UN VOYAGE, DEUX TARIFS
PORT DE DAKAR-DIFFERENCIATION ENTRE NATIONAUX ET ETRANGERS
La politique de différenciation des tarifs au Port Autonome de Dakar (Pad) entre les nationaux et les étrangers, usagers des chaloupes Dakar Gorée et du bateau Aline Sitoë Diatta, continue de susciter nombre d'interrogations. Même si cette idée est réfutée par les autorités exploitant ces deux lignes, la plupart des touristes et des étrangers y voient une démarche discriminatoire.
La plupart des touristes et autres usagers non sénégalais des chaloupes Coumba Castel et Augustin E.Ly et du navire Aline Sitoë Diatta, desservant respectivement l’île de Gorée et la région de Ziguinchor, n’apprécient pas du tout la politique de différenciation des tarifs de voyage instaurée par le Port autonome de Dakar (Pad) entre les nationaux, les étrangers résidents et les étrangers non-résidents. Ces derniers ont du mal à comprendre cette politique de catégorisation des clients, tout en faisant remarquer que le Pad reste d’ailleurs la seule structure de gestion du transport public sénégalais à user de ces « pratiques ». Pourquoi certains passagers sont-ils tenus de payer le ticket plus cher que d’autres usagers dits nationaux, alors qu’ils voyagent tous dans le même navire, et parfois même dans des conditions plus difficiles que ceux-là qui ont payé moins cher. La question reste posée par la plupart des usagers soumis à ce régime jugé « discriminatoire » est imputé à la Gare Maritime Internationale (Gmi).
Aussi bien à la Liaison Maritime Dakar Gorée (Lmdg), structure chargée de l’exploitation des chaloupes ralliant l’ile de Gorée au continent, qu’au niveau du Consortium Sénégalais d’Activité Maritimes (Cosama), qui assure la gestion et l’exploitation du navire Aline Sitoë Diatta, le prix du ticket de voyage n’est pas identique pour tous les passagers. Les tarifs sont divisés en catégories selon le statut des voyageurs. Ainsi, au niveau du navire Aline Sitoë Diatta, deux catégories de tarifs sont proposés aux usagers. Une pour les Sénégalais et l’autre pour les étrangers.
A la liaison maritime Dakar-Gorée, l’écart des tarifs varie de 1500 FCfa pour les nationaux à 5200 FCfa pour les étrangers non-résidents en passant par 2500 FCfa pour les étrangers pouvant justifier leur résidence sur le sol sénégalais. Une fois à Gorée, ces «étrangers», dès leur descente de la Chaloupe, déboursent encore 500 FCfa pour s’acquitter de la taxe municipale, obligatoire pour tout visiteur, excepté les Goréens et les nationaux .
Au niveau du Cosama par contre, l'écart des tarifs répartis entre deux catégories est beaucoup plus important entre nationaux et étrangers. Le prix du billet d’embarquement entre les deux catégories varie entre 5000 FCfa pour les fauteuils, places assises, à 4000 FCfa pour les autres classes.
«Des tarifs exagérés, arbitraires et anormaux»
Cette segmentation des voyageurs par le Port autonome de Dakar, avec son lot de conséquences sur les prix du billet de la traversée de Gorée et du bateau Aline Sitoë Diatta, n’est pas du tout du goût des touristes. La plupart d’entre eux s’interrogent sur le bienfondé de cette pratique qui, rappelle-t-on encore, est seulement appliquée au port. Ce n'est pas le cas ni pour le transport aérien ni pour le transport routier. «Je trouve cette situation anormale bien que cela ne m’étonne pas. Pour les résidents à Gorée, c’est compréhensible, mais qu’il y ait deux tarifs pour les autres visiteurs c’est injuste. Il doit y avoir un seul tarif pour tous les visiteurs, qu’on soit Africain, Américain, résident ou étranger, cela importe peu», clame Clément, un touriste français sur le point d’effectuer sa troisième visite sur l’Ile historique. Parmi les touristes rencontrés à la mi-septembre à la Gare maritime internationale, par une matinée peu ensoleillée, beaucoup partagent ce sentiment d’incompréhension et d’indignation.
Invité par un ami de Ziguinchor, le jeune Andro, originaire de New York (Etats-Unis d'Amérique), a failli même renoncer à son voyage de découverte de la verte Casamance du fait de cette politique de différenciation des prix. «Je viens acheter un billet pour me rendre en Casamance voir un ami. Je voulais payer un lit à 12500 FCfa. Mais la caissière m’a fait savoir que ce prix est réservé aux Sénégalais. Que pour nous autres étrangers, on doit payer 18500 FCfa. Du coup, j’ai pris une chaise à 15500 FCfa. Franchement, cette place ne me convient pas. Je l’ai prise parce que je ne voulais pas faire faux bond à mon ami. Et pour dire vrai, j’ai failli même renoncer à ce voyage après cette mésaventure. Car je trouve exagérée et anormale cette différenciation des prix. Chez moi, les choses ne se passent pas ainsi. Les prix sont identiques pour tout le monde. On ne fait pas de différence entre étrangers et nationaux».
Les ressortissants sénégalais binationaux, soumis eux aussi à ce régime des enchères, fustigent cette démarche des autorités portuaires et parlent de « discrimination » entre les visiteurs.
«C’est une situation très dérangeante surtout pour nous les binationaux. On n’a pas demandé à être français ou sénégalais. On nous traite comme si on était des étrangers ici. Les gens doivent être plus regardant à notre côté. Nous estimons que cette politique de tarification est anormale et raciste, que rien à la limite ne peut justifier". Alassane, un jeune français d’origine sénégalaise qui attend de visiter pour la troisième l’île esclavagiste, a du mal à comprendre. "Ce mode de différenciation des tarifs est une injustice, voire même une discrimination qui ne dit pas son nom. On doit traiter tout le monde de la même manière comme cela se fait ailleurs. A Paris, pour visiter la tour d’Effel, tout le monde paie le même tarif. Qu’on soit français, Européen ou Africain, cela n’a pas d’importance, c’est le même prix pour tous», s’offusque-t-il.
«Les nationaux divisés sur la question»
S’agissant de l’appréciation que font les Sénégalais résidents, principaux bénéficiaires de cette politique de différenciation des tarifs appliqués au port, les avis sont partagés. Si les uns voient à travers cet acte, un moyen de rentabiliser le secteur du tourisme, d’autres par contre parlent tout simplement d’une pratique discriminatoire.
«Je trouve normal la différenciation de la tarification entre les Sénégalais et les non Sénégalais. Car on doit rendre les tickets abordables pour les Sénégalais. Ceci, va au-delà, pour moi des aspects économiques car il s’agit d’une question de souveraineté. Il faut également que le tourisme se développe et rapporte au pays quelque chose. Je ne vois pas donc en quoi cette différenciation peut être une discrimination à l’égard de tel ou tel groupe», fait remarquer un homme d’une quarantaine d'années, croisé à l’entrée du guichet de vente des tickets du bateau Aline Sitoë Diatta.
Abondant dans le même sens, une jeune étudiante sénégalaise à l’Université d’Avignon reconnait tout de même, qu' «il existe une grande différence entre le tarif des nationaux et celui des étrangers». Même si elle se démaque après en disant : «je trouve ça raisonnable, car cette séparation, on la trouve partout en Europe. Il y’a toujours une différenciation entre les étudiants. Soit-on Africain, on paie trois fois plus que les autres».
Contrairement à eux, Abdou Diop, mettant sur la balance ses dizaines d’années d’expérience en tant que guide touristique, voit à travers cette politique un acte discriminatoire posé par les autorités. «Cette différenciation pose un problème récurrent. On est maintes fois, interpellé par les touristes sur les raisons de cette différenciation. La plupart voit cette différenciation comme une sorte de discrimination contre eux. Pour cause, ils estiment que dans leur pays d’origine les choses ne se passent pas ainsi. Tout le monde est traité de la sorte ; qu’on soit résident ou étranger, on paie le même prix. Pour moi, c’est une discrimination qui ne dit pas son nom».
Même son de cloche chez son collègue, Babacar, qui exerce également cette activité depuis 1995. «Pour moi, rien ne peut justifier cette différenciation. C’est une injustice faite contre ces étrangers mais aussi contre des Sénégalais mariés à des étrangers. Ils paient plus cher et parfois, ils n’ont même pas de place dans la chaloupe. Pour être plus juste, on devait leur réserver des places ou mettre à leur disposition une chaloupe à part».
«…. un moyen de faciliter le déplacement des citoyens à l’intérieur du pays»
De leur côté, les autorités administratives, après avoir réfuté l'idée de discrimination, parlent plutôt d’une politique sociale du gouvernement pour faciliter le déplacement des citoyens sénégalais.
