''UN JOUR, PARCE QUE JE CHANTAIS FAUX, IL M’A CHASSÉ DU PODIUM''
QUAND ALIOUNE KASSÉ RACONTE SON PÈRE
Il a eu une vision basée sur la perfection et la rigueur. Et sa mission, il l’a bien réussie car l’empreinte du « vieux » Ibra Kassé est là, présente dans le monde musical. Les témoignages sont tous unanimes : ce méthodique monsieur a beaucoup influencé un chanteur comme Youssou Ndour. Et quand son fils Alioune Kassé parle de cela, c’est authentique.
« Un jour, parce que je chantais apparemment faux, il m’a fait descendre du podium, en plein concert ». Ainsi a parlé Alioune Kassé en évoquant son père. Suprême humiliation ? Aujourd’hui encore, le fils musicien se souvient de cet épisode qui démontre, si besoin en est, que le vieux Ibra Kassé, tenait beaucoup à la perfection, dans le travail à accomplir.
Souvent, durant les soirées, il arrivait, souligne Guissé Pène, qu’un musicien se retrouve avec une piste fermée, quand il débordait de son champ. De son avis, Ibra Kassé, « c’était l’intransigeance et le professionnalisme ». Et c’est le constat qui revient souvent de la bouche de ceux qui l’on fréquenté.
Comme souvenir, se rappelle le fils, ses conseils sur tel ou tel autre produit sonnent, maintenant, comme une prémonition, tant il connaissait bien la musique. « Quand il disait qu’une œuvre est bonne, au début on pouvait avoir des appréhensions mais, au finish, on lui donnait raison, car le vieux avait une science infuse dans le domaine des mélodies », se souvient le fils.
Son amour pour les belles notes était tel que si une soirée était réussie, il était aux anges et était prêt à toutes les folies pour ses musiciens. En ces moments, souligne Alioune Kassé, il ressemblait à un président de club, au soir d’une victoire importante, qui se laisse emporter.
Des faveurs musicales, le vieux n’en avait pas mais ses préférences tournaient autour des sonorités cubaines avec le Tango, le Boléro, de même que la musique française.
Paris, terre des débuts
Des dates, en guise de repères, il ne semble pas être en mesure d’en fournir. En revanche, des faits, Alioune en a plein la tête pour évoquer son père. « Nous étions jeunes et très proches de notre père qui faisait à la fois office de pater et d’encadreur pour notre carrière musicale », affirme-t-il.
Un jour, en atelier à la maison, Alioune Kassé se laisse aller. Les envolées sont nombreuses et le produit est enregistré et présenté à son père. Celui-ci le trouva bon et ce fut le début du jeune dans la musique.
Cette confiance en Alioune va s’affirmer avec la reprise, par ce dernier, d’un morceau de Lionel Richie. Mais, la consécration vient de la prouesse de ce dernier, lors de son interprétation du tube la « Hija de Juan Simone ».« Ce fut le déclic », souligne notre guide.
Pour la petite histoire, le vieux Ibra Kassé, avant d’émigrer, aimait beaucoup le cyclisme. Durant ce périple français, il épousera une femme blanche et avait un café dans l’Héxagone. C’est de là-bas qu’il va chopper le virus de la musique. La légende est ainsi lancée. A son retour, il commence à acheter du matériels, afin de constituer son groupe.
En ce temps, s’offrir des instruments de musique était très difficile. Ibra Kassé, qui avait le matériel et le local, avait réussi un bon casting, qui répondait à sa conception de la musique. Mais, durant les années de gloire, « les frais de Douane lui posaient beaucoup de problèmes. Il avait même, en un moment donné, demandé une exonération aux autorités », se souvient Alioune Kassé.
De trahisons à trahisons
Dans la vie, la réussite peut avoir comme soubassement la rigueur dans le travail. C’est ce qui fait la particularité d’Ibra Kassé, qui a réussi à devenir incontournable, en ces temps, dans son domaine. Ainsi, Alioune Kassé profita de l’expertise de son père. En effet, en 1993, son morceau « liguaye diaye molaye diaye », qui dénonçait l’usage de la drogue, faisait un carton.
En suivant un documentaire sur les méfaits de la drogue dans l’émission « Envoyé Spécial » de France 2, le père Kassé avait écrit cette chanson, puis le confia à l’homonyme d’Alioune Kassé. A la disparition du vieux, le 16 juillet 1992, ce dernier, au 40ème jour après la mort du pater, remit la chanson à Alioune Kassé, qui en fit un morceau très apprécié des Sénégalais.
Un hommage au précurseur
En un moment donné, son bébé, le Star Band, se disloquait. Mais, pour Alioune Kassé, contrairement à ceux qui pensaient à une reprise en main de la famille, ce sont des musiciens qui ne cessaient de planter des dagues sur le dos du vieux, lors des soirées importantes. Un coup de poignard qui faisait de plus en plus mal. « Les jours de fêtes, des musiciens, qui étaient des maillons importants du Star Band, le laissaient en plan pour aller animer d’autres soirées. Nous avons vu comment cela lui faisait mal », a soutenu Alioune Kassé.
Et après, il devait recommencer de zéro et constituer un nouveau groupe capable de tenir le Miami. Plus tard, la famille se chargera de reprendre le groupe en main, afin d’éviter des désillusions à leur père. Au-delà de la musique, Ibra Kassé était un supporter passionné du Tigre de Fass Mbaye Guèye et un fervent Mouride. Il fut, en outre, le premier à avoir enregistré un morceau pour le passer à la radio.
Dans ce même ordre d’idées, Ibra Kassé, très lié aux enfants, avait introduit le « tama » (tambour d’aisselle) dans la musique et voulait en faire autant avec le « riti » (guitare traditionnel peulh).
A la quête d’originalité, souligne Alioune Kassé, il travaillait sans cesse à l’introduction de nouveaux instruments. Mais, lors d’un voyage à Paris pour enregistrer un disque, il se rendit compte, une fois dans une boite de nuit, que la manière dont les Européens dansaient cette musique, finis- sait par le convaincre de la nécessité de retirer la « tama » si omniprésent.
En 1996, un très grand hommage fut organisé. Tout le gratin de la musique était présent pour saluer la mémoire de cet illustre visionnaire.
Pour l’heure, la famille veut renouveler cette expérience. Aujourd’hui encore, dans le sillage d’El hadji Ndiaye alors responsable du Studio 2000 qui, en 1993, a produit l’œuvre d’Alioune Kassé, la famille demande à tous ceux qui sont passés au Miami de les épauler afin de faire de ces lieux un endroit de rencontre pour le monde musical.
NDIOUGA DIENG, ARTISTE CHANTEUR :
''Ils sont tous devenus des stars''
«Tous ceux qui sont passés entre les mains d’Ibra Kassé sont devenus des stars. L’exemple le plus parlant reste Youssou Ndour. Il a permis à tous ces élèves de cultiver l’expérience et le savoir-faire », témoigne, Ndiouga Dieng du Groupe Baobab. Selon lui, aujourd’hui, la musique que font ceux qui sont passé par cette école n’ont rien à envier aux adeptes d’autres formes de musique jouées à travers le monde.
Pour le recrutement, Ibra Kassé ciblait les artistes qui étaient pétris de talent. Ils étaient également de fortes personnalités. « Il a réussi à faire de sorte que tous ceux qui ont fait son école réussissent à perpétuer dignement son héritage », soutient Ndiouga Dieng ajoutant que, malgré le fait qu’il n’ait jamais fait partie de la Star Band, celui qui a mis en orbite le « Miami » vers les années 70, lui vouait un très grand respect. Né à Kaolack, Ibra Kassé a passé de nombreuses années en Europe. Jusqu’à sa mort en juillet 1992, il aura fortement contribué à la promotion de la musique sénégalaise. »
ALASSANE CISSÉ, JOURNALISTE CULTUREL :
''Il a introduit le « tama » dans la musique''
Alassane Cissé, coordonnateur général du réseau des journalistes culturels d’Afrique voit, en Ibra Kassé, un précurseur de la musique moderne. A l’en croire, si, aujourd’hui, la musique sénégalaise s’impose sur le plan international, c’est en grande partie dû au fondateur de la « Star Band ». « Il a introduit le « tama» (tambour d’aisselle) dans la musique ainsi que d’autres instruments modernes», avance-t-il.
Dans une époque où les gens éprouvaient des difficultés pour se départir de l’influence du colonisateur, Ibra Kassé encourageait les artistes à chanter dans les langues nationales et à promouvoir les mélodies traditionnelles. S’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est la rigueur qui faisait la particularité de l’homme.
« Il n’acceptait pas que les gens soient en retard durant les ateliers de répétition », explique Alassane Cissé. De l’avis de ce dernier, c’est cette rigueur qui a accouché aujourd’hui une musique qui continue de faire tilt.