UN COMBAT DE LEADERSHIP NON DÉCLARÉ
OPPOSITION AU POUVOIR
Derrière les absences cumulées de Pape Diop, Idrissa Seck, Abdoulaye Baldé à la marche du PDS de mardi, pointe en filigrane une lutte de positionnement dont la finalité serait le contrôle du leadership d'opposition au pouvoir, estiment les universitaires Ibou Sané et Ousmane Bâ.
“L’absence avant-hier à la marche du PDS de leaders d'opposition comme Idrissa Seck, Pape Diop ou encore Abdoulaye Baldé, exprime un certain refus de se faire diriger par les libéraux''. Selon le Dr Ousmane Bâ, analyste politique, ''cette marche du Parti démocratique sénégalais constitue un test pour soupeser son poids politique et électoral, nouer des partenariats avec les autres partis qui gravitent autour de l'opposition''. Mais c'est aussi “une manière de gêner les autres partis d'opposition à savoir Rewmi, Convergence Bokk gis gis (BGG), l'Union des centristes du Sénégal (UCS) entre autres”. Or, ces partis d'opposition au régime de Macky Sall aspirent aujourd'hui à s'affirmer et à se positionner en vue de la conquête du pouvoir”.
Si la manifestation de mardi n'a pas drainé le monde escompté pour ses initiateurs, elle était une occasion pour les libéraux de s'insurger contre la cherté de la vie. Mais l'ultime credo de cette marche de protestation demeurait-elle la libération de Karim Wade ? Serait-ce la revendication de trop qui a poussé Idrissa Seck, Pape Diop et Abdoulaye Baldé à fausser compagnie à leurs anciens “frères” de partis ? “Oui”, affirme le Pr Ibou Sané pour qui ces différents leaders se disputent aujourd'hui de manière indirecte le leadership de l'opposition au pouvoir. ''Je vois très mal le président Idrissa Seck aller ensemble avec le PDS manifester pour la libération de Karim Wade'', analyse ce sociologue des universités de Saint-Louis et Dakar.
“Locomotive”
''Idrissa Seck est du genre à toujours vouloir être la locomotive qui doit tirer tout le monde. Lui son problème numéro 1, c'est d'éviter que les autres le tirent. Il est jusqu'ici cohérent dans sa démarche, il est dans une logique de conquête du pouvoir qui ne permet aucune erreur politique. Il ne sera jamais embrigadé dans un mouvement où le seul thème de contestation resterait la libération de Karim Wade'', estime-t-il. D'autant plus que, ajoute Ousmane Bâ, “participer à la marche du PDS serait une manière de se noyer et de noyer son propre parti”.
Dans un contexte national marqué par une accumulation de difficultés économiques et sociales, le PDS s'est affirmé comme le principal parti de l'opposition. Mais selon Ousmane Bâ, “la donne semble changer depuis que Idrissa Seck a quitté la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY). C'est un nouveau paramètre qui favorise une bataille de positionnement au niveau de l'opposition”. En plus d'éclaircir un peu plus le jeu politique et de déterminer les rapports de forces entre BBY et la coalition qui va fédérer l'opposition.
LE PDS EST-IL FRÉQUENTABLE ?
La marche de l’opposition PDSavant-hier mardi a cristallisé beaucoup d'attentions. Si les libéraux savourent une “victoire éclatante”, il faut constater que le défi de la mobilisation est loin d’avoir été atteint. Ce qui explique en partie les accusations de “sabotage” proférées contre le gouvernement.
Mais au-delà de la mobilisation, le PDS avait un autre front à gérer, celui des prémisses de “retrouvailles de la grande famille libérale”. Cela n'a pas marché. Car, aucun des anciens responsables du PDS comme Idrissa Seck, Pape Diop et Abdoulaye Baldé (voir par ailleurs), n’a daigné faire le déplacement. Ils ont préféré “mandater” les jeunes de leur parti. Comment expliquer ces absences ?
Pathé Mbengue, responsable des jeunes de Bokk Gis Gis, justifie l’absence de Pape Diop par des problèmes d’agenda. “Il voulait vraiment prendre part à la marche, mais il a eu un empêchement de dernière minute”, explique-t-il, sans autre précision.
“Malgré tout, nous jeunes du parti, avons tenu à répondre présent et massivement”. Pour le cas du leader de l’Union des centristes du Sénégal (Ucs), un de ses lieutenants avance des raisons de santé. “Abdoulaye Baldé est souffrant depuis trois jours. On avait pensé qu’il allait mieux, mais il n’était pas possible qu'il se déplaçât”, dit Pape Diogou, le responsables des jeunes. A ses yeux, le plus important, c’est moins la présence physique des leaders que l'acte de “dénoncer les dérives de Macky Sall”. “Si d’autres partis ont des agendas cachés, ce n’est pas notre cas”, ajoute-t-il .
Au Rewmi, c’est plutôt la politique de l’autruche. Aucun des deux responsables contactés par EnQuête, en l’occurrence Déthié Fall (cellule des cadres) et Thierno Bocoum (chargé de communication) n’a souhaité se prononcer sur la question. Par contre, d’autres responsables, sous le couvert de l’anonymat, avancent que Rewmi et le PDS étaient dans de “bonnes dispositions”.
C'est la récente sortie de Serigne Mbacké Ndiaye qui a changé la donne, disent-ils. L'ancien porte parole de Me Wade avait en effet déclaré que le “seul combat qui vaille, c’est la libération de Karim Wade.” Or, “les militants (de Rewmi) n’ont pas digéré ces propos, confient nos interlocuteurs. C’est comme si Serigne Mbacké Ndiaye exerçait un chantage sur Idrissa Seck. Or, ce dernier ne marchera jamais pour la libération de Karim Wade. Ce qui l’intéresse, ce sont les préoccupations des populations”.
“Idrissa Seck suscite la crainte au PDS”
Le chargé de la propagande du PDS, lui, ne partage pas une telle perception. Pour Farba Senghor : “Karim Wade est au coeur de nos préoccupations”, même s’il dit comprendre l’absence de ses anciens “frères” libéraux. “Nous sommes au début des pourparlers. Il y a des déchirures (internes au PDS), voire des dislocations après la défaite (d’Abdoulaye Wade). Donc, il n’est pas facile de réconcilier la famille libérale en si peu de temps, reconnaît l’ancien ministre des Transports aériens.
Cependant, il est d'avis qu'”un pas a été franchi” dès lors que le contact avec les autres ex-libéraux a été noué, ce qui permet des projections sur l'avenir, en dépit du “cas problématique” représenté par le président de Rewmi. “Idrissa Seck suscite la crainte au niveau de certains responsables du parti, avoue Farba Senghor. Il y a une hésitation des deux côtés (PDS et Rewmi)”. Qu’à cela ne tienne, le chargé de la propagande du PDS tend la main à tous ses anciens “frères” à s’unir ou périr.
“Nous n’avons pas un cadre formel comme Benno Bokk Yaakaar. Il faut qu’on définisse les règles d’une alliance en perspective des élections locales” de 2014, préconise Farba Senghor. Cet appel semble trouver un écho favorable à Bokk gis gis. Mais Pathé Mbengue dresse des conditions comme celle-ci : “Le PDS doit soutenir la candidature de Pape Diop pour la mairie de Dakar (car) il n'y a aucune figure libérale en mesure de s’opposer à Khalifa Sall.”