Un p’tit parfum de coloniale…
À propos de la réunion des ministres des Finances de la zone Franc
Plus de cinquante ans après nos indépendances, tout va bien ! Grâce à la France, faut-il le préciser ? La France qui, un demi-siècle après envoie ses avions, ses chars et ses soldats pour nous protéger contre de dangereux terroristes islamistes. Et qui veille jalousement sur notre sécurité par le biais notamment de ses bases militaires éparpillées un peu partout dans son ex-pré carré. Et qui réduit donc nos Armées à des forces supplétives, lointaines descendantes des tirailleurs… sénégalais d’antan.
Pour donner une image — mais est-ce seulement nécessaire ? — de l’état de chosification de nos armées, qu’il suffise de lire cet extrait d’une dépêche de l’Agence France Presse datée de dimanche et rendant compte d’exercices militaires franco-ivoiriens pour préparer un bataillon logistique éburnéen à se déployer au Mali dans le cadre de la MISMA. « Les manœuvres qui ont eu pour cadre un terrain accidenté ont mis en scène des soldats ivoiriens chargés de ravitailler un contingent ami sénégalais et ghanéen. Ces soldats, attaqués par des djihadistes, font appel à la force française qui les neutralise » écrit l’AFP. Habile manière de dire que les militaires africains sont des poules mouillées ! Merci quand même de l’aveu…
Ce qui nous intéresse ici, c’est la réunion de la Zone Franc qui s’est tenue lundi et mardi à Dakar. Naturellement, les ministres des Finances des 15 pays membres y ont assisté en même temps que leur alter ego français, M. Pierre Moscovici. Ces 15 pays membres, c’est le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée-Equatoriale, le Tchad et les Comores. En chœur, les grands argentiers africains ont chanté les vertus de la Zone Franc et la pertinence de l’arrimage du CFA à l’euro par le biais, évidemment, de la France.
Parmi ces vertus, une stabilité économique et monétaire sans précédent qui aurait évité à nos pays de connaître les turbulences vécues ailleurs sur le continent. Et miracle, grâce à la Zone Franc, même des pays qui ont connu des guerres civiles comme la Côte d’Ivoire, le Congo et même le Mali connaissent des taux de croissance à faire pâlir les pays européens ! C’est bien simple d’ailleurs, grâce à l’UEMOA (pour ce qui est de la Côte d’Ivoire et du Mali tout du moins), qui est en quelque sorte l’organe politique des Etats membres de la Zone de ce côté-ci du continent, ces pays en conflit ou post-conflit s’en sont sortis presque indemnes du point de vue économique.
Un peu comme quelqu’un qui réussirait à se faufiler entre les gouttes de pluie sans se mouiller… Bref, cette zone ne recélerait que des vertus et serait, pour paraphraser le défunt historien burkinabé Joseph Ki-Zerbo, « un ilot de stabilité dans un océan de turbulences ». En sortir, équivaudrait donc à se suicider. Or, un pays comme le Ghana, en Afrique de l’Ouest, n’en fait pas partie et connaît pourtant des taux de croissants insolents. Quant à la Mauritanie, elle est sortie de la Zone France, et on ne pense pas qu’elle en soit morte pour autant…
Officiellement, il n’y aurait aucune relation de vassalité, genre coopération du cheval et du cavalier, entre la France et les Etats africains membres de la Zone Franc. Il s’agirait plutôt d’une coopération fondée sur une communauté d’intérêts. C’est bien simple, d’ailleurs : les banques centrales de la zone — BCEAO, pour l’Afrique de l’Ouest, BEAC pour l’Afrique centrale, et Banque centrale des Comores — définissent leurs politiques monétaires et économiques toutes seules comme des grandes, sans injonction de leur grande sœur, la Banque de France.
Et ce même si certains mauvais esprits africains prétendent que les dirigeants de ces institutions monétaires n’osent même pas aller au petit coin sans demander la permission de la France !
Et ce même si, aussi, les réserves de changes des pays membres de la Zone doivent obligatoirement être logées dans un compte spécial du Trésor français. Pour les garder à l’abri des brigands, sans doute… L’ancien président de la République, Me Abdoulaye Wade, avait osé demander qu’une partie de cet argent soit rapatrié pour aider à financer l’économie de nos pays. Les dirigeants de la BCEAO lui avaient volé dans les plumes et c’est juste s’ils ne l’avaient pas traité d’ « irresponsable ». Et pourtant, lors de son fameux discours de Dakar au mois de dernier, devant l’Assemblée nationale sénégalaise, le président français, M. François Hollande, a demandé qu’effectivement une partie de ces fonds logés au Trésor de son pays soit utilisée pour développer le continent. « Excellente idée » ! ont trouvé les mêmes dirigeants de la BCEAO qui avaient rabroué Wade.
Preuve supplémentaire de l’autonomie et de l’indépendance de décision de nos dirigeants dans la Zone Franc ? En 1994, c’est un simple ministre français de la Coopération — inculpé quelques mois plus tard pour corruption ! — qui avait convoqué à Dakar les 14 chefs d’Etat membres (à l’époque) pour leur annoncer la décision de la France de dévaluer de 50 % la valeur du Cfa. Aucun président africain n’avait moufté. Ils avaient tous serré la queue entre les pattes. Preuve, s’il en était besoin, que le CFA est une affaire franco-africaine qui n’intéresse que très peu — voire pas du tout — l’Union européenne.
Si un doute subsistait, il n’y a qu’à voir la réunion des ministres des Finances de la Zone Franc qui vient de se tenir à Dakar. C’est le ministre de l’Economie et des Finances français qui l’a présidée et non un quelconque commissaire européen. Quant à la réunion des experts, elle était co-présidée par un représentant de la Banque de France chargé des Relations avec le Patronat. Vous voulez encore un autre exemple ? Le voici : c’est du jour où l’ancien président ivoirien, M. Laurent Gbagbo, qui contestait la victoire électorale de son challenger, M. Alassane Dramane Ouattara, a déclaré qu’il allait battre sa propre monnaie, que son sort a été scellé. Quelques jours plus tard, des hélicoptères français bombardaient son palais jusqu’à ce qu’il brandisse le drapeau blanc. Cherchez l’erreur.
De même, pour compléter le financement de son Programme économique régional (PER) d’un montant de 2400 milliards de francs, sur lesquels elle n’a encore trouvé que 2000 milliards, l’UEMOA envisage de se tourner vers… l’Asie, les mécanismes classiques (France, Union européenne, institutions de Bretton Woods…) « ayant atteint leurs limites ».
L’Asie qui, en principe, devrait pouvoir fournir aisément les 2400 milliards de francs restants. Et pourtant, nous restons toujours solidement arrimés à la France qui, c’est l’évidence, ne peut plus faire grand’ chose financièrement pour nos pays — et qui compense cette incapacité par un interventionnisme militaire accru. Cherchons l’erreur là aussi…
A part ça, vive la Zone Franc et gloire à la France !