"UNE DISSIDENCE PEUT ÊTRE UNE CANDIDATURE CRÉDIBLE POUR L’AFP"
YORO DIA, ANALYSTE POLITIQUE
Selon l’analyste politique Yoro Dia, même si une candidature officielle de l’Alliance des forces du progrès en 2017 est perdue d’avance, une dissidence pourrait être une alternance crédible.
Comment appréciez-vous la crise qui secoue l’AFP depuis quelque temps ?
L’Alliance des forces du progrès (AFP) est en train de vivre cette situation, le Parti socialiste (PS) va également vivre cette même situation. Fatalement le débat va se poser parce que c’est un débat au cœur de la démocratie et des partis politiques. Donc c’est un débat simple qui se pose après trois ans de compagnonnage avec Macky Sall. Ce qui est anormal et bizarre, c’est que cela se règle avec des coups de poing et des injures. Dans tous les partis politiques, il doit y avoir un débat interne, tranché par les instances. Ce qui est en train de se passer dans certaines formations montre à suffisance que le niveau des partis politiques n’est pas encore à la hauteur de notre démocratie. Le Sénégal est une très grande démocratie mûre et majeure, mais les partis politiques n’ont pas encore la maturité nécessaire. Les secrétaires généraux de partis se comportent toujours comme des mandarins, comme dans des partis soviétiques de centralisme démocratique où seul le secrétaire général indique la voie et décide de tout. C’est une très bonne chose qui arrive à nos partis politiques, c'est-à-dire ces secousses internes qui vont les hisser à la hauteur de notre démocratie. Mais une grande démocratie suppose de partis politiques avec des débats internes sans qu’il y ait des injures et des coups de poing.
Cette crise ne pose-t-elle pas le problème de la succession de Moustapha Niasse ?
Non ! Vous savez, un parti politique, comme disait Djibo Kâ, ce sont des libertés en mouvement. La grandeur d’un homme politique, c’est de créer des choses qui vous survivent. Mais si quelqu’un doit créer un parti politique qui disparaît avec lui, cela n’a rien de grand. Un parti politique est un instrument de conquête du pouvoir. Mais il peut arriver, après avoir créé un parti politique, que le fondateur lui-même ne parvienne pas à conquérir le pouvoir. La grandeur dans ce cas, c’est de transmettre le flambeau à une nouvelle génération qui va tenter sa chance. C’est pourquoi en termes de science politique, je dis que le seul parti que nous avons au Sénégal, c’est le PS. Senghor a créé le parti, il est parti, le parti est resté, Abdou Diouf l’a dirigé, quand il est parti, le parti est resté. Tanor dirige le parti et quand il partira, le parti va rester. Même pour le PDS, on n’est pas encore sûr. Est-ce qu’il va survivre à Abdoulaye Wade ? L’avenir nous le dira.
Mais quel est le discours politique qu’un candidat de l’AFP pourrait tenir aux Sénégalais en 2017 si on sait que le parti de Niasse est comptable du bilan de Macky Sall ?
Le PS et l’AFP sont dans la même situation. Une candidature officielle du PS en 2017 est perdue d’avance de même qu’une candidature officielle de l’AFP. Si vous êtes resté pendant trois ans avec un régime, vous ne pouvez pas avoir un discours crédible. Alors qu’une élection présidentielle est une question de discours, toute candidature étant une contestation du candidat sortant. Mais une dissidence peut être une candidature crédible.
Est-ce obligatoire pour l’AFP de présenter une candidature en 2017 ?
Ce n’est pas à moi d’en décider. C’est aux militants de l’AFP d’en décider. La question qui se pose est : est-ce que l’AFP a suffisamment de forces en interne pour bâtir un discours, créer un rapport de forces et aller à la présidentielle ?
On vous repose la question ?
Cela dépendra du discours que son candidat va tenir aux Sénégalais. En 2012, Macky Sall a gagné la présidentielle devant des partis cinquantenaires, devant des partis biens structurés et bien organisés. Il n’y a pas de partis mieux organisés que les partis de gauche et il n’y a pas de partis plus implantés dans le pays que le PS et le PDS et malgré tout, Macky Sall a gagné. Tout dépendra du choix de l’AFP et de qui va porter le discours.
Est-ce qu’une absence de l’AFP à la présidentielle de 2017 ne risque pas de la faire disparaître de l’échiquier politique sénégalais ?
Non pas du tout. Il y a plein de partis qui ne vont jamais aux élections et d’ailleurs, c’est une bizarrerie à partir du moment où la vocation d’un parti politique, c’est de conquérir le pouvoir. Moi je crois que depuis 2012, c’est impensable d’avoir une élection présidentielle sans une candidature officielle ou bien une candidature dissidente du PS ou de l’AFP. Ce qui se pose actuellement, c’est qu’à la tête du PS ou de l’AFP, vous avez des leaders qui sont dans une logique fonctionnaliste. Qui restent à la tête du parti par instinct de survie politique. Et vous avez d’autres générations qui estiment que le parti ne doit pas être un instrument fonctionnaliste au service du secrétaire général. C’est un débat extrêmement intéressant sur le plan politique qui ne doit pas se régler par des coups de poing et des injures.
Comment entrevoyez-vous l’avenir politique de Moustapha Niasse ?
Je ne pense pas que politiquement Moustapha Niasse puisse aller plus loin. 2012 a été sa dernière élection présidentielle. 2017, il a été très clair en disant qu’il n’est pas candidat. Je ne vois pas Moustapha Niasse être candidat en 2022. Peut-être que la présidence de l’Assemblée nationale va être le dernier poste qu’il va occuper. Il est en train de travailler sur sa sortie de la scène politique et de l’histoire. Il veut avoir une sortie honorable mais l’AFP est en train de lui dire que sa sortie honorable ne doit pas hypothéquer l’avenir du parti et les ambitions des autres générations.
Quel est le scénario qui risque de se passer au sein de l’AFP ?
Il n’y a pas de scénario. La politique, c’est une question de rapport de forces. Cela dépendra du rapport de forces entre Moustapha Niasse et ses dissidents.