Un projet, un Commissaire général, deux maquettes
MEMORIAL DE GOREE
Alors qu'un nouveau projet de Mémorial de Gorée attend d'être signé par le chef de l'Etat Macky Sall, avec à l'appui une maquette réalisée par un architecte tchèque choisi sans appel d'offre, par le mécène (du projet), des architectes sénégalais dénoncent la persistance de la «diplomatie de la maquette sous le bras», signe d'un manque de considération de l'Etat à leur égard.
Au moment où tout semblait fin prêt pour le démarrage de la construction du nouveau Mémorial de Gorée dont l’inauguration est prévue en 2014, en marge du 15ième Sommet de la Francophonie devant se tenir à Dakar, et qu’il ne restait plus que la signature du projet par le chef de l’Etat (si ce n’est déjà fait), voilà que des voix s’élèvent pour décrier le choix de Helena Mocova, architecte tchèque de 33 ans.
D’origine sénégalaise, né en Suisse et domicilié à Prague, El Hadji Omar Bach, mécène et président de «Suisse invest privat capital group», qui a promis d’injecter 13 millions d’euros, soit près de 9 milliards de F Cfa, pour la réalisation du projet, a ainsi jeté son dévolu sur Helena, conceptrice de la nouvelle maquette « remplie de symboles dans sa forme esthétique (en forme de bateau) et dans son contenu».
Ce projet dont «la construction devait durer 18 mois» pour être inauguré en novembre 2014, en marge du prochain Sommet de la Francophonie que va abriter le Sénégal, attend d’être validé et signé par le président Macky Sall.
Suffisant pour irriter nombre d’acteurs qui s’interrogent. Certains architectes vont jusqu’à se demander comment en est-on arrivé à deux maquettes sous le magistère d’un même Commissaire général, pour un projet datant des années 1980, sous le magistère du président Abdou Diouf ? Ses initiateurs estimaient qu'il permettrait «d'investir dans la transformation de nos ressources et de rendre accessible nos propres productions de savoir».
Toutefois, depuis plus d’une vingtaine d’années, les acteurs s’activent pour le voir sortir de terre, ce qui tarde encore. D’ailleurs ont-ils rappelé, une première maquette avait été retenue pour le même projet, suite à un appel d’offre international. Un concours international d’architecture avait ainsi été organisé en 1998, sous l’égide de l’Unesco et en collaboration avec l'Union internationale des architectes (UIA). 25 cabinets d'architecture africains et de la diaspora, venant du Nigeria, du Mali, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire, d'Afrique du Sud, du Zimbabwe, du Brésil, de Cuba, de Costa Rica, de la Guadeloupe, de la Jamaïque et de Trinidad, avaient participé au concours international.
Le Mémorial devait être construit sur 2,5 hectares sur la corniche Ouest de Dakar et sur l'Avenue Martin Luther King et livré en 2006. Sur 740 œuvres provenant de 64 pays, 290 d’entre elles avaient été sélectionnées. L’Italien Ottavio Di Blasi avait été primé par un jury international composé de deux Africains-Américains, un architecte du Kenya, un Egyptien, un Yougoslave, un Coréen et trois Sénégalais.
Fiche synoptique
Dans un entretien avec la PANA, en marge des Journées de concertations sur le projet du Mémorial de Gorée (25-26 février 2002), Ottavio Di Blasi a présenté la symbolique et la philosophie de son œuvre qu’il considérait comme «un monument africain», «un village africain victime d'une tragédie». Il avait précisé que le Mémorial reste d'abord une image forte pour l'Afrique et sa diaspora et ensuite pour les autres peuples du monde. «Le village est composé de deux parties qui symbolisent d'une part ceux qui sont partis (la diaspora) à travers la mer et de l'autre, la terre représentant ceux qui sont restés en Afrique.
Au milieu de ce village, il y a une fracture au milieu de laquelle s'élève le Mémorial», a-t-il dit. Ce Mémorial se présente sous la forme d'un mât debout (qui épouse pour certains la forme d'une pirogue dans l’eau) et tourné vers les Amériques. Ce mât mesure 135 m de haut et fera de ce monument le plus élevé du Sénégal avec «un ascenseur panoramique et transparent de 95 m qui donne une vue magnifique sur l'île de Gorée et la ville de Dakar grâce à une plate forme disposée à cet effet. Un rayon laser partira du sommet du Mémorial vers la ‘’Maison des esclaves’’ à Gorée aux larges de Dakar, de sorte que de partout, sur terre, en l'air, en mer, les voyageurs, pèlerins ou résidents apercevront ce monument», a-t-il ajouté.
