UN RENARD PIÉGÉ

Champion d’Afrique avec la Zambie en 2012, Hervé Renard est descendu en Ligue 2 avec Sochaux samedi. La chemise blanche qui scintillait sous le soleil africain a disparu sous une sombre redingote qui se confond avec la grisaille hexagonale. Le regard qui respirait la malice d’un technicien rompu à l’art du déséquilibre et de la charge fatale, s’est affaissé sous les cernes et les replis de fatigue tirés par l’inexorable et interminable glissade au fond du trou. Le sourire charmeur est devenu rictus.
Grandeur et décadence… Cruel destin pour un «roi» d’Afrique. Mais l’image est tronquée qui s’arrête sur celle d’une victime bonne pour le purgatoire. Renard aurait pu réussir l’impensable : sauver une équipe de Sochaux qui, à son arrivée, était fortement engagée sur le chemin de la déchéance. Mais la sanction qui reste est celle que retient l’histoire : les premiers d’un jour peuvent se retrouver les derniers du lendemain quand la roue tourne et que les circonstances, le contexte et les moyens ne leur permettent plus de suivre.
Des outsiders zambiens dont il avait pu faire des champions d’Afrique en 2012, aux «Lionceaux» du Doubs qu’il n’a pas réussi à mettre sur la voie de la rédemption, le plumage et le ramage du «sorcier blanc» en ont perdu de leur éclat. Le pari était difficile consistant à ramasser Sochaux dans l’ornière pour le remettre au milieu de la route. C’était pourtant un beau défi pour revaloriser l’«assistance technique» qui se déverse sur le continent ne constitue pas toujours les plus belles pièces de la chaîne de formation.
Parfois, on accueille des chevaliers errants sortis exsangues des grandes batailles, sabre brisé et l’armure déglinguée, sans attaches et sans horizon. Tous les missionnaires n’ont pas ce profil. Le continent n’est plus cette terre obscure du bout du monde où l’on vient s’enfoncer avec un billet aller sans retour, dans la peau d’un aventurier. Il fait partie de la mondialisation du foot et même si c’est pour en être encore le quart-monde, il exprime un potentiel qui impacte sur les rapports de force. Ainsi les Sven Goran Erikson (Côte d’Ivoire), Clemente (Cameroun) ou Scolari (Afrique du Sud) font partie des éminences grises du coaching qui sont venues griller quelques neurones sur le continent.
Renard était de cette espèce qu’on dit «éclairée». Il a su tirer le meilleur de la Zambie, en trouvant la symbiose qu’il fallait entre ce qui s’exprime dans l’âme d’un peuple et les conceptions du jeu qu’il pouvait développer pour le valoriser et le porter à son expression optimale. Renard était un bon sélectionneur.
Quant à sa dimension d’entraîneur, il vient d’en éprouver les limites. C’est toute la différence entre l’orfèvre et le magicien. Le premier élabore, conçoit et produit. Le second travaille simplement à transformer le réel pour créer l’enchantement du moment. Parfois d’ailleurs, ce n’est que pure illusion.
L’entraîneur est à la base. Il façonne et rectifie, cherche à faire converger des aptitudes et des intelligences disparates pour créer une réflexion commune autour du ballon. Le sélectionneur travaille sur les cohérences du moment, pour répondre à des tâches ponctuelles. Gérer un groupe avec lequel on vit en permanence diffère de la recherche de la complémentarité qui fait fonctionner une équipe nationale le temps d’un match (une fois par mois, sinon par trimestre) ou durant un tournoi dont la plus longue durée actuelle s’étire sur un mois.
Le métier est le même, la fonction diffère.
Le sélectionneur vit du travail des autres. L’application de ses idées n’obéit pas à la dynamique constante qui impose à l’entraineur une remise en cause de son œuvre pour accompagner l’évolution de son groupe.
Etre sélectionneur n’est cependant pas de tout confort, car on mesure la difficulté qu’il peut y avoir à récupérer un groupe pour trois ou quatre jours, à asseoir un état d’esprit qui répond à des objectifs ponctuels et à mettre en place la stratégie qui permet l’atteinte de ces objectifs.
Mais l’échec de Renard, comme d’autres, instruit encore une fois sur une réalité : du banc d’entraineur à celui de sélectionneur, la mutation ne coule pas de source. Dans les deux sens d’ailleurs. Certains bâtisseurs de club n’ont jamais su poser des échafaudages solides pour une sélection nationale. D’autres, dans le football, n’ont pu trouver leur bonheur que dans le manteau du sélectionneur. Autant Sochaux s’est trompé, autant on se fourvoie en Afrique en pensant que tout ce qui est Blanc lave plus blanc.
Le challenge était sans doute excitant pour Hervé Renard. Un canton de France pour son royaume en Zambie, l’embarras du choix ne l’a guère étouffé. Mais comme le dit l’adage, plus on monte dans les arbres sans être assez couvert, plus on est trahi par sa nudité.
Quand Sochaux est tombé samedi, Renard a eu ces mots : «Je vais prendre quelques jours de vacances. Ma priorité, c’est de rester en Ligue 1 ou en Europe, de disputer la Ligue des champions ou la Ligue Europa. Je vais attendre un peu, et si je n’ai rien, je retournerai sur le continent (en Afrique, Ndlr) où je ne devrais pas avoir trop de mal à retrouver du travail…» Vrai. Il y en a toujours qui succombent au clinquant de l’Occident.