien ministre interpeller publiquement le président de la République, pour une intervention sur une affaire pendante. C'est cela qui contribue à la ridiculisation de notre démocratie et la régression de notre nation, et non la poursuite de présumés prévaricateurs dans le cadre de la loi.
La traque jouit d'une légitimité historique. Voir le mal, poursuivre les auteurs qui l'ont perpétré et les condamner, est un devoir impérieux des peuples qui remonte à l'aube des temps. Par contre être conscient qu'il y a quelque part prévarication, ne pas l'investiguer efficacement et appliquer aux auteurs éventuels la condamnation prévue, préférant à cela pardonner, fermer les yeux, n'est rien d'autre que du jésuitisme.
Par ailleurs, réduire le crime de prévarication et d'enrichissement illicite à sa seule dimension économique, le dédramatiser en se servant de slogan du genre "de 2000 milliards l'on tombe à la somme dérisoire d'une centaine de milliards", n'est rien d'autre que de l'inconscience infantile. L'impact de ce mal est davantage plus sérieux au niveau de la psychologie collective que de celui économique ou social.
La population sénégalaise ne s'est pas laissée convaincre par les politiciens de l'existence de prévarication au cœur de l'Etat comme vous le prétendez monsieur Ndiaye, elle l'a plutôt soupçonné au vu des comportements de certains hommes du pouvoir et a donné mandat aux nouvelles autorités de conduire des enquêtes et prendre toutes mesures idoines.
Il reste monsieur Serigne Ndiaye, que de votre position de partisan, de sympathisant du statuquo, parce que loyal et solidaire de vos camarades de parti jusqu'au bout, vous ne pouvez appeler le Président à faire preuve de courage. Vous ne connaissez pas cette vertu pour en faire l'éloge.
Ce que vous faites et que vous avez toujours fait, n'est autre chose que de l'outrecuidance, du culot. Vous n'avez jamais, par principe, pris vos distances par rapport à ceux qui étaient dans la forfaiture et que vous aviez en son temps indexé dans vos insinuations. Alors nous ne pouvons vous laisser continuer à nous pontifier avec autant de confusions qui ont fini de nuire votre conscience.
Le courage, est la vertu de ceux qui veulent que la vérité, la justice et le bien, triomphent au sein de la communauté, quelles que soient les circonstances.
Ibe Niang Ardo, président du mouvement citoyen «Jog Ci»