Un village «riche», mais qui, paradoxalement, manque de tout
A LA DECOUVERTE DE MAMPALAGO
MAMPALAGO - Situé à 350 Km de Dakar et à 50 Km de Ziguinchor, le village de Mamapalago est localisé en Basse Casamance, à proximité de la frontière gambienne. Il fait partie de la Communauté rurale de Oulampane dans l’arrondissement de Sindian, dans le département de Bignona. Il est à la jonction de la région de Kolda et est délimité par la Guinée Bissau au Sud et par la région de Ziguinchor, avec le fleuve de Soungourgou au Sud-Est, à l’Ouest par Bignona et au nord par la Gambie.
Mampalago polarise beaucoup de petits villages et il a une population estimée à 3000 habitants. Dans ce village devenu chérifien par la force des choses, on retrouve des ethnies aussi diverses que les Wolofs, Diolas, Peuls, Sérères, Mandjack, Mandingues… C’est une vieille contrée qui date d’avant les indépendances. D’ailleurs, l’école primaire qui a formé plusieurs cadres a été créée en 1948. La particularité de ce village est qu’il n’a pas connu l’exode rural. Du reste, dans chaque concession, au minium, il y a deux à trois salariés (fonctionnaires ou autres). Du coup, le village devrait connaître un développement économique, social, environnemental, sanitaire et éducatif fulgurant. Mais, hélas, ce village paradoxalement «riche» compte tenu des ses atouts positifs est pauvre et manque de tout. Dans le village, il y a deux grandes mosquées : celle des Chérifs et celle du village. Mais, il n’y a pas d’église.
Un village historiquement riche
Selon Lamine Badji, professeur d’Anglais et chef du bureau des ressources humaines du ministère des Infrastructures et des Transports, par ailleurs président de l’Association pour le développement du village de Mampalago, la cité a une riche histoire. Elle a bénéficié d’infrastructures, depuis l’époque coloniale, parce qu’ayant été un point de traite pour les produits arachidiers. «Il y avait les chalands qui quittaient Ziguinchor et qui accostaient sur les rives de cette zone, sur l’affluent du fleuve Casamance, dénommé le ‘Sougounroungou’ (nom donné à l’affluent du fleuve Casamance). Ces chalands quittaient Ziguinchor et transportaient de l’arachide à destination du port de Ziguinchor et de Sédhiou», explique-t-il en confiant qu’à l’époque, il y avait un quai de pêche très florissant. Il y avait des comptoirs commerciaux, comme la Nossoko Arssens...
«Il y avait aussi des pêcheurs saisonniers qu’on appelait généralement les ‘Thioubalo’. Mais, avec le temps, le fleuve a connu la salinité, une nature verdoyante où les palétuviers ont fini par disparaître. Même les crocodiles qui occupaient l’affluent du fleuve avaient fini par migrer vers d’autres rives. C’était vers les années 60 et 70. Nous avions aussi une mangrove, une diversité de poissons, les barracudas, les carpes, les requins… Mais aussi l’avifaune», se rappelle-t-il.
Mampalago, un nom déformé par les colons
Mampalago ne s’appelait pas ainsi, mais plutôt Mankalako qui signifie une zone où il fait bon vivre. «Le colon a eu du mal à prononcer le nom correctement et l’a déformé en confondant les termes Mankalako et Mampalago», indique M. Badji qui souligne qu’en ces temps, le village couvrait un rayon de plus de 20 km. Et c’est le dispensaire des grandes endémies qui faisait des prestations de santé jusqu’à la frontière de Gambie. Il est devenu un poste de santé plus tard. «Nous avons créé un dispensaire qui était à Diamaye et qui couvrait jusqu'à Innore», ajoute-t-il en précisant que les premiers à s’implanter dans ce village, c’est la famille Badji qui a toujours eu la chefferie. Puis, il y a eu les Sané et les Badiane et plus tard les Chérifs. «C’est un village mythique, car les Chérifs ne s’installent pas n’importe où. Il y a beaucoup de villages en Casamance on ne trouve pas de Chérifs, c’est une bénédiction», dit M. Badji.
Leux deux principales religions sont : l’islam et le christianisme. «Nous avions un Abbé, le Père Poulain qui avait une sorte de chapelle et qui s’occupait de l’initiation des jeunes Mandjack. Ils avaient voulu construire une église, mais avec le temps, ils n’ont pas pu réaliser l’objectif. N’empêche, il y a une symbiose, entre nous», confie-t-il encore.
