UNE SI TRISTE FIN
Le combat de trop c’est comme le verre de trop. Ces centilitres qui font perdre la raison et le sens des réalités renvoient à la fatale condition d’impuissance et de vide en soi qui habite le champion tombé dans la déchéance.
Quand on a les ressorts cassés, l’influx nerveux tari, la volonté exsangue, pour n’être plus que l’ombre de ce qu’on fut, sombrer dans le néant en étant trahi par ses illusions est la dramatique fin qui guette souvent les champions qui finissent mal. Zale Lô n’y a pas échappé.
En apprenant sa décision de quitter l’arène sur une énième défaite devant un lutteur qui n’était pas né ou qui mouillait encore ses couches quand il enchantait le public à la fin des années 1990, on pousse un ouf de soulagement.
La déchéance de Zale Lô a été une longue dérive où le champion n’était plus qu’un pantin désarticulé. Une victime expiatoire qu’on roulait dans le sable. Un tapis où les novices venaient s’essuyer les pieds pour monter vers les échelons supérieurs.
Chaque sortie de Zale, au cours de ces sept à huit dernières années, était comme une descente aux enfers qui consumait les sublimes images d’un prodige de la lutte dont les hagiographes garderont sans doute quelques moments de gloire ayant illuminé les soirs de bonheur dans l’arène.
On se souvient de ce moment au stade Assane Diouf, qui vit Zale Lô ceinturer Gambien (aussi fort et aussi élancé que lui) au niveau du buste, pivoter avec lui, réussir un calage extérieur de sa jambe, le faire plier comme un baobab creux et l’envoyer au soleil en l’enserrant dans son étreinte mortelle.
Zale avait fini dans les bras d’un Mbaye Guèye sans voix devant la limpidité du geste technique. Quand il reprit son souffle, le «Tigre de Fass» annonça à la cantonade qu’on n’avait encore rien vu. C’était au milieu des années 1990.
Mbaye Guèye n’avait pas tort. Le plus beau survint un après-midi, au stade Iba Mar Diop, où Zale Lô harcela Mouhamed Ali, lui imposa sa jeunesse et sa fougue pour terminer son œuvre par un balayage limpide qui envoya l’un des lourds les plus prestigieux de l’arène bouffer le gazon et prendre le chemin de la retraite. Il est vrai qu’Aly avait la quarantaine sonnée et n’était plus que résistant de la dernière heure, mais il faisait toujours un combattant de valeur.
Jusqu’alors, la trajectoire de Zale Lô avait été une ligne droite vers les sommets. On ne se doutait point qu’ayant quitté l’écurie Fass, pour voler de ses propres ailes, il avait quitté les rails de la gloire pour prendre les parallèles inverses de la déchéance.
Force tranquille, l’écurie qu’il avait créée, l’engagera dans le fatal chemin des désillusions et du déshonneur. Revenir à Fass ne lui redonnera pas le feu sacré. Pas plus que ses errances ultérieures.
Zale Lô aura simplement été un gâchis. Un génie en qui l’œuvre de Mbaye Guèye et de Moustapha Guèye aurait de se reproduire, pour la continuité d’une histoire qui, à ce jour, reste la plus belle qu’on ait connue dans l’arène.
Zale est progressivement devenu un combattant de l’impossible. Un compétiteur qui a vu sa prodigieuse destinée lui filer entre les doigts et qui n’a jamais fini de courser son ombre perdue dans des choix de carrière qui l’ont porté à se fourvoyer.
Fass ne lui offrait peut-être pas assez de certitudes derrière l’ombre tutélaire de Tapha Guèye ; il lui assurait cependant le cadre de confiance qui lui a manqué par la suite. Un sportif n’est pas seulement un concentré de talent.
C’est aussi une particule dans un environnement qui lui tisse la toile de confiance et de détermination pour porter son talent à une expression optimale au moment déterminant. Il s’agit là d’une réalité plus ancrée dans les sports individuels et encore davantage dans les disciplines de combats.
Le plus dur commence pour ce champion qui a raté ses ultimes marches dans l’histoire et pris la mauvaise porte de sortie. Ce n’est pas une question de dernière défaite qui le condamne. Il est rare qu’un combattant sorte de sa carrière sur les pieds, les bras levés au ciel. Il lui faut sentir l’âcre saveur de la défaite, se pénétrer de la conscience d’être arrivé au bout du rouleau, pour se forcer à l’évidence.
Le pire, c’est quand l’entêtement le pousse vers les enchaînements qui mènent au ridicule. L’erreur de Zale Lô est de n’avoir pas compris qu’il était fini depuis longtemps. Ou plutôt de ne pas s’être résolu à cette triste réalité.
La retraite d’un champion est souvent triste. Devenir ordinaire, quitter la peau de héros, vivre chichement quand on a pu dépenser sans compter, redescendre sur terre quand on a flotté dans les nuages est d’une grande tristesse.
D’aucuns sont montés haut pour ensuite gérer l’inévitable pente descendante sans briser l’icône qu’ils ont été au bas de la montagne. Leur réussite sociale a été assurée par le pactole qu’ils ont pu amasser, à moins que la reconnaissance du milieu qu’ils quittent ne continue à valoriser leur expertise pour leur assurer subsistance.
Il serait dommage que ce qui fut exceptionnel dans la carrière de Zale Lô ne finisse dans les décombres de l’histoire.