UNE QUESTION QUI DIVISE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
PROJET DE LOI SUR L’AVORTEMENT MÉDICALISÉ
La loi sur la légalisation de l’avortement en cas d’inceste ou de viol n’est pas encore parvenue à l’Assemblée nationale. Mais déjà, elle divise l’hémicycle. Si certains députés se disent prêts à la voter, d’autres opposent un niet catégorique à un tel dispositif qui, selon eux, est contraire aux "religions et valeurs du Sénégal".
Le député Imam Mbaye Niang, qui s’inscrit dans ce dernier groupe, explique que le gouvernement du Sénégal ne prendra jamais l’initiative de faire voter un tel projet de loi. Selon lui, "voter une loi sur l’avortement médicalisé, c’est ouvrir la voie à toutes sortes de dérives".
Interpellé sur le danger qu’un viol ou un acte incestueux, suivi de grossesse peut avoir sur la santé des victimes, le député estime qu’en pareil cas, il serait judicieux de procéder à une étude au cas par cas. Il explique : "S’il est avéré que la grossesse fait peser de réels dangers sur la santé de la maman mais surtout sur sa vie, il est préférable d’y mettre fin. Mais cela ne nécessite vraiment pas de voter une loi qui permet l’avortement, contraire à nos religions et à nos valeurs".
Un point de vue loin d’être partagé par Moustapha Diakhaté. Député et président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, ce dernier dit soutenir l’avortement médicalisé. Et il le défend en ces termes : "Il faut une loi qui admet l’avortement médicalisé au Sénégal. Cela permettra d’éviter aux filles et aux femmes victimes de viol ou de relations incestueuses suivi de grossesse, la prison ou le cimetière".
Il est primordial, selon le député de l’APR, que les pays s’acquittent de leurs engagements au plan international. Informant qu’une convention internationale est toujours au-dessus d’une loi nationale, M. Diakhaté demande au Sénégal de respecter la signature et la ratification du protocole de Maputo.
Il n’a pas manqué de lancer aux autorités politiques, députés, membres de la société civile, un appel pour un puissant plaidoyer autour de l’application, de l’avortement médicalisé. En attendant, la Task force, qui est un comité technique pluridisciplinaire composé de juristes, sociologues, médecins, sages-femmes, journalistes, religieux et universitaires, travaille d’arrachepied sur un projet de loi pour la légalisation de l’avortement médicalisé.
L’obstacle religieux
Le religieux est sans doute l’obstacle le plus loquace auquel les militants de l’avortement médicalisé doivent faire face. L’islam et le christianisme, religions les plus représentatives au Sénégal, bannissent le droit à l’avortement. Secrétaire général de la Ligue des imams et prédicateurs du Sénégal, Oustaz Dame Ndiaye explique que c’est puni par l’islam. Il soutient que "l’interruption d’une grossesse de plus de quatre mois est considérée comme un homicide. Lorsque quelqu’un met fin à une grossesse de plus de quatre mois, la religion musulmane préconise, à son encontre, la même peine infligée à un assassin : l’exécution".
L’islam fait cependant une distinction, selon la durée de la grossesse. C’est un débat d’école qui se pose à ce niveau. Certains estiment que l’avortement est considéré comme un homicide à partir de la fécondation. Pour d’autres, à moins de 4 mois de grossesse, on ne peut parler d’humain. Par conséquent, interrompre une grossesse à ce stade est considéré comme "Haram", illégal. "Tout avortement dont la porteuse enregistre une grossesse de moins de quatre mois est considéré comme haram par l’islam", rapportent les partisans de cette théorie dont Oustaz Ndiaye.
L’église catholique, elle, est plus catégorique. Elle considère la vie humaine comme "un don de Dieu". Partant de là, l’enfant est "un être vulnérable et innocent". Spécialiste de la morale chrétienne, Abbé Alphonse Seck se veut ferme : "même dans les cas les plus extrêmes d’inceste ou de viol, on n’a pas le droit d’avorter", dit l’homme d’église.
CE QU’EN DIT LA LOI
Quiconque par aliments, breuvage, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen, aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 20 mille à 100 mille francs Cfa.
Sera punie d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et d’une amende de 20 mille à 100 mille francs Cfa, la femme qui se sera procurée l’avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet.
Code de déontologie des médecins
Selon le code de déontologie des médecins, l’avortement thérapeutique n’est possible que si cette intervention est le seul moyen susceptible de sauvegarder la vie de la mère. Lorsque la sauvegarde de la vie de la mère, gravement menacée, exige une intervention chirurgicale ou l’emploi d’une thérapeutique susceptible d’interrompre la grossesse, le médecin traitant où le chirurgien devra obligatoirement prendre l’avis de deux médecins consultants, dont l’un pris sur la liste des experts près du tribunal, qui, après examen et discussion, attesteront par écrit que la vie de la mère ne peut être sauvée qu’au moyen d’une telle thérapie.