Une réplique de 16 mètres sur le Castel, au sommet de l’Ile de Gorée
D’ailleurs, l’Unesco est le parrain d’un monument dédié à l’Afrique et à sa Diaspora qui s’inscrit dans une démarche de Paix et de solidarité mondiales. Réalisé sur le Castel, au sommet de l’île de Gorée, l’édifice d’une hauteur de 16 m est parfaitement intégré au paysage. N’est-ce pas le poète Amadou Lamine Sall, commissaire du projet, qui écrivait: «le mémorial de Gorée est une mémoire d’abord, un musée vivant ensuite, un défi enfin! Celui que l’Afrique, la diaspora, les hommes de bonne volonté de toutes races, par-delà le culte du souvenir, ont décidé de relever solidairement pour réconcilier l’homme avec l’homme».
De l’actualité et la pertinence du projet
Des acteurs culturels s’interrogent quant-à la pertinence actuelle d’un projet de Mémorial de Gorée-Almadies. Pour eux, mieux vaut rentabiliser les sites, centres, maisons et autres infrastructures culturels existants qui peinent à dérouler leurs programmes, faute de moyens. De même, des initiatives culturelles régionales méritent d’être soutenues et renforcées, car c’est une manière de promouvoir la diversité culturelle. Pour eux, «la culture, ce ne sont pas des bâtiments, mais des productions».
Donc, il faut de la production culturale (culturale, musicale, théâtrale, cinématographique, etc.) pour la consommation. D’ailleurs, rappellent ces acteurs culturels, pour la réalisation du projet du Mémorial de Gorée-Almadies, devenu depuis un projet du ministère de la Culture du Sénégal, chaque année un budget de plusieurs de dizaines de millions de nos francs (entre 50 et 60 millions F Cfa) serait mis à la disposition de la Coordination du projet assurée aujourd’hui par le Commissaire général. Suffisant pour que ces acteurs culturels soulèvent des questionnements et demandent des éclairages sur la gestion de ce fonds.
Seulement, pour des architectes bien au fait de l’histoire et de la philosophie du projet du Mémorial de Gorée, sa pertinence est toujours d’actualité, malgré l’effritement de l’engouement international qu’il suscitait. «Il est plus que jamais d’actualité. La pertinence du projet, contrairement à ce que certains pensent, ce ne sont pas les représentations physiques. C’était le projet phare de l’Afrique avec des composantes qui repositionnaient le Sénégal par rapport à l’Afrique, qui réaffirmait et confirmait le leadership sénégalais du point de vue culturel.
Un leadership qu’on a perdu, maintenant on n’est représenté que par la musique et encore comment ?», a soutenu Mamadou Berthé, Architecte-conseil du projet du Mémorial de Gorée-Almadies. Et l’ancien président du conseil de l’Ordre national des architectes (2005-2009) de lancer, ahuri: «Comment peut-on comparer ce projet culturel là à un centre culturel ?» Avant de préciser : «l’importance de Gorée, ce n’est pas uniquement le site en tant que tel, c’est toute la géopolitique qu’il y a eu autour. Gorée est un jalon dans la découverte du nouveau monde. (…) Le Mémorial dans ce sens là n’est pas un regard dans le rétroviseur uniquement, c’est un regard rétrospectif qui prépare l’avenir».
Wade Bloque le projet, l’UNESCO se retire
Quant au désistement d’acteurs, notamment de la communauté internationale, Mamadou Berthé refuse de comparer cela à une désagrégation de l’engouement suscité par le projet. «Il n’y a pas d’effritement de l’engouement autour du projet du Mémorial de Gorée. C’était le projet culturel phare de l’Afrique, mais Wade qui n’en voulait pas a bloqué le processus parce ça portait ombrage à son dessein de statue (ndlr-Monument de la Renaissance) qui était en fait une opération personnelle. Vous savez, l’Unesco suit l’engouement des Etats avec qui elle traite, mais elle ne traite pas avec les organisations.
Quand le chef de l’Etat n’est pas chaud, l’Unesco ne suit pas». A l’en croire, c’était le projet culturel phare de l’Afrique porté par l’Unesco depuis sa création jusqu’en 2000, donc pendant plus de 10 ans. Et le parrainage «extraordinaire» de l’Unesco a valu d’aller à l’OUA (ndlr-Organisation de l’Unité africaine, devenu l’Union africaine) où symboliquement les chefs d’Etat avaient posé la première pierre, aux Nations Unies. Toutefois, «c’est dommage que tout cet élan ait été brisé de façon aussi violente. Et c’est l’Afrique qui perd, c’est le Sénégal qui perd, c’est ça qui me fait de la peine», a regretté Mamadou Berthé non sans relever que «de la façon dont vous managez le projet, ou vous êtes inclusif, ou vous êtes exclusif. Malheureusement c’est cela».