L’électricité demeure un problème
L’un des problèmes majeurs du village est lié à l’électricité. Il y a beaucoup d’activités qui peuvent générer des revenus, mais faute d’électricité, aucune activité ne peut rapporter une petite économie à la famille. «C’est un village où si le problème de l’éclairage est réglé, toutes les familles seront branchées à l’électricité, ça sera bénéfique. Parce que, note-t-il, il n y a pas une seule famille où il n y a pas de fonctionnaire. Cela est dû au fait que le village a très tôt connu la pénétration coloniale».
Selon lui, l’arrivée de l’électricité peut alléger les activités des femmes. Le village n’ayant qu’un seul moulin qui fonctionne au gaz, grâce au Gie Soforal qui veut dire unissons-nous. Aujourd’hui, pour pouvoir bénéficier de l’électricité, le village a procédé à des cotisations poura cheter un poste de transformateur. Cela, afin de faire entrer l’énergie dans le village. Dans ce village, il n’y a que deux panneaux solaires à l’école pour charger les portables et l’autre pour conserver les vaccins au poste de santé.
Le seul lycée qui existe dans le village est délabré et les élèves marchent des kilomètres pour y accéder. Le problème des Tics pose aussi problème. «Il faut que les élèves de ce village puissent accéder au net, alors nous avons bénéficié d’ordinateurs venant de nos partenaires, mais faute de courant, les enfants ne peuvent pas aller à la découverte des Ntics, à l’instar des autres enfants des villes», dénonce M. Badji, selon qui, tout cela est lié aux problèmes de politique politicienne. Car Mampalago a été un fief socialiste, du fait qu’un des fils du village, Bassirou Cissé a été un grand responsable socialiste. Avec l’alternance, le Pds qui a été bien accueilli par la frange jeune. Et un autre fils du village, Famara Mané, a été député bleu. «Du coup, il y a eu des divisions dans cette contrée et cela explique un peu le retard de la localité. Mais, aujourd’hui, les choses semblent bouger pour le développement du village. Nous avons pris conscience et maintenant nous luttons pour que tous les œufs soient mis dans le même panier, pour espérer un bon développement. Un village avec un melting pot d’ethnies, ce n’est pas facile, les gens n’ont pas la même vision», soutient Badji.
Infrastructures routières, rien que qu’une piste cahoteuse
Faute de route goudronnée, une piste cahoteuse permet d’accéder au village. Une piste en état de dégradation très avancée. Pour ce volet infrastructures routières, faute de mieux, les populations ne réclament que des pistes de production carrossables. Elles réclament aussi un autre lycée dans le village, un espace, un foyer digne de ce nom pour s’épanouir.
Mampalago est aussi réputé être un coin prisé par les rebelles. M. Badji déclare : «Mampalago est bien logé géographiquement. Ce qui fait qu’on entend souvent des braquages dans ce village. Notre seul tort est que nous étions défavorisés par la proximité de la forêt de Dipakoum, secteur où sortaient les rebelles pour faire des braquages sur la route national n°4. Car c’est un virage sur la route nationale 4 qui débouche sur le village. Mais il n’y a jamais eu d’attaques ici et il n’y aura rien, s’il plaît à Dieu».
La santé, un problème à Mampalago
Le poste de santé est vétuste et manque de tout, il a été construit avec l’apport du Gie Soforal, il y a 6 lits sans matelas. Une vieille Renault 4, offerte par une association française, y fait office d’ambulance. Pour le personnel, il y a deux matrones qui reçoivent un désintéressement sur le nombre de ticket vendu, mais elles n’ont pas de salaire, encore moins de traitement. Les maladies récurrentes à Mampalago, ce sont le paludisme et la diarrhée.
LA PAUVRETE, UNE REALITE A MAMPALAGO - Une ardoise, un cahier, un stylo pour toute une famille
La pauvreté dans le village de Mampalago demeure une réalité. Elle constitue du reste une véritable contrainte pour la bonne éducation des enfants. Et, ce n’est pas le directeur de l’unique école élémentaire de cette zone, Oumar Diaban, qui dira le contraire. Affecté dans cette contrée, depuis un an, M. Diaban dit avoir rencontré d’énormes problèmes. Par exemple, chaque matin, avant le démarrage des cours, il accuse du retard. «Nous perdons beaucoup de temps avant de démarrer. Il faut effacer le tableau, mettre de l’eau dans le seau, alors que l’eau demeure un problème ici», déclare-t-il.
