UN LEADERSHIP POUR LA BAD
Les enjeux de l'élection de ce mois de mai 2015 sont donc élevés parce que l’institution a une plus forte stature et la personne qui la dirigera aura une influence décisive
Cristina Duarte, ministre des Finances et du Plan du Cap Vert, qui a géré notre économie au cours des dix dernières années, est, à l'image de 7 autres Africains, des hommes, concentrée sur un sujet ayant fait l'objet de peu de discussions au sein des sociétés africaines alors qu'il porte sur une élection fondamentale.
C'est le 28 mai qu'un groupe de 54 personnes, en provenance de tout le continent, et 23 autres originaires de pays non-africains se retrouveront, à Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire, pour voter. Le but assigné à ces gouverneurs, comme on les appelle, est de désigner celui ou celle qui dirigera, pendant les cinq prochaines années, la Banque africaine de développement (Bad), première institution de développement de l'Afrique.
Comme dans le passé, l’élection du président de la Bad n'est pas aisée à prédire. Mais le processus est toujours le même. Les gouvernements des États d’où sont originaires les candidats démarchent les autres pays pour obtenir leur soutien, tout ceci étant fait loin des fanfares et des lumières. Rares sont les Africains qui sont au fait ou se sentent directement concernés par la question de savoir qui va présider cette institution ayant pourtant un impact majeur sur la vie dans leurs pays. C'est néanmoins en leur nom que le scrutin se déroulera et que se dégagera le vainqueur dont les idées affecteront la qualité de la vie en Afrique.
L'une des raisons expliquant l'importance de l'élection de cette année est due au fait que la Bad, sous la férule de mon ami Donald Kabéruka, est, au fil des ans, devenue une grande partie prenante dans le développement du continent comme elle ne l'a jamais été auparavant durant ses 50 années d'existence. C'est dire que les enjeux de l'élection de ce mois de mai 2015 sont donc élevés parce que la Bad a une plus forte stature et la personne qui la dirigera aura une influence décisive. Son mandat est renouvelable une seule fois, pour un total de deux mandats de 5 ans.
L'imprévisibilité de l'élection présente se justifie par le bon calibre des différents candidats qui sont tous éminemment qualifiés et respectés au sein et au-delà du continent.
Chacun d'eux a présenté la vision qu'il (ou elle) nourrit pour la banque. C'était un des critères du processus de nomination des candidats. Chacun d'entre eux a aussi soumis un Manifeste électoral qui laisse voir que tous sont bien au fait de la situation économique, politique et sociale du continent autant que du rôle que la Bad peut jouer pour le faire aller de l'avant.
Comment alors les gouverneurs constituant le Collège électoral vont choisir un vainqueur dans ce lot ? Des calculs politiques, des considérations régionales, l'intérêt national et d'autres aspects seront pris en compte dans les choix que les représentants des États feront. Le parcours, professionnel, académique ou social, leurs caractères, leurs visions et leurs réalisations leur sont bien connus. Ils pèseront sans doute. Mais ce que les électeurs vont considérer davantage encore c'est le facteur "quoi d'autre" -les considérations tangibles et intangibles qui vont probablement décider comment les candidats agirons une fois élus. Beaucoup de pays, spécialement ceux en Afrique, ont fait connaître leur choix initial. Ils voteront pour ces candidats lors du premier tour de scrutin. Mais les présidents de la Bad ont rarement été élus pendant le premier tour. Dans les étapes suivantes, le scrutin a été toujours plus libre. C'est ici qu'entre en ligne de compte ce facteur "quoi d'autre". C'est le moment où le conclave électoral est libéré des contraintes étroites liées à des intérêts qui déterminent souvent le premier tour de vote.
Et c'est ici que je prends le risque de proposer le critère suivant à prendre en considération. Toutes choses étant égales, il serait préférable de regarder au-delà des facteurs classiques et des enjeux géopolitiques pour dénicher chez les candidats respectifs des vertus telles que l'humilité, la différence intrinsèque, la maîtrise des langues, l'accessibilité et l'empathie.
Les gouverneurs qui voteront devront calmement chercher à savoir ce qui est connu concernant les différents candidats, par exemple, en matière d'humilité. Le ou la candidat (e) a l’expérience et le profil pour répondre aux défis émergents et amener notre Banque à un autre niveau d’efficacité. Combien de langues sur celles de l'Union africaine parlent-ils couramment ? Le genre des candidats, masculin ou féminin, doit-il être considéré comme un atout ? Le ou la candidat (e) est-il (ou elle) éloquent (e) pour parler au nom de l'Afrique dans le concert global des Nations et des marchés de capitaux ? Sait-il ou sait-elle être à l'écoute ? Quelle est sa passion au service de la Bad ? Dans quelle mesure peut-on s'attendre à ce que le personnel de la Banque soit motivé par la personne qui la dirigera afin de l'aider, avec enthousiasme, à relever les défis de l'émergence économique et politique ?
A la lumière de tout ce qu'on sait des candidats, et de tout ce qui est en jeu ici, ces facteurs intangibles sont pertinents si on veut élire le ou la candidate que les temps présents exigent. Ils fourniront la vraie mesure pour connaître la personne la plus qualifiée qui pourra faire jouer à la Bad son plus important rôle au profit du continent. A savoir bâtir les fondements pour changer l'Afrique et la mettre sur une irréversible courbe de transformation. Ce candidat de son temps ne peut être pour moi que Cristina Duarte, la première et unique femme à se lancer dans la course pour diriger la Banque africaine de développement.
* Pedro Pires, Laureat du Prix de Bonne Gouvernance Mo Ibrahim, est un ancien président du Cabo Verde