UNE DPG QUI PEUT RAPPORTER GROS
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Quand les urgences sont à l’économique et au social et que les soucis d’une plus grande justice sociale préoccupent, voir le sport glisser dans la Déclaration de politique générale (Dpg) du Premier ministre traduit un intérêt particulier pour ce secteur. Cet intérêt ne se transcrit pas dans les indicateurs budgétaires, ce domaine étant un des plus déshérités en termes d’affectation des ressources publiques (moins d’un pour cent des finances nationales), mais il s’impose par sa dynamique populaire et un coefficient de populisme qui peut tendre vers l’infini.
Même s’il s’est agi de l’effleurer, la note sportive a été de la symphonie pour que celle-ci soit complète. Dans la Dpg présentée lundi par le Premier ministre devant l’Assemblée nationale, le sport tient en deux «ut» majeurs. D’une part, la mise en place d’un Fonds national de développement du sport. D’autre part, la création d’une Fondation. Le premier «est destiné à assurer une gestion ciblée des sportifs de haut niveau, dans le cadre de leur préparation (et) d’appuyer les fédérations avec lesquelles l’Etat sera lié par une convention, avec des objectifs à moyen et long terme». Le second servira à «mieux capter les fonds issus du sponsoring, du mécénat, des collectivités locales et du secteur privé».
Pour l’heure, on en est aux intentions politiques. C’est dans leur matérialisation et dans leurs mécanismes de fonctionnement qu’on pourra les juger, en attendant de les évaluer à leurs résultats. Ces intentions peuvent cependant s’apprécier à l’aune de leur pertinence.
Un constat frappe. C’est que le cadre politique sportive défini par le Premier ministre apparaît essentiellement tourné vers une dimension élitiste. Le souci de la démocratisation et de la massification d’une pratique pour tous, qui structure la base et assoie l’édifice, est occulté. Peut-être pas ignoré, mais guère affiché comme axe fondamental.
L’objectif d’«épanouissement de notre jeunesse» visé par le gouvernement semble se résumer dans l’atteinte de performances de «haut niveau». La création du fonds de développement du sport est chargée d’y concourir. Cela semble d’ailleurs être son sens et sa finalité. Et les fédérations sportives qui y ont accès seront évaluées «en termes d’objectifs à moyen et long terme».
A travers une telle philosophie, on risque d’aller vers une perversion poussée du système actuel. Quel que soit le «long terme», l’imposition du «contrat à résultats» continuera de nourrir cet esprit de campagne qui conduit à emprunter, depuis des décennies, des raccourcis tortueux sans jamais chercher à bâtir sur un processus évolutif solide.
La performance de «haut niveau» peut aussi être celle des étapes intermédiaires, mais l’absence d’orientation politique affirmée pour la prise en charge et la promotion de ces catégories, dont la faiblesse mine les assises du sport, semble orienter les attentes vers une élite bien définie. La prime à l’excellence demeure le moteur du sport, mais un élitisme dont les bases n’assurent pas une fonction de reproduction entretenue, contribue, à court terme, à l’extinction de la race.
De manière positive, on peut espérer voir ce Fonds de développement se présenter comme un plus venant s’ajouter aux dotations destinées à la Haute compétition. Un plus aussi par rapport au Fonds de relance. En quelque sorte, un troisième pipeline d’où viendra le supplément permettant (au moins) d’atteindre le 1 % du budget promis au sport dans le «Yoonu yokute».
Avec une bonne articulation de ces trois leviers, il est possible d’aboutir à un maillage financier pour une prise en charge optimale du sport dans toutes ses dimensions. Le Fonds de relance pour le travail à la base, l’habituelle dotation budgétaire pour la Haute compétition et le fonds de développement pour la prise en charge du haut niveau.
Avec une telle implication budgétaire, la politique de «diversification du financement» du sport que prône le gouvernement ne reviendrait pas à consacrer une nouvelle forme de délégation des pouvoirs conduisant l’Etat à se décharger de ses responsabilités. Surtout que la Fondation dont il est question pour servir de creuset à cette initiative de diversification s’appuie sur quatre sources de revenus d’une réelle fragilité.
Le mécénat est une formule archaïque et aléatoire qui ne peut sous-tendre le développement du sport dans une logique de performance soutenue. Le sponsoring obéit à une loi du marché qui consacre quelques élus et ignore la grande masse. Les collectivités locales sont exsangues. Le secteur privé, depuis trente ans que Sénégal est sous ajustement structurel (plus politiques assimilées), n’étale que des souffrances. L’Algérie et l’Angola ont bâti leur sport en s’appuyant sur ce secteur, mais il s’agissait d’un privé national fort. Au Sénégal, les poids lourds de l’industrie et de la haute finance répondent d’une autre nationalité.
En additionnant les négatifs, on peut aboutir à du positif. Mais c’est de la mathématique. On peut partir de cette logique pour penser que cette Fondation peut se bâtir sur un mécénat qui est d’un autre âge, sur le sponsoring dont les intérêts sont bien ciblés et sur des privés plus velléitaires que solidaires avec le sport. Mais il vaudrait mieux que l’Etat fasse l’effort de rester dans son rôle central.