Un déplacement des populations en vue
Nouveau contrat minier entre l’Etat et Teranga gold operations
L’exploitation de l’or doit participer au développement socio-économique du pays. Tel n’était pas le cas, selon le Président Macky Sall. Depuis janvier dernier, l’Etat du Sénégal s’est lancé dans la renégociation des contrats miniers. Le premier accord a été trouvé avec Teranga gold opérations. Cette entreprise canadienne, qui a acquis Sabodala gold Operations (Sgo) de Mdl en fin 2010, veut reprendre les sondages, espérant trouver un gisement à exploiter. Les habitants du village aurifère craignent un déplacement. Ceci aura des conséquences sociales et culturelles. En partenariat avec l’institut Panos, Le Quotidien a tenté de cerner les contours de cette nouvelle Convention minière qui, à terme, verra les populations de Sabodala et de deux villages voisins relocalisées dans d’autres sites.
C’est un village en sursis. Sabodala risque d’être victime de la richesse de son sous-sol. L’existence d’un gisement a besoin d’être confirmée. Il est probable que les cimetières du village de Sabodala soient érigés sur une mine d’or. Cette hypothèse ne peut être vérifiée que grâce à une poursuite de l’exploration. La société Mineral deposits limited (Mdl), qui intervenait sous le label de Sabodala gold Operations (Sgo), avait été contrainte de suspendre une telle opération il y a plus de quatre ans, à cause de la tension sociale qui régnait dans la localité. En effet, la mobilisation des populations était immédiate. Elles ont imposé l’arrêt de l’exploration dans leur village.
Toutefois, pour éviter des remous, l’autorité administrative a renvoyé la société vers les populations. Le gouverneur de la région avait déjà mis en place une Commission de concertation chargée d’étudier la reprise des sondages. Les négociations courent toujours.
La société Teranga gold operations (Tgo), acquéreuse de Sgo de Mdl, depuis fin 2010, a saisi le sous-préfet de l’arrondissement éponyme pour reprendre les sondages autour du village en avril dernier. Ceci est la conséquence de la renégociation du contrat d’exploitation avec l’Etat du Sénégal. L’accord définitif liant la compagnie et le gouvernement du Sénégal a été signé le 31 mai dernier. A notre arrivée à Sabodala le lundi 27 mai dernier, le sous-préfet était à Saraya, le chef-lieu du département pour discuter de la reprise des sondages à Sabodala et environs. La compagnie opère sur 1 200 Km2 (qui englobe Sabodala) grâce à l’aide de dix permis d’explorer dont la moitié est à son nom propre.
Avec ce nouveau contrat, l’Etat du Sénégal espère empocher 200 milliards de francs d’ici 2017. Pour ce faire, il faut booster la production sur laquelle compte l’Etat du Sénégal pour engranger des recettes. Le 5 juin passé, le ministre de l’Energie et des Mines, Aly Ngouille Ndiaye, a déclaré devant l’Assemblée nationale que Tgo a produit quatre tonnes en 2011, six tonnes en 2012. Un rapport officiel publié par le quotidien Walfadjri dans son édition du 3 septembre 2009 avait révélé que «Sabodala dispose d’un potentiel de 90 tonnes d’or métal». Il faut l’exploiter.
Le hic reste que Sabodala est un village séculaire. Ses habitants sont menacés de déplacement, au même titre que ceux de Faloumbou et Dabakhoto, au cas où les sondages confirmeraient l’existence d’une mine d’or dans son sous-sol. La compagnie Tgo a simplement l’intention de procéder à des sondages au niveau de l’indice minéralier de Niakafiri. Et légalement. En effet, selon les termes de l’accord, le gouvernement du Sénégal s’est engagé «à soutenir l’exploration dans le gisement de Niakhafiri situé dans le titre minier, à travailler avec la compagnie minière pour assurer un accès total aux sites d’exploration actuellement occupés par les mineurs et les populations». Il se trouve que Niakhafiri n’est que l’ancienne appellation du village de Sabodala. «En fait, ce sont les populations de Sabodala qui sont venues s’installer à Nakhafiri, à cause d’une épidémie de fièvre jaune qui ravageait leur village», confirme Moussa Cissokho, le responsable des jeunes de Sabodala.
"Au péril de nos vies"
La psychose d’un déplacement du village de Sabodala a fini de s’installer et à juste raison. Les sondages envisagés dans les cimetières ont été perçus comme de la provocation. Sara Cissé, le chef du village de Sabodala, chef lieu de la communauté rurale éponyme, est formel : «On a entendu parler de ce projet de déplacement. A ce jour, personne n’est venu nous en parler. C’est d’ailleurs inutile, parce qu’il n’est pas question de quitter là où on a enterré nos grands parents au profit des sociétés minières quelles que soient leurs propositions alternatives ; ceci au péril de nos vies. Après notre refus des premiers sondages, j’ai été convoqué à Kédougou par le gouverneur.»
Sara Cissé tient au respect de la sacralité de certains endroits. Le village Sabodala est entouré de cinq cimetières. Il y en a un pour les enfants, un pour les grands parents de l’ancien Niakhafiri, un pour les adultes et un pour l’ancien Sabodala. Ils coexistent avec deux cimetières musulman et chrétien. Ceux-ci sont illustratifs de l’histoire du village. «Au total, il y a 12 sites sacrés», révèle le président du Conseil rural, Mady Cissokho, par ailleurs chargé de l’identification des sites dits sacrés. Le probable déplacement aura des conséquences culturelles et sociales que les populations ne sont pas prêtes à subir.
