UNE PHILANTHROPIE SUSPECTE
CENTRE DE FORMATION DE FOOTBALL ASPIRE
La «philanthropie» du Qatar à travers l’installation du centre Aspire Académie dans les pays en voie de développement (Afrique et Asie) ne fait pas que des heureux. Au Sénégal, en plus de la non-affiliation du centre à la Fédération sénégalaise de football, est venue se greffer une «difficulté» de la disponibilité des Académiciens lors des sollicitations en sélections nationales. Ici et ailleurs, l’émirat (100 km de large et 150 km de long) est suspecté de vouloir enrôler les jeunes talents africains en perspective de sa coupe du monde 2022.
Fondé en 2003 dans une démarche pressentie comme «sociale et humanitaire», Aspire Academy est en réalité un centre de formation international de football. A travers ce centre, les autorités du Qatar ont fait le choix de recruter des jeunes talents issus des pays en voie de développement de l’Afrique et d’Asie. Cet élan de «générosité» du petit émirat n’est toutefois pas dénué d’un intérêt sportif et financier, puisque le but recherché par les responsables de la Fédération Qatarienne, selon des sources dignes de foi, est de former des très jeunes puis de les «naturaliser» en vue de la coupe du monde 2022 qui sera justement organisée par le Qatar.
Le royaume Qatari récuse cependant cette thèse en affichant sa «bonne foi» dans la collaboration avec les fédérations des pays dont sont originaires les jeunes footballeurs africains et asiatiques. Toutefois, des doutes sérieux subsistent quant à leur dessein.
Il est connu que le Qatar n’est pas un pays de football au sens international du terme, même si Cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani, au pouvoir depuis le 27 juin 1995 suite à un «coup d’état» contre son père en séjour en Suisse, passe par le sport pour donner plus de visibilité à son pays. Coupe du monde de football en 2022, championnats du monde de handball en 2015, sponsoring du FC Barcelone, rachat du Paris-SG, tennis, cyclisme, moto, golf... Tout y passe !
101ème au dernier classement mensuel de la Fifa, le Qatar n’a jamais goûté aux délices d’une coupe du monde. Or, en 2022, il sera qualifié d’office en tant que pays hôte de la plus grande fête du football mondial. Se faire balayer dès le premier tour serait pire qu’une humiliation. Même si ce n’est pas une première, (l’Afrique du Sud a connu le même sort en 2010), ce serait un autre alibi pour les populations de déserter les gradins. Pour éviter un tel désastre, le Qatar serait tenté de «cloner» certains pays en y ajoutant sa dose de subtilité.
Lors de la Can 2012, la Guinée Equatoriale a recruté des «mercenaires» africains notamment des Maliens, des Camerounais pour former le Nzalang Nacional.
Rappelons que lorsque la Fifa avait pris une directive permettant aux joueurs étrangers ayant une double nationalité de changer d’équipe nationale, le Qatar avait sorti un trésor de guerre pour enrôler certains footballeurs, même d’Europe. Ce qui avait obligé l’instance du football mondial à mettre des garde-fous pour éviter que ce que l’émirat a réussi avec les autres disciplines sportives n’arrivent au football. Sa politique de naturalisation reste incarnée par le Kényan Stephen Cherono devenu Saif Saaeed Shaheen, toujours détenteur du record du monde du 3000 m steeple.
RACHAT DE L’AS EUPEN (D2, BELGIQUE)
Le rachat par la fondation qatarie Aspire du club de deuxième division belge Eupen pour un montant «modeste» mais non encore officiellement divulgué, n’a fait qu’ajouter à la suspicion sur la volonté supposée ou réelle de l’Etat d’émirat d’enrôler les joueurs issus du centre.
Les jeunes talents africains et asiatiques peuvent désormais se frotter aux meilleurs en Europe en conservant leur nationalité d’origine. Au Sénégal, Diawandou Diagne, Ibrahima Diédhiou y poursuivent leur carrière. D’autres jeunes pourront les y rejoindre. Que pourrait-il alors se passer quand ils atteindront l’âge de la majorité et que le Sénégal ne sollicite pas leur compétence ? Ils peuvent bel et bien tomber dans les filets de l’équipe qatarie. Et au vu de la puissance financière de l’émirat, certains pays d’Afrique auront du mal à contrer cette orientation. D’autant plus qu’ils peuvent aussi jouer avec la réglementation de la Fifa.
En effet, l’article 17 de la circulaire N°1147 relative au règlement d’application des Statuts de la FIFA, notamment l’acquisition d’une nouvelle nationalité pourrait être utilisé à souhait par le Qatar.
Cette disposition stipule : «Tout joueur qui s’appuie sur l’art. 15, al. 1 pour acquérir une nouvelle nationalité et n’a pas disputé de match international conformément à l’art. 15, al 2 ne peut se qualifier pour jouer dans la nouvelle équipe représentative que s’il remplit l’une des conditions suivantes : a) il est né sur le territoire de l’association concernée ; b) sa mère ou son père biologique est né(e) sur le territoire de l’association concernée ; c) sa grand-mère ou son grand-père est né(e) sur le territoire de l’association concernée ; d) il a vécu sur le territoire de l’association concernée au moins cinq années consécutives après ses 18 ans».
Pour appliquer une telle condition, le Qatar pourrait intégrer certains joueurs dans son championnat pour cette période afin de les enrôler.
Déjà, les gardiens Baba Malick Ndiaye et Gassama évoluent depuis des années dans le championnat qatari. Pis, la coopération entre la Fédération sénégalaise de basketball et le Qatar avaient suscité aussi beaucoup d’interrogations. Parce que plusieurs joueurs sénégalais déclinaient leur convocation, sans raisons valables. On n’en est pas encore là avec le football. Mais comme le dit l’adage : «chat échaudé, craint l’eau froide».
L’ETAT SOUFFLE LE CHAUD ET LE FROID
«Au sein du ministère des Sports, nous n’avons aucun dossier concernant Aspire. L’activité de football a été déléguée à la Fédération sénégalaise de football». C’est cette réponse laconique que le directeur des activités physiques et sportives (DAPS), Cheikh Sarr, nous a servi au téléphone hier, mercredi 9 avril 2014. Est-ce à dire que l’Etat du Sénégal ignorerait-il tout de ce centre qatari installé dans notre pays depuis sept ans ? A priori non ! Et pour cause, le ministre des Sports, Mbagnick Ndiaye avait demandé à la FSF de mener une enquête sur pour lui apporter des éclairages sur Aspire.
Mieux encore, le président de la République, Macky Sall avait invité le centre du Qatar à une meilleure implication dans notre football. «Je profite de ma présence à Saly pour lancer une invitation à l’Académie Aspire, en tant que club, pour une implication plus grande dans le mouvement sportif sénégalais et à ses compétitions nationales», a déclare le Chef de l’Etat parti inauguré le centre Diambars. «Ce qui contribuera, sans doute, au renforcement du niveau technique de notre football professionnel, qui constitue pour mon Gouvernement, une préoccupation».
Toutefois, si le DAPS a préféré donner sa langue au chat, d’autres sources au ministère des Sports sous le couvert de l’anonymat estiment que «c’est une affaire qui devrait être tirée au clair». Un de nos interlocuteurs parle même d’une «nébuleuse» que l’Etat gagnerait surveiller.
AUGUSTIN SENGHOR, PRESIDENT DE LA FEDERATION SENEGALAISE DE FOOTBALL (FSF) - « ASPIRE POSE UN PROBLEME DE SOUVERAINETE NATIONALE »
Le président de la Fédération sénégalaise de football n’est pas du tout convaincu des arguments avancés par Lamine Savané sur la non affiliation d’Aspire à l’instance fédérale. Pis, Me Augustin Senghor qui déplore quelques difficultés relatives à la mise à disposition des joueurs issus de ce centre qatari, estime qu’«Aspire pose un problème de souveraineté nationale».
«C’est une question qui relève de la souveraineté de l’Etat. Le ministère des Sports avait demandé de mener une enquête. Nous continuons à utiliser les joueurs de Aspire en faisant contre mauvaise fortune bon cœur. Mais, même leur utilisation doit convenir au Qatar», a déploré le maire de Gorée.
«Quand nous avons besoin de joueurs d’Aspire, il faut que la convocation arrive très tôt. Récemment, nous les avons sollicités, mais ils ont dit qu’ils ont une tournée en Espagne. Or, la règle internationale voudrait qu’ils libèrent les joueurs. C’est pourquoi, je pense qu’il faut vraiment poser le débat pour régler ce problème», a ajouté Me Augustin Senghor.
