UN PHENOMENE QUI DEFIGURE LE PAYSAGE URBAIN
AFFICHAGE ANARCHIQUE DANS LES RUES A DAKAR
Dans son combat pour restaurer le paysage urbain, la mairie de Dakar a désencombré la voie publique. Mais un facteur pollueur reste intact : L’affichage mural.
L’occupation anarchique de la voie publique n’est pas seulement le seul phénomène qui défigure le paysage urbain de Dakar. L’affichage mural qui meuble le paysage de la capitale sénégalaise est aussi un autre phénomène malsain qui ne cesse d’accentuer la dégradation du tissu urbain. Ce phénomène, les murs des édifices de Dakar en souffrent terriblement. Parce qu’on y affiche et y écrive n’importe comment, en catimini, d’autant que la nuit reste le moment propice pour coller ces affiches. Ainsi, chercheurs d’emploi, répétiteurs et courtiers ont fini par transformer des édifices publics en «dépotoirs de demandes». Elles sont de toutes sortes. La classe politique n’est pas en reste.
Ainsi meeting, rentrées politiques ou annonces de candidature se font par affichage mural, sans respect des textes qui régissent cette pratique. Il en est de même pour les artistes et ceux qui s’activent dans l’événementiel. Il est apparu que l’endroit le mieux indiqué pour annoncer la prochaine sortie d’un nouvel album demeure sans conteste les murs. A chaque événement, un nouvel affichage mural.
A force de supporter ou de juxtaposer les affiches des manifestations (soirées dansantes, galas, kermesses, journées culturelles et même cérémonies religieuses, entre autres), elles ont fini par créer l’anarchie totale. Ces affiches sont visibles presque partout dans les rues de Dakar. A ces affiches, s’ajoutent certaines annonces parfois caricaturales faites en graffitis ou tags qui, à leur tour, contribuent également à accentuer la défiguration du paysage urbain de la capitale.
Récemment installés à Dakar, les feux rouges non épargnés
Pourtant, il existe, d’après Mamadou Lamine Diakhaté, consultant en Marketing et communication, des dispositions réglementant ce type d’annonce. Ce sont le décret 83- 275 du 14 mars 1983 et la loi 64-51 du 10 juillet 1964 qui réglementent l’affichage au Sénégal. Les nouvelles technologies aidant, la loi n° 2006604 du 4 Janvier 2007 est venue renforcer l’arsenal juridique du Sénégal en la matière. Mais, ces dispositions et règlements sont, selon les constats, foulés au pied ou méconnus par certains.
Pourtant, ces affichages devenus gratuits échappent à tout contrôle. C'est l'anarchie totale, on met les affiches sur la plupart des édifices qui ont une façade sur la voie publique. Echangeurs, Voie de dégagement nord (Vdn), murs des stades et édifices de l’avenue Cheikh Anta Diop, panneaux de signalisation et même d’orientation (…) portent tous les marques de ce type de publicité qui ne profite qu’à l’annonceur.
Et même les feux-rouges récemment installés à Dakar ne sont pas à l’abri de ce phénomène. Que l’édifice soit public ou privé! Peut importe. Et pourtant, cette insalubrité fait perdre au pays plusieurs avantages concurrentiels dans divers domaines. C’est le cas, par exemple, du tourisme.
Ainsi, lors du Conseil interministériel portant sur le tourisme tenu le 14 février dernier, les professionnels dudit secteur qui répertorient les forces et faiblesses du tourisme en ont fait cas. Dans le dossier de presse dudit conseil, il est mentionné que «l’insalubrité et la dégradation du cadre de vie» qui occasionnent «la baisse de la diversité » constituent une menace pour la promotion du tourisme dans ce pays.
Les populations pointent du doigt les politiques et les artistes
Les citoyens interrogés sur ce phénomène ont, à leur tour, décrié ce phénomène. «Ce sont les politiciens et les jeunes qui font ces affichages anarchiques. Regardez !», a confié Moustapha Mbaye le doigt pointé vers les affichages d’un mur au niveau de l’avenue Cheikh Anta Diop où il attendait le bus à l’heure de la descente. Pour cet agent de santé, «c’est le reflet même de la confusion que certains font toujours entre le bien public et celui personnel».
Embouchant la même trompette, Saliou Ndoye est convaincu que les personnes qui s’adonnent à ces genres d’affichages savent que c’est interdit par la loi. «Si les gens attendent la nuit pour faire ces types d’affichages, c’est parce qu’ils sont conscients de l’interdiction», a estimé S. Ndoye qui n’a pas manqué de solution pour freiner ce phénomène. Pour lui, la meilleure manière de freiner cette pratique c’est d’envoyer les forces de sécurité disperser toutes manifestions annoncées par des affichages illégaux.
L’armée, le Coud… montrent la voie à suivre
Au moment où la mairie de Dakar et certaines municipalités du Sénégal peinent à faire appliquer la réglementation sur l’affichage mural, l’armée et le Centre des œuvres universitaires (Coud) ont réussi à se débarrasser de ce fléau. Ces deux structures, par leur rigueur, ont montré la voie à suivre.
