YATMA ET YÉRIM
Les anciens, ses contemporains devrait-on dire, l’appelaient Yérim Codé Diagne.
On pense à ceux avec qui il a eu à taper sur tout ce qui est rond et roulait à portée de pied dans les rues de son fief natal de Diécko, dans la Médina, où il a vu le jour en 1943.
Dans ce quartier traditionnel lébou de Dakar, on lui a récité les dernières prières lundi passé.
Ceux qui ont tracé avec lui les premières lignes de l’équipe nationale de football du Sénégal y sont venus lui rendre hommage. Beaucoup d’autres aussi.
Yérim Codé Diagne était son nom de vestiaires. Celui des derniers instants, quand retentissait l’appel de l’arbitre, avant que ne s’ouvre l’allée qui mène vers les terrains où il a sublimé sa carrière.
On le pensait saint-louisien, pour l’avoir vu faire corps et âme avec le Réveil (devenu Brack, après les fusions de 1969), là où il a débuté sa carrière en 1961-1962 pour la terminer en 1973. Mais c’est une affectation professionnelle qui l’avait conduit dans l’ancienne capitale…
Un préalable s’impose ici avant de poursuivre. Ce texte aurait pu être écrit par Yatma Diop, ancien international et ami de Yérim Diagne. Il a envoyé une mouture pour suggérer qu’on l’"explore" et qu’on l’"exploite". A la source, il confie avoir puisé dans les dossiers de Me Bocar Ly, qui prépare un nouvel ouvrage sur les figures qui ont marqué le football sénégalais.
Avec le décès de Yérim Diagne, lundi dernier, on a titré ici, mardi, que le flanc droit des "Lions" est devenu "veuf". C’était pour dire que jamais un latéral n’avait eu à honorer ce poste à la dimension où Yérim Diagne s’y exprimait. Son couloir était un cul-de-sac. Un sens interdit qui ne fonctionnait réellement que dans une direction : celle de la montée, les siennes.
Yatma Diop écrit : "Il avait surtout une technique hors pair et une vitesse de course exceptionnelle qui interdisait qu’on le débordât. Durant toute sa carrière, faite de constance dans les prestations brillantes, Yérim a laissé le souvenir d’un défenseur intelligent, technique, extrêmement combatif, mais très correct."
En dix ans de carrière, il n’a jamais reçu un seul carton. L’estime que lui vouait le public n’allait pas seulement à un footballeur talentueux, mais aussi à un homme exceptionnel.
Rien d’étonnant à cela. Yérim Diagne était un enseignant de métier. En service au lycée André Peytavin, il s’était vu remercier par la direction de l’établissement, alors tenue par des Français, du fait de ses multiples absences pour répondre à l’appel de la sélection nationale.
Yatma Diop rappelle que c’est feu Mawade Wade qui, "informé de cette situation, adressa une lettre mémorable au gouvernement. Et le ministre des Sports, sur instruction du chef de l’Etat (Ndlr : Senghor), le fit réintégrer dans l’établissement. Un autre que Yérim aurait pu raccrocher".
Quand les latéraux d’aujourd’hui désertent leur bastille et ne font plus de la médiane une limite, mais un repère, voire un tremplin, on les dit "modernes". Il faut alors croire que Yérim Diagne était un mutant.
En fait, tout cela n’est pas nouveau. Le modernisme d’aujourd’hui s’exprimait mieux hier et il y avait en Yérim Diagne ce qui faisait la renommée de Giacinto Facchetti, ce latéral gauche de l’Inter Milan qu’on appelait, dans les années 1960 le "Pelé des défenseurs".
Ce qui traduit le mieux l’esprit offensif de Yérim Diagne s’exprime à travers cette anecdote qu’il a rapportée à Waa Sports :
"Le but qui nous a éliminés devant la Rd Congo, lors de la Can-1968 (1-2), on en parle, mais je n’ai jamais su ce qui s’est passé. Quand les Congolais ont tiré le corner et que feu Amady Thiam s’est envolé pour capter le ballon, j’ai démarré sur mon flanc. Je courais pour solliciter la relance. C’est alors que j’ai entendu les cris dans le public. Je me suis retourné, le ballon était dans nos filets…"
En retombant, Thiam avait lâché le ballon, poussé au fond par Tshimanga. On était dans les ultimes secondes du match et le nul (1-1) qualifiait les "Lions" en demi-finales.
Yatma Diop écrit encore :
"Yérim a suivi et non subi l’évolution des arrières dans le football moderne. Dans le contexte sénégalais, il se distinguait nettement des autres défenseurs. Il rivalisait de classe et de virtuosité technique avec les meilleurs ailiers. Il ne blessait, ne tutoyait personne, mais imposait plutôt sa maîtrise technique, son savoir-faire, son sang-froid et sa vitesse d’anticipation et d’exécution. Ses montées offensives tranchantes avaient été souvent à l’origine d’un but décisif."
De 1961 à 1968, Yérim Diagne a été de toutes les campagnes des "Lions", dont les Jeux de l’Amitié en 1963, alors qu’il avait 20 ans. Au terme de sa carrière, il comptait 80 sélections en équipe nationale.
C’est à lui, Yérim Diagne, que Yatma Diop confia la direction de l’Académie de football Mawade Wade qu’il créa en 2006. L’un évoluant au Foyer France Sénégal l’autre au Réveil, leur amitié avait pour levain la force de l’estime réciproque que leurs face-à-face périodiques sur le terrain avaient aidé à cultiver. En plus des liens qui se sont fécondés dans la Médina et au sein de l’équipe nationale.
"Ce n’était pas un ami. C’était un frère".