Il y a aussi le manque de moyens pédagogiques, de matériels de travail pour les enfants qui sont issus des familles modestes. «Car vous voyez des enfants venir à l’école sans matériel. Il arrive même qu’on ait une seule ardoise pour toute une famille, le stylo aussi c’est pareil», explique le maître qui est ainsi obligé de se transformer en parent d’élèves. «Par nos propres moyens, nous nous débrouillons pour acheter même un stock de stylos ou d’ardoises et même des cahiers pour les enfants. C’est une situation très difficile», commente-t-il.
La mesure radicale consistant à renvoyer les enfants pour les conscientiser ne résout pas les problèmes. «Malheureusement, ils ne viennent jamais demander pourquoi leur enfant a été renvoyé ou voir ce qui se passe à l’école, il n’y a pas de retour. Ici, nous sommes maîtres et parents d’élèves», indique-t-il, avant d’ajouter : «Je ne peux pas comprendre ce qui se passe ici. Car l’école de Mampalago est créée depuis 1948, donc la population qui vit ici est avertie, mais il n’y a que des problèmes dont personne ne se préoccupe. Il y a un manque de moyens criards et les gens qui vivent difficilement pensent plutôt à la popote, plutôt qu’aux fournitures des enfants».
Mais, selon lui, malgré ces conditions difficiles, il y a le côté professionnel. Et les enseignants parviennent à faire de bons résultats avec 50% de réussites au Cefe, et aussi des enfants qui se démêlent très bien. «Mais, l’année dernière, on a eu une chute libre pour descendre à 33% au Cefe. Ce qui n’est pas fameux», souligne-t-il en expliquant cette baisse par le fait que les enfants viennent souvent à l’école sans apprendre leurs leçons, malgré les sanctions, les réunions avec les parents pour un suivi à la maison. Et l’absence d’électricité n’est pas, d’après lui étrangère à ce fait.
«La manière dont les enfants quittent l’école, c’est comme cela qu’ils nous reviennent le lendemain. L’environnement du village montre que les parents sont pauvres. Pour avoir de l’argent pour acheter du pétrole pour la lampe tempête ou une bougie pose un énorme problème. Par conséquent, la nuit, il n’y a pas de suivi des enseignements. Pour vous dire comment les parents se sont désintéressés, au lieu de demander aux enfants d’aller apprendre leurs leçons, ils les envoient jouer dans les ruelles du village pour qu’ils les fatiguent pas», soutient M. Diaban en lançant un appel aux partenaires afin qu’ils les aident en équipements.
«Si nous pouvions avoir deux à trois ordinateurs, ça aiderait beaucoup. Car à l’école, nous avons un panneau solaire qui ne nous serve qu’à charger les portables. Nous sommes à l’ère des Tics et ou moins, même si nous ne sommes pas connectés au net, que les enseignants et les élèves puissent manipuler et taper sur l’ordinateur un peu, ça améliorerait les enseignements», déclare-t-il en révélant que l’école compte 9 classes et 6 enseignants. «Il y a un déficit de personnel. En tant que directeur, j’étais déchargé, mais maintenant je cumule», confie M. Diaban.
MALGRE SA SITUATION FAMILIALE DIFFICILE - Chérif Badji, élève de CE2, est le meilleur de sa classe
C’est un enfant âgé de 11 ans, élève en CE2, taille moyenne, teint noir, les cheveux crépus, un accoutrement qui renseigne sur sa condition sociale, mais qui a pourtant la joie de vivre, dans cette verte Casamance, dans le village de Mampalago, que ses camarades de classe qualifient de surdoué. Chérif Badji est un élève qui, selon son maître Oumar Diaban, est très sérieux, assidu, sage, attentif aux cours et aussi très curieux. Il ne laisse, en effet, aucun détail qui puisse perturber son esprit, du fait qu’il ne rentre jamais avec une incertitude ou un quelconque doute. Il est toujours parmi les bons élèves de sa classe avec de bonnes moyennes de 8,62 sur 10 et premier de sa classe.