Toutefois, à la question de savoir s’il ne suspecte pas le Qatar de vouloir enrôler ces jeunes en perspective de la coupe du monde 2022, le patron du football sénégalais soutient ne pas disposer de preuves que c’est le but final du centre. En revanche, prévient-il, «dès l’instant que les gens en parlent, il faut prévoir cette probabilité», non sans ajouter: «les règles de protection des mineurs de la Fifa devraient faire échec à une telle tentative, si jamais, c’est la volonté du Qatar». Quid de leur majorité ? Mystère!
Revenant sur l’affiliation d’Aspire à la Fsf, Me Augustin Senghor balaie d’un revers de la main l’argument consistant à mettre en avant l’aspect panafricain du centre. «Cet argument ne me parait pas pertinent. Aspire aurait pu s’affiler et obtenir des dérogations», dit-il. Mais comment alors ? «Nous pouvons demander à la Fifa de permettre aux joueurs étrangers de disputer des matches sans que les résultats ne soient pris en compte».
MBAYE DIOUF DIA, RESPONSABLE DE FOOTBALL DES JEUNES - «C’EST INCOHERENT DE DEMANDER A ASPIRE DE S’AFFILIER»
Responsable de football des Jeunes au sein de la Fédération sénégalaise de football (Fsf), Mbaye Diouf Dia a pris le contre-pied du président de l’instance sur l’affiliation du centre de formation Aspire. « Cela relève d’une incongruité .Aspire est une institution qui recrute au niveau international. Par conséquent, ce n’est pas possible qu’il s’affilie à la Fédération sénégalaise de football. Ce serait même incohérent», a-t-il déclaré. Le responsable du football des jeunes à la Fsf, par ailleurs président de Touré Kunda d’ajouter : «99% l’effectif de Aspire est composé d’étrangers. Et tout le monde sait que les réglementations de la Fifa et de la Caf interdisent le transfert des joueurs mineurs. Pour le moment, nous les utilisons souvent dans nos sélections des jeunes». «Mais quand ils atteindront l’âge de la majorité, libre à eux de choisir la nationalité qu’ils voudront (sic). Il ne faut pas quand même perdre de vue que nous avons des binationaux dans notre sélection nationale. Je veux parler des Moussa Sow, Demba Bâ, entre autres. On ne veut pas vouloir une chose et son contraire», peste-t-il. Pour Mbaye Diouf Dia, «si au-delà de 18 ans, Giresse ou tout autre sélectionneur qui sera sur le banc des “Lions“ décide de ne pas les prendre ou les néglige, ils peuvent aller jouer ailleurs».
NDOFFENE FALL, MEMBRE DU JARAAF DE DAKAR - «CES JEUNES RISQUENT DE NOUS ECHAPPER»
Ndoffène Fall, chargé du sport au Conseil supérieur du Jaraaf de Dakar, attire l’attention des autorités sénégalaises sur le « risque » de voir des jeunes joueurs issus d’Aspire, échapper au Sénégal à leur âge de majorité. Sans citer nommément le Qatar comme leur pays de chute, l’ancien manager général du club le plus titré du Sénégal, soutient que «Aspire est avant tout un centre de formation qui regroupe les meilleurs jeunes joueurs de différentes nationalités. Moi, la seule question que je me pose, c’est qu’il forme à quelle fin ? Quelle peut-être la finalité recherchée dans cette formation de nos jeunes ?»
Aujourd’hui, ajoute l’ancien international sénégalais, « Aspire ne peut pas s’affiler. Il est aussi interdit de transférer les jeunes de moins de 18 ans. Nous, tous avons vu la sanction pécuniaire que la Fifa a infligée au Fc Barcelone et l’interdiction qui lui est faite de ne pouvoir recruter sur deux mercatos pour avoir outrepassé les règles ».
«La réalité avec Aspire, confie-t-il, c’est qu’il y a du dilatoire dans cette affaire. On doit protéger les jeunes qui font l’objet de convoitises. Sinon, ils risquent de nous échapper quand ils atteindront l’âge de la majorité sportive. Si la Fifa, elle-même a pris le soin de protéger ces garçons, c’est pour éviter ce genre de situation. Malheureusement, le constat c’est qu’ils n’ont aucun statut», regrette Ndoffène Fall.
LAMINE SAVANE RENVOIE SES DETRACTEURS AUX TEXTES DE LA FIFA
La remise sur le tapis de la question de l’affiliation d’Aspire n’ébranle guère Savané. Le responsable du Centre qatari de l’Afrique de l’Ouest, dit être « en phase » avec les lois et règlements qui régissent le football mondial. Il renvoie les détracteurs, d’Aspire aux textes de la Fifa.
Quant à la dérogation suggérée par Me Augustin Senghor, Lamine Savané soutient : «C’est la première fois que j’entends parler d’une telle option». «Pourtant, s’étonne-t-il, Me Senghor était très à cheval sur les textes. Le règlement de la Fifa est très clair. D’ailleurs, il y a un nombre incalculable de clubs au Sénégal qui ne sont pas affiliés à la Fédération sénégalaise de football. Aspire, je le répète encore une fois, est une entité panafricaine. Par souci d’équité, on ne peut pas se permettre de laisser les joueurs sénégalais jouer le championnat et laisser les autres. Nous sommes régis par les textes de la Fifa».
Quid des difficultés liées à la mise à disposition des joueurs à la sélection, Lamine Savané balaie d’un revers de la main. «A chaque fois que nous avons été sollicités à temps, nous avons mis nos joueurs à la disposition du Sénégal. La preuve, ils étaient au Mali. Alioune Cissé les a eus à Toubab Dialaw. Je veux juste que les gens soient mieux organisés dans leur planning, parce que nous avons un calendrier sur une année où tout est calé. Avec une organisation claire, on ne pourra avoir aucune difficulté», dira Lamine Savané.
A ceux qui pensent qu’Aspire va servir au Qatar de pépinière en perspective du Mondial 2002, M. Savané répond : «ça fait sept ans que nous sommes là. Il suffit d’aller dans le site de la Fifa pour voir les critères sur le changement de nationalité», s’est contenté de dire, l’ancien international sénégalais de basketball.
Mieux, confie-t-il, «nos jeunes ont pris part à la coupe du monde des jeunes avec la Côte d’Ivoire, avec le Nigeria qui a d’ailleurs remporté le dernier trophée. Mais comme les gens continuent à parler de ça, il n’y a qu’avec le temps qu’on saura».
Quid du rachat de l’As Eupen en Belgique ? Lamine Savané n’y voit qu’ « un simple tremplin » pour Aspire.
REGLEMENT D’APPLICATION DES STATUTS DE LA FIFA
VII. éligibilité des joueurs en équipe représentative
Article 15 Principe
Tout joueur possédant à titre permanent la nationalité d’un pays et ne dépendant pas d’un lieu de résidence dans un pays donné est qualifié pour jouer dans les équipes représentatives de l’association dudit pays. Tout joueur qui a déjà pris part, pour une association, à un match international (en tout ou partie) d’une compétition officielle de quelque catégorie que ce soit ou de toute discipline de football que ce soit ne peut plus être aligné en match international par un autre membre, sauf en cas d’exceptions comme stipule ci-après à l’article. 18.
Article 16 : Nationalité permettant à un joueur de représenter plus d’une association
Un joueur que sa nationalité autorise à représenter plus d’une association en vertu de l’article 15 peut ainsi participer à un match international pour le compte de l’une de ces associations uniquement si, en plus d’avoir la nationalité de cette association, il remplit au moins l’une des conditions suivantes :
a) il est né sur le territoire de l’association concernée ;
b) sa mère ou son père biologique est né(e) sur le territoire de l’association concernée ;
c) sa grand-mère ou son grand-père est né(e) sur le territoire de l’association concernée ;
d) il a vécu sur le territoire de l’association concernée au moins deux années consécutives. Nonobstant I‘article. 1 ci-dessus, les associations partageant une même nationalité peuvent passer un accord visant à annuler purement et simplement I’article. 1d du présent article ou à I ‘amender de manière à rallonger ce délai. Un tel accord devra être approuvé par le Comite Exécutif.
Article 17 : Acquisition d’une nouvelle nationalité
Tout joueur qui s’appuie sur l’article. 15, alinéa. 1 pour acquérir une nouvelle nationalité et n’a pas disputé de match international conformément à l’article 15, alinéa 2 ne peut se qualifier pour jouer dans la nouvelle équipe représentative que s’il remplit l‘une des conditions suivantes :
a) il est né sur le territoire de l’association concernée ;
b) sa mère ou son père biologique est né(e) sur le territoire de l’association concernée ;c) sa grand-mère ou son grand-père est né(e) sur le territoire de l’association concernée ;