Youssou Ndour viole-t-il la loi ?
CONCERT DU MINISTRE DU TOURISME
Grand défenseur de la Constitution aux dernières heures de la présidence Abdoulaye Wade, le chanteur Youssou Ndour devenu ministre a piétiné l’article 54 de cette même charte. N’en déplaise aux juristes les plus orthodoxes. Qu’en sera-t-il le jour où le président du mouvement « Fecce Ma ci Bolle », accèdera à la magistrature suprême ?
La distraction en modèle de gouvernance. C’est l’appel de Youssou Ndour à ses collègues ministres, ce 21 juin 2013 au Cices. You a repris le micro, mais dans la foulée il a piétiné, comme Wade avec son troisième mandat, la constitution. A la clameur des puristes du droit, il répond par le mépris et la petite phrase des seconds couteaux.
Le concert viole allégrement l’article 54 de la constitution qui dit : « la qualité de membre du gouvernement est incompatible avec un mandat parlementaire, et toute autre activité professionnelle publique ou privée rémunérée ». Donc, en organisant le concert payant Namoone Nalène (Vous m’aviez manqué) à titre privé, le ministre outrepasse la loi. Entraînant avec lui le gouvernement.
A moins que le bluff de la gratuité n’ait emporté l’adhésion du président Macky Sall qui a donné le quitus à son musicien de ministre. Et même sur cette note, You a chanté faux. L’entrée n’est pas si gratuite, elle vaut le prix de l’appel au serveur vocal, qui est de 400 F Cfa au minimum. Une grosse duperie dans laquelle est tombée Aminata Touré Garde des sceaux, Seydou Guèye, secrétaire général du gouvernement, Mor Ngom, directeur de cabinet du président de la République et Abdoulaye Daouda Diallo, ministre chargé du Budget et Augistin Tine, ministre des Forces Armées.
Ces membres du gouvernement ont donné par leur présence à ce lieu, une cautionner à une forfaiture. Dans cette affaire le conflit d’intérêts est manifeste, le chevauchement entre affaires publiques et privées, patent. Le ministre censé être à équidistance de tous les administrés, prend parti pour son groupe de presse et son orchestre.
Au détriment d’autres entités. « Tant que l’argent collecté n’entre pas dans ma poche je ne viole pas la loi », se targue l’artiste. Cette justification tentant à infantiliser des adultes, relève d’un amusement digne d’un espiègle. Cette activité a au moins généré des ressources pour sa télé (TFM) qui a organisé l’évènement. La publicité, les sponsors et ristournes sur le serveur vocal, constituent une manne non négligeable. Se basant sur une des maximes kantiennes, les Sénégalais peuvent se demander ce qui arriverait si tous les ministres faisaient comme lui.
Avec ce précédent grave dans les mœurs politiques, demain personne ne devra s’offusquer qu’un ministre banquier administre depuis le Ministère des Finances ou de la Primature, sa structure. Qu’un ministre signe les éditos de son propre journal. Que des avocats, nommés ministres, continuent de traiter les dossiers de leurs clients.
Que des directeurs généraux, ministre et parlementaires, continuent d’émarger à leur service d’avant leur nomination. Plus besoin d’interdire le cumul des mandats. Ils pourront rétorquer à leurs dénonciateurs que l’argent n’ira pas dans leurs poches personnelles. Selon Transparency International : « un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle un agent public a un intérêt personnel de nature à influer ou paraître influer sur l’exercice impartial et objectif de ses fonctions officielles.
L’intérêt personnel de l’agent public englobe tout avantage pour lui-même (ou elle-même) ; ou en faveur de sa famille, de parents, d’amis ou de personnes proches ; ou de personnes ou organisations avec lesquelles il (ou elle) a, ou a eu, des relations d’affaires ou politiques. Il englobe également toute obligation financière ou civile à laquelle l’agent public est assujetti ».
A la lumière de cette définition, il paraît clair que les activités privées de You sont légalement punissables et moralement condamnables. Personne ne veut ternir la success-story de ce Sénégalais parti de rien, qui s’est réalisé tout seul et qui a créé des centaines d’emplois. Mais, il doit se rendre à l’évidence qu’une frontière existe entre la promotion officielle du Tourisme et le retour sur scène de l’artiste planétaire.
Cette promotion ne doit pas être un prétexte pour renflouer son orchestre en mauvaise passe, ou soutenir son groupe de presse. