UNE BOMBE À RETARDEMENT ?
TUNNEL DE SOUMBÉDIOUNE
Dans la capitale, certains points et zones sont à tort ou à raison pointés comme à risque. Dans le lot, le tunnel de Soumbédioune, véritable piscine à chaque saison de pluie, célèbre pour son coût, ses balafres et les controverses ayant accompagné sa construction.
Comment l’ingénieur chargé de la supervision de la construction du tunnel de Soumbédioune s’y est-il pris pour livrer un ouvrage qui devient non opérationnel après une pluie ? Cette question revient systématiquement durant la saison pluvieuse. Cette année encore, rebelote ! Pis, c'est une psychose qui s'installe au fil des années chez les usagers qui craignent un jour ou l'autre l’effondrement.
Les rumeurs ont la vie tellement dure que l'une d'elles, non vérifiées ou non vérifiables, indique que l'on ne verra pas souvent des ressortissants d’une grande puissance mondiale établis au Sénégal emprunter ce tunnel. Une prudence qui découlerait d'une instruction diplomatique qui aurait été discrètement suggérée aux dits ressortissants. C’était au début de la mise en service de l’ouvrage.
Ce lundi à Soumbédioune. Il est 16 heures, la chaleur est torride, le climat chaud étant bien différent de celui des jours orageux précédents. Au niveau du tunnel, les voitures rivalisent de vitesse digne d'un Grand prix de Formule 1. Les automobilistes ne semblent pas se faire des soucis car tout semble net.
En s'engageant à l'intérieur du tunnel, les premières observations ne sont guère rassurantes pour un projet qui, d'après le CDE, a coûté 11 milliards F Cfa, avec un coût d'entretien de 150 millions de francs Cfa par an. Les parois très humides, les fuites et flaques d'eaux encore visibles sur le sol renseignent sur l'état pour le moins problématique d'une infrastructure inaugurée à grandes pompes à l'occasion du sommet de l'Organisation de la conférence islamique à Dakar, en 2008.
“Ce tunnel est de dernière génération ! Il est plus que sécurisé.” (Entreprise CDE)
Pas de péril en la demeure ! C'est le propos naguère avancé par le directeur général du Consortium d’entreprises (CDE), Rassène Chémali, contestant l'existence de fuites d’eau. “C’est des ruissellements qui se font sur les parois, disait-il. Et cela est valable (pour et) dans tous les tunnels du monde.”
Se voulant plus précis, son directeur d’exploitation, Cheikh Sarr, apportait des éléments comparatifs avec les 40 tunnels sous l’eau en France. Selon le technicien, 33% de ces tunnels ont fait l’objet de retouches après la fin de leur construction. Écartant toute suspicion sur la sécurité de l’ouvrage, les responsables de CDE ont estimé que cet ouvrage de “dernière génération” présente toutes les garanties de fiabilité et de sécurité.
Techniquement, relavait le Dg de CDE, ''le tunnel est plus que sécurisé''. Il est en effet bâti avec des parois moulées, ces murs qui peuvent descendre jusqu’à 15 et 25 mètres sous terre et accompagnés de fer pouvant tenir ces parois. En outre, le tunnel a bénéficié d'une dalle supplémentaire pour le maintenir. Ce qui a fait dire à Chémali que l’ouvrage repose sur trois points au lieu de deux points.
“C'est quand un accident grave surviendra que l'État commencera à se réveiller mais ce sera peut-être trop tard avec les dégâts” (Un riverain)
Mais plus de trois ans après la livraison du chantier, les doutes persistent. Pourquoi faut-il toujours fermer à la circulation automobile une infrastructure de dernière génération après de fortes précipitations ? Pourquoi ce petit tronçon se transforme- t-il systématiquement en piscine béante sur laquelle même les petits véhicules ne peuvent pas “surnager” ? Les usagers qui l'empruntent au quotidien ont leur idée sur ces questions sans réponse depuis l'origine.
