UN GOÛT DE PÉTRODOLLARS
Pour le Sénégal, l’argent de l’Arabie Saoudite passe par le Yémen
Dakar, 13 mai 2015 (AFP) - La décision du Sénégal d'envoyer 2.100 soldats en Arabie saoudite en soutien à ses opérations au Yémen s'explique surtout par les pétrodollars qu'il espère en retirer pour son développement, estiment des analystes malgré les dénégations de Dakar.
Contrairement aux trois autres pays africains concernés, le Maroc, le Soudan et l'Egypte, le Sénégal n'appartient pas à la Ligue arabe et n'a aucune expérience militaire de la région, à l'exception de l'envoi d'un contingent dans le Golfe à la suite de l'invasion du Koweït par l'Irak en 1990.
Mais, comme pour les deux premiers, un fort soupçon de "mercenariat" pèse sur son engagement, souligne l'Institute for Security Studies (ISS Africa), dans une récente analyse.
"Est-ce qu'on est parti au Mali pour des pétrodollars?", rétorque dans une déclaration à l'AFP le porte-parole du gouvernement, Oumar Youm, au sujet du contingent sénégalais de la force de l'ONU dans ce pays voisin.
Une marche mercredi à Dakar contre le déploiement sur le sol saoudien, à l'appel d'un Collectif d'organisations, a été interdite, selon les organisateurs.
"On fait jouer aux soldats sénégalais le même rôle que les tirailleurs" de la période coloniale, s'est insurgé Malick Noël Seck, membre du Collectif.
"On sent un président qui veut réussir son plan, qui a besoin d'argent qui, pour lui, n'a pas d'odeur", a renchéri Fadel Barro, un des leaders du mouvement pro-démocratie "Y'en a marre".
Le président Macky Sall est "pressé" d'obtenir des financements pour son Plan Sénégal émergent (PSE), une stratégie de développement du pays à l'horizon 2035, et "l'Arabie saoudite est un des rares endroits au monde où on peut aller et revenir avec des mallettes", affirme à l'AFP l'analyste Babacar Justin Ndiaye.
Selon les observateurs, Macky Sall, élu en 2012, mise sur le PSE, formé d'une série de projets d'infrastructures, d'agriculture, le tourisme et d'éducation, d'un montant évalué à plus de 9.685 milliards de FCFA (plus de 14,7 milliards d'euros, pour obtenir un second mandat.
"Menace sur les lieux saints"
Or, les institutions et pays occidentaux pressentis pour financer le PSE se
montrent "minutieux et tatillons : (leurs) engagements financiers n'ont rien à voir avec les décaissements", dit Babacar Justin Ndiaye.
La Banque mondiale a déploré la semaine dernière un pourcentage de décaissements pour ses projets au Sénégal nettement inférieur à celui constaté dans des pays voisins. Et le Fonds monétaire international a appelé Dakar à mieux contrôler sa masse salariale et élargir l'assiette fiscale pour financer le PSE.
Le président Sall avait évoqué en avril l'envoi de troupes lors d'un voyage en Arabie saoudite, pays figurant en bonne place sur la liste des bailleurs du PSE, selon des documents consultés par l'AFP.
Les requêtes de financement du PSE auprès de Ryad atteignent "216 millions de dollars" en 2015, selon ces documents.
En outre, la Banque islamique de développement (BID), basée en Arabie saoudite, "détient le plus gros portefeuille sur les engagements dans le PSE", avait indiqué Macky Sall en avril, sans autre précision.
Dans un message lu au Parlement le 4 mai par son ministre des Affaires étrangères Mankeur Ndiaye, le président sénégalais a justifié l'envoi de 2.100 militaires par une coopération bilatérale "d'une excellence à toute épreuve", se prévalant d'un "acte de solidarité et de reconnaissance envers un pays ami".
Ryad est un allié et un bailleur traditionnel du Sénégal, où le Fonds saoudien de développement (FSD) a financé de nombreux projets, notamment dans les routes, l'hôtellerie, la santé et l'agriculture.
Le nouvel aéroport de Dakar, financé par l'Etat et des bailleurs étrangers, parmi lesquels la BID et le FSD, dont la livraison est prévue fin 2015, est construit par le groupe saoudien Ben Laden.
Mais le président Sall a surtout insisté dans son message sur la dimension religieuse de ce soutien "pour faire face à la menace qui pèse sur l'intégrité territoriale de l'Arabie saoudite et les Lieux Saints de l'islam que le royaume abrite".
Mais, assure l'imam et député Mbaye Niang, "le wahhabisme n'a pas une forte influence au Sénégal en raison de l'islam confrérique. Et les Saoudiens ne mettent pas au premier plan le wahhabisme dans nos relations".