Selon Oumar Dramé, administrateur de la liaison maritime Dakar-Gorée, «il n'y a pas de discrimination, le tarif normal de la chaloupe est de 5200 FCfa. La différence est prise en charge par quelqu’un. C’est l’Etat qui paie pour ses administrés comme cela se fait ailleurs. A Paris, vous ne paierez jamais le même tarif qu’un Parisien dans le métro ; parce que la commune de cette ville ou l’Etat paie une bonne partie de cette différence. Le métro est presque gratuit pour les Parisiens (Le ticket de métro est le même pour tous Ndlr). Pour ce qui est de Gorée, les Goréens paient 600 FCfa /mois».
Poursuivant son argumentation, il explique : «Pour les Africains, compte tenu de certains accords comme dans le cadre de la Cedeao, on a réduit les tarifs de moitié ce qui fait qu’ils paient 2700 FCfa. Pour les Sénégalais et les étrangers qui vivent dans notre pays, ils paient le même tarif du fait qu’ils paient tous l’impôt. Par contre les Sénégalais qui vivent à l’étranger et qui ne peuvent pas justifier leur résidence au Sénégal sont considérés comme les étrangers et paient le même tarif que ces derniers, du fait qu’ils ne contribuent pas à l’économie nationale de façon directe», a-t-il encore fait savoir.
Du côté du Cosama, on joue la même note musicale. «Le bateau appartient à l’Etat du Sénégal, c’est lui qui définit la politique d’exploitation de ce navire. Les tarifs du navire ont été fixés d’autorité et homologués par l’Etat du Sénégal», fait remarquer Mamadou Kane, directeur commercial de la société Cosama sa. Il précise tout de même que ces tarifs ne permettent pas de prendre en charge les coûts d’exploitation du navire que sa société a en charge. «Ce sont des tarifs sociaux. Maintenant, pour combler le gap qui existe entre ces tarifs et les charges d’exploitation du navire qui coûtent excessivement cher, l’Etat a décidé de subventionner les billets pour les Sénégalais résidents à hauteur de 57%», a-t-il dit. Avant de conclure «Ce navire est une ligne intérieure, domestique destinée à désenclaver la région de la Casamance et non une ligne internationale c’est pourquoi, l’Etat ne peut subventionner que les tickets des nationaux résidents. Les étrangers comme pour les Sénégalais non-résidents paient le plein tarif. Car ils ne sont pas concernés par cette subvention qui vise à faciliter le déplacement des nationaux résidents à l’intérieur du pays».
La municipalité se Démarque - "Le Port vit sur le dos de Gorée"
Selon Méthiour Sèye, directeur administratif du Syndicat d’initiative et du tourisme de l'île de Gorée, est d'avis que : «Cette catégorisation des usagers de la chaloupe avec des tarifs différents n’est pas normale, c’est de la discrimination». A ceux qui pensaient que cette tarification profitait à la municipalité, il rétorque : «la mairie de Gorée ne gagne rien sur la chaloupe". Au contraire, c'est «le port qui vit sur le dos de Gorée". Méthiour Sèye fait ainsi remarquer que : "la liaison maritime Dakar-Gorée existe parce qu’il y’a Gorée. Et s’il n' y avait pas Gorée, cette liaison n’aurait pas existé. Et c’est vraiment dommage pour Gorée».Et pour cause : «La Commune de Gorée ne fait pas partie de la convention qui régit la liaison maritime Dakar-Gorée. Elle n’a jamais été impliquée dans la tarification. Elle est seulement impliquée dans la commission de contrôle". Méthiour Sèye de poursuivre : «Il y avait une convention qui a été signée en 2002 pour que le Port puisse verser une subvention annuelle de 20 millions de francs Cfa à Gorée mais cette subvention n’est pas régulière. En dix ans, la commune n’a reçu que trois subventions».
«Seuls les élèves et étudiants en excursion sont exemptés de la taxe de 500Fcfa»
Interpelé sur la taxe de 500 FCFA réclamée aux touristes débarquant sur l’île , qui s'en offusquent du reste en dénonçant le fait qu’ils sont les seuls y à être soumis, Methiour Seye explique : «la commune ne peut pas faire face, toute seule aux dépenses liées à la propreté et à l’assainissement de l’île. Nous avions demandé au Port d’inclure dans les billets de la traversée cette taxe, ce qu’il n’a pas voulu. Pour donc maintenir l’île toujours propre, le conseil municipal dans une de ses délibérations en 2005, a institué le paiement de la taxe dite de cession de service municipal qui est obligatoire pour tout visiteur excepté les élèves et étudiants qui viennent en excursion pédagogique».