Réputés ordonnés et disciplinés, les militaires eux, ont réglé le problème de l’affichage à leur manière. Ainsi, tout au long du mur de l’intendance, par exemple, il est mentionné de façon visible : «Domaine militaire, prise de vues et affichages interdits». Ce qui rend leurs murs très propres. Idem pour l’Ucad où, dès sa nomination à la tête du Centre des oeuvres universitaires de Dakar (Coud), Abdoulaye Diouf Sarr s’est vite attaqué à ce phénomène. Aujourd’hui, le Coud semble réussir à se débarrasser des affichages sauvages qui polluent l’environnement de l’espace universitaire.
CHEIKH GUEYE 1ER ADJOINT AU MAIRE DE DAKAR - «IL EST IMPORTANT DE RENFORCER LES DISPOSITIONS QUI ORGANISENT L’AFFICHAGE AU NIVEAU DE DAKAR»
Du côté de la mairie de Dakar, le premier adjoint au maire, Cheikh Guèye, a confié que des dispositions sont en cours pour freiner ce phénomène. Parce que les règlements en la matière sont foulés au pied dans la capitale sénégalaise. Selon lui, il existe, pourtant au Sénégal des textes qui organisent l’affichage. Mais, a-t-il reconnu, le problème se situe au niveau de l’effectivité de l’application de la loi. «Il nous faut rompre avec ces affichages sauvages. Cela me semble inacceptable. La mairie ne peut pas laisser cette situation continuer», a indiqué, Cheikh Guèye, au cours d’un entretien téléphonique. Il a d’ailleurs rappelé que «la problématique de l’affichage à Dakar» était l’un des points inscrits, lors du dernier ou de l’avant dernier conseil municipal.
«Nous sommes conscients que le constat est préoccupant. Malgré la réglementation en la matière, nous avons pensé qu’il est important, compte tenu, de l’importance que nous accordons au cadre de vie, d’arrêter ou de renforcer les dispositions réglementaires qui organisent l’affichage au niveau de Dakar», a indiqué M. Guèye. Ce dernier trouve qu’il y a énormément d’efforts à faire aussi bien du côté des autorités, de la presse et des populations, en vue d’éradiquer ce phénomène.
Il indique d’ailleurs qu’«il y a des sites pour ne pas dire des zones dédiées à l’affichage. «Il y a un travail de sensibilisation et d’information à faire», a indiqué M. Guèye. De l’avis de ce dernier, la seule chose qui peut freiner ce phénomène, qui, dans une certaine mesure, annihile les efforts de modernisation de Dakar, demeure «l’application de la réglementation dans toute sa rigueur».
ECLAIRAGES DE MAMADOU LAMINE DIAKHATE, CONSULTANT EN MARKETING ET COMMUNICATION - «TOUTE AFFICHE FAITE EN DEHORS DU CIRCUIT FORMEL EST ANARCHIQUE ET ILLEGALE»
Consultant et formateur en marketing et communication, Mamadou Lamine Diakhaté range l’affichage dans le lot des supports de communication publicitaire. De son avis, l’affichage qui a connu un développement exponentiel depuis les années 80, est un support de communication qui a une vocation exclusivement publicitaire.
En effet, a reconnu le consultant, l’affichage est «un média choc, violent, à effet coup de poing». Ce type de communication qui s’adresse au grand public, sans grande possibilité de différenciation, est un excellent soutien promotionnel. Il convient parfaitement, d’après M. Diakhaté, à renforcer la notoriété d’une marque, d’un produit, auprès des consommateurs. «Il se fait à travers des panneaux avec différents formats : L’affichage mobile, l’affichage mural, l’affichage réversible, magnétique, etc».
Mais, a-t-il précisé, «parmi tous les medias, l’affichage est celui qui est le plus réglementé par les pouvoirs publics. Cette réglementation vise non seulement à contraindre les personnes à ne pas afficher n’importe où et n’importe comment, mais aussi, la protection des franges vulnérables de la population, telles que les enfants entre en jeu dans cette nécessité de réglementation. Cette règlementation semble non appliquée au Sénégal. Concernant l’affichage mural – qui est pour certains un objet d’art - il reste, aux yeux des autres, un facteur pollueur de l’espace urbain.
Pour le consultant, la tâche revient à l’Etat, à travers les communes et les mairies qui doivent veiller à ce que l’espace public ne soit pas trop encombré. Car, renseigne M. Diakhaté, «ces panneaux appartiennent aux agences de communication ou régies publicitaires qui achètent ou louent l’espace aux communes et aux mairies». Toutefois, a-t-il prévenu, «toute affiche faite, en dehors du circuit formel - c'est-à-dire sans passer par les agences ou régies, ou encore par les panneaux avec paiement des taxes municipales par les annonceurs – est anarchique et illégale».
Concernant l’exagération de l’affichage (légal) sur la durée de la campagne, le consultant l’explique par deux facteurs. Soit les panneaux appartiennent à l’annonceur, soit l’agence ou la régie veut donner l’impression d’un manque de clients dans un environnement concurrentiel.