Selon son maître, il est l’un des rares élèves qui apprennent leurs cours au jour le jour. Et, pourtant il n’est pas dans des conditions sociales favorables. Issu d’une grande famille aux maigres revenus, Chérif et ses parents sont pris en charge par leur mère qui se décarcasse nuit et jour pour les nourrir. Pour autant, ça n’a pas affecté le petit Chérif qui est très ambitieux et qui se dessine déjà un avenir meilleur, au bonheur de ses parents. «Je veux réussir dans mes études, participer au développement de mon village, aussi aider mes parents, mes frères et sœurs pour prendre la relève», déclare le gamin.
Le village n’ayant d’électricité et parfois les moyens d’acheter une bougie ou mettre une lampe tempête faisant défaut, il se débrouille toujours pour revoir ses cours, les maîtriser, avant de venir en classe. «Je m’organise pour apprendre mes cours, faire mes exercices avant le lendemain. Car, faute d’électricité, je ne peux pas apprendre la nuit. Du coup, dès que je descends ou bien avant de quitter la classe, j’apprends par coeur ma leçon», dit-il.
Pour son maître, c’est un élève qui sait ce qu’il veut. Au moment où ses camarades pensent à jouer, lui se débrouille toujours dans son petit coin pour jeter un coup d’œil sur la leçon du jour. «C’est un enfant orgueilleux. Du coup, il n’aime pas être grondé, c’est pourquoi il est attentif», explique M. Diaban.
Comme tout enfant de son âge, Chérif aime jouer au ballon, faire des jeux de son âge. Mais aussi, il aime côtoyer les adultes, d’après son maître, pour discuter et pour augmenter sa culture, il écoute les informations à la radio. C’est un enfant qui se lève tôt pour faire ses prières à la mosquée, pour lire le Coran, avant de revenir à la maison faire des travaux domestiques, et finir de prendre ses bagages et marcher plus de 2 km pour rallier son école, sans même son petit déjeuner. Mais n’empêche, il reste un bon élève, rapporte son maître.
La forêt de Mampalago menacée
A Mampalago, tout est urgence. La santé, l’éducation, l’eau potable, les infrastructures, même l’environnement, selon notre guide Pape Pabi Aïdara, natif du village et cadre à Dakar. En faisant le tour de la contrée pour constater de visu les lieux, le constat qui se dégage est que toutes les structures du village sont en état de dégradation très avancée. Le poste des Eaux et Forêts en est une parfaite illustration. Lui qui a perdu toute sa splendeur au point de ressembler aujourd’hui à… une maison mortuaire abandonnée.
En effet, sur place, rien ne montre qu’ici, c’était un bureau des Eaux et Forêts. Car, il n’y a là aucun arbre planté, ni des pépinières. Il y a quelques gros manguiers aux feuilles desséchées jaunâtres. Selon El Hadji Ousmane Boye, cette situation découle de l’absence des agents forestiers du site, depuis plus de 10 ans maintenant. «A cause des incursions des rebelles et des attaques sur la route nationale N°4, aucun agent forestier ne veut servir dans la zone. Ils demandent tous une affection. Pourtant, il n’y a jamais eu d’attaque dans le village, mais nous sommes à quelques encablures d’une route nationale où il y a des attaques», explique-t-il.
A l’en croire, les villageois ont fait toutes les démarches nécessaires pour avoir, ne serait-ce qu’un agent des Eaux et Forêts afin que la forêt de Mampalago retrouve son lustre d’antan, car elle est l’objet de beaucoup d’agressions, mais rien n’a été fait. «Il fut des temps où la forêt qui ceinture le village était verdoyante et les agents des Eaux et Forêts faisaient du bon travail pour éviter la détérioration du site. Le bois était bien conservé, et du coup, on n’entendait pas de réchauffement climatique, car la forêt était bien protégée. Mais aujourd’hui, il n’y a plus de contrôle, aucune gestion de la forêt qui est désormais menacée», commente-t-il.
Toujours d’après M. Boye, avec la scierie de Diango, située non loin du village, qui participe à la destruction la forêt, il devrait au moins y avoir un agent des Eaux et Forêt pour préserver cet espace vert. Mais tel n’est pas le cas. «Et c’est pourquoi, souligne-t-il, les braconniers ont la possibilité d’entrer et de couper les gros arbres comme les caïcédrats, les baobabs et de détruire la forêt. La protection de la forêt incombe au Président de la communauté rurale qui devait impliquer la population pour que la situation soit réglée. Mais il ne peut rien faire, sans l’aide des autorités».