Le président des jeunes de Sabodala, Moussa Cissokho, conforte le chef du village dans ses propos : «On devra nous tuer si on veut nous déplacer d’ici. Le pire est qu’aucune promesse n’engagera les populations.» Il se trouve que, dans ce terroir riche en minerai, le respect de la parole donnée a encore un sens. La question est d’autant plus délicate que l’Etat peine à avoir l’audace d’informer les populations des véritables termes de l’accord.
Ibrahima Sory Diallo, coordonnateur de La Lumière, une Ong spécialisée dans la transparence dans l’exploitation de l’or au Sénégal oriental, insiste d’ailleurs sur la nécessité de dire toute la vérité aux populations. «Elles ne pourraient pas rester sur le site, car leurs villages sont dans le périmètre attribué à Mdl, aujourd’hui propriété de Teranga gold. Les sondages devront déterminer les réserves. Si les choses se passent comme prévu, ces trois villages seront rayés de la carte du Sénégal», s’indigne-t-il. Les autorités étatiques préfèrent encore les formules de chancellerie. «J’invite tous les acteurs à faire preuve de responsabilité. Le déplacement n’est pas encore à l’ordre du jour. On n’a fait que des sondages», renseigne le chef du service régional des mines, Lamine Sy.
Etat : obligation de protéger les investisseurs
Le ministre de l’Energie et des Mines préfère faire dans la comparaison. «En tout cas, ce ne sera pas le premier déplacement du monde de villages où il y a des ressources naturelles», a lâché Aly Ngouille Ndiaye, le mercredi 5 juin passé, en marge de la Question orale adressée au gouvernement par le député Demba Diop Sy. Ce dernier dit ne pas comprendre la très faible rentrée d’argent dans les caisses de l’Etat, malgré la forte présence des entreprises spécialisées dans l’exploitation de l’or au Sénégal et précisément dans la région de Kédougou.
Le parlementaire ne cautionne pas pour autant un quelconque déguerpissement des habitants de la zone. «Les sociétés doivent contribuer à notre bien-être au lieu d’exacerber nos problèmes. Le gouvernement ne doit pas fermer les yeux sur un déplacement des populations», insiste-t-il devant le ministre de tutelle. Aly Ngouille Ndiaye rassure le député Diop Sy que tout se fera dans la concertation : «Non seulement, il faudra indemniser les populations mais il faudra que la société respecte les standards. Là où les habitants devront être déplacés, il faudra qu’il y ait toutes les infrastructures comme cela se passe partout dans le monde.» Le ministre de préciser, cependant : «L’Etat doit protéger les investisseurs.» Autrement dit, le Sénégal doit respecter ses engagements, s’il veut percevoir la manne attendue, c’est-à-dire faire libérer tout le périmètre attribué à Tgo.
En tout état de cause, le président de la République, Macky Sall, a exprimé toute sa satisfaction par rapport au nouveau contrat minier. «Je suis extrêmement satisfait du nouveau contrat à long terme signé entre la République du Sénégal et Teranga gold, dans l’intérêt mutuel des deux parties. Cet accord va contribuer sans nul doute au développement économique et social du Sénégal, et sera particulièrement bénéfique aux populations locales et à la région de Kédougou».
Révolte ou déplacement volontaire ?
L’accord, qui liait Mdl à l’Etat du Sénégal dont certains termes sont publiés sur le site web du ministère en charge des Mines, prévoyait que les retombées financières n’allaient passer de 8 à 18 milliards de francs Cfa qu’à partir de la septième année d’exploitation, c’est-à-dire en 2016. Et le chef de l’Etat de préciser : «Le secteur minier est d’une importance capitale pour le Sénégal. Mon souhait est que cet accord avec Teranga gold contribue au renforcement du climat des investissements au Sénégal de sorte à positionner notre pays parmi les destinations privilégiées pour les investissements et toujours dans un esprit gagnant-gagnant.»
En 2009, Sgo n’a versé que 2,1 milliards de francs Cfa contre 2,6 milliards en 2010, 3 milliards en 2011 et plus de 5 milliards en 2012 au titre des redevances, soit 3% de la production. Maintenant, la compagnie a accepté de relever le taux de la redevance minière sur la production de 3 à 5% à compter du 1er janvier 2013 au titre de la contribution spéciale. Du moment que le Sénégal est actionnaire à hauteur de 10%, la société va commencer à rembourser une partie des dividendes accumulés depuis 2009.
Le mieux-être promis aux populations de Sabodala passe par leur recasement dans d’autres sites. Ce chef-lieu de communauté rurale coiffe dix villages. Il abrite le marché, le siège de la Sous-préfecture, le collège d’enseignement moyen et le poste de santé. Mais Macky Sall parle «d’esprit gagnant-gagnant» au bénéfice de toute la population sénégalaise.
Toutefois, Sabodala est presque ceinturé par des industries extractives. Les villageois risquent d’être contraints à la révolte ou au déplacement volontaire. Et pour cause, l’activité extractive soulève de la poussière. Celle-ci est un facteur de propagation des infections pulmonaires. Avec son nouveau contrat minier, Tgo peut légalement encercler les villages avec des fosses. Le Code minier ne lui impose une réhabilitation qu’après exploitation. Tgo ne cache pas ses ambitions. D’ailleurs, le nouvel accord impose à l’Etat du Sénégal un soutien au «plan de développement» de la compagnie. Comme quoi, le sort de Sabodala et de ses deux villages voisins n’est plus entre les mains de leurs habitants.