MULTIPLE PHOTOSUNE PHOTO, TOUTE UNE HISTOIRE
La formule fait partie des phrases cultes du journalisme. Au premier cours de photo à l’école, elle s’incrustait dans votre cerveau en même temps qu’on vous posait douillettement un appareil entre les mains. "Une photo vaut mille mots", vous serinait-on. Peut-être qu’auparavant vous étiez déjà tombé sur la célèbre devise de Paris Match qui clame : "Le poids des mots, le choc des photos." Fixer ainsi l’histoire en une fraction de seconde, suspendre l’envol du temps en un clic, tout dire dans le silence d’une image qui parle est un art dont le sport offre souvent des œuvres d’art exceptionnels.
On a beaucoup écrit sur Sénégal-Egypte (2-0) du 5 septembre dernier. Ce match que les "Lions" ont dominé, devant des "Pharaons" écrasés par tant de supériorité, aurait pu se résumer à une image. Elle est superbe, elle concentre tout. Elle était noyée dans le florilège des photos que le photoreporter du journal déverse dans le "serveur" au retour du stade. Dans la ferveur et l’urgence du bouclage, ce sont des merveilles du genre qui peuvent vous passer sous le nez.
Suspendu entre ciel et terre, l’équilibre du corps reflétant une course mesurée, l’allure traduisant un sprint lancé sur les bases d’un record du 100 m, l’œil rivé sur un ballon dont la conduite attend son pied, l’énergie et la détermination se lisant dans l’ampleur de la foulée, Cheikhou Kouyaté est superbe.
Le boulevard que s’ouvre le milieu de terrain des "Lions" passe entre deux Egyptiens. Dépassés, figés, oubliés, ils ne sont plus dans l’action. Ils font partie du décor. Leur impuissance est visible, leur soumission évidente. Face au grand large qu’on devine devant Kouyaté, on pense aux horizons de conquête pour un joueur qui déchire l’espace, actionne la relance et imprime cette vitesse qui fait la différence et demeure essentielle dans la recherche du déséquilibre.
Tout le 2-0 réussi par les "Lions" devant les "Pharaons" aurait pu s’expliquer par cette photo. Aussi bien la manière que le résultat.
On regarde encore la photo et on pense à cet idéal de joueur "box to box" vers lequel tend Kouyaté, dans le championnat anglais de Premier League qu’il vient de rejoindre. A ces avaleurs d’espace qui actionnent les contres fatals en anticipant les reconstructions et les réorganisations défensives. A ces porteurs de ballon qui font le relais entre la récupération défensive et la relance offensive. Non pas en lançant de longs ballons, mais en cherchant la profondeur et la percussion qui affolent et favorisent les ouvertures d’espaces pour les courses croisées et les appels de balle.
A West Ham, on compare déjà Kouyaté à Patrick Vieira. En attendant le talent et l’impact qui caractérisaient l’ancien "facteur X" d’Arsenal, l’allure y est.
Photographier le sport est difficile. On n’est pas devant une estrade de meeting où l’apparition des politiques est chronométrée, encore moins devant une scène où la chorégraphie des artistes est organisée. Photographier le sport, c’est camper au bord d’un terrain où l’imprévu impose concentration, flair, réactivité, rigueur, etc. Ce qu’on perd dans l’instant qui passe ne se reproduit plus jamais. Le sport n’est pas de la mise en scène, mais un scénario en mouvement dont les actes se suivent pour s’écrire différemment.
On admire cette photo de Mass Dia pour tout ce qu’elle dit et ce qu’elle laisse deviner. Elle rappelle qu’à une époque où la télévision ne portait pas encore sa magie actuelle, ce sont les images figées dans le temps qui témoignaient de l’histoire pour demain. Gloire aux "anciens combattants" qui n’avaient que 36 poses dans une pellicule alors qu’aujourd’hui, le numérique permet de mitrailler à l’infini. Là où le 400 iso était le must de la sensibilité, on atteint aujourd’hui les 6000 pour la photo de nuit. Les avancées technologiques standardisent les capacités et facilitent le talent, mais il y a encore de grandes petites choses qui font la différence.
C’était Sénégal-Egypte en une photo, en un clic. Une image qu’on aime.