Abdoulaye Diallo, chauffeur de taxi, est allongé sur la banquette arrière de sa voiture, en quête de repos. Après quelques salamalecs, il se lâche. “J'emprunte ce tunnel à tout moment et il est vrai que pendant les pluies, il est inondé. Ce n'est pas normal pour l'argent qui y a été investi”, déclare-t-il. Si l'ouvrage relève d'une bonne initiative pour faciliter les déplacements, il regrette cependant qu'il ait été “mal fait”. “Actuellement, il y a même des lumières ou lampadaires qui ne fonctionnent que dans un sens.”
Le village artisanal de Soumbédioune est le voisin le plus proche du tunnel. Joe affirme y travailler, lui le natif du quartier. “Tout le monde sait que le tunnel est mal réalisé. C'est parce qu'en Afrique nous sommes inconscients que nous l'empruntons encore”, dit-il. Lui aussi ne comprend pas ce qui a pu se passer. “Avec autant d'argent investi pour sa réalisation, on ne peut pas avoir un résultat pareil. C'est quand un accident grave surviendra que l'État commencera à se réveiller mais ce sera peut-être trop tard avec les dégâts”, affirme Joe, l'air désespéré. Puis sur un ton radical ou revanchard, il ajoute : “C'est clair que si on avait pris conscience du danger, le tunnel aurait été fermé et remis en chantier pour finir le travail. Cette histoire est bâclée et inachevée. On sait qui a entrepris et qui a bouffé les sous.”
Des voix autorisées abordent le sujet avec des arguments plus techniques. D'emblée, une clarification, disent-elles sous le sceau de l'anonymat, il faut arrêter de parler de 'tunnel' car c'en est pas un du tout.” A leurs yeux, “cet ouvrage inachevé, incohérent, mal exécuté et surfacturé, n'est rien d'autre qu'un passage dénivelé”. D'après nos interlocuteurs, “la définition d’un tunnel, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, obéit à une règle d’or : l’ouvrage doit être couvert dans ses trois dimensions géométriques gauche, droite, haut et bas soit par la roche ou le milieu continu que l’on traverse (les mécaniciens des fluides savent de quoi il s’agit).”
Ensuite, concernant les “fuites” contestées par les responsables de CDE, nos interlocuteurs semblent d'accord, mais ils y mettent un bémol peu rassurant pour les usagers. “Ce qui se passe est beaucoup plus grave, à la limite même dramatique”, soutiennent-ils non sans égratigner les concepteurs et réalisateurs de l'ouvrage. “Il y a des gens qui se disent ingénieurs, mais on se rend compte qu'ils semblent avoir oublié jusqu’au premier chapitre de leurs cours de résistance de matériaux et de géotechnique.” L'une des sources contactées par EnQuête manque de s'étrangler de rage quand il entend dire que “dans tous les ouvrages et tunnels du monde, il y a des fuites et que c’est tout à fait normal. Je voudrais bien rendre visite à ces ingénieurs, leur retirer leur diplôme et les poursuivre devant les tribunaux pour parjure, mensonge, calomnie, usurpation de fonction, détournement d’objectifs et de biens.”
“Je voudrais bien rendre visite à ces ingénieurs, leur retirer leur diplôme et les poursuivre devant les tribunaux pour parjure, mensonge, calomnie, usurpation de fonction, détournement d’objectifs et de biens” (Un ingénieur)
En réalité, “dans les tunnels du monde, les seuls cas où il a été aménagé ce que l’on appelle “des points d’équilibre piézométrique” sont les cas où la pression interstitielle est trop importante. Et pour éviter les dégradations dues à la pression de l’eau provenant généralement d’une nappe phréatique ou de la masse d’eau aux alentours (mer, fleuve ou cours d’eau), l’eau est drainée et évacuée sans incidence sur le trafic, et la structure est sauvegardée dans ces cas précis”, explique notre interlocuteur. “Or, dans le cas de Soumbédioune, poursuit-il, on se rend compte que les parois et le “plafond” suintent de partout, que la chaussée se déforme et se dégrade chaque jour davantage.”
Selon nos interlocuteurs, il n'est même plus nécessaire aujourd'hui de rappeler que “ce travail a été fait au pifomètre et que c'est en cours de travaux que des soi-disant spécialistes ont été appelés à la rescousse pour servir de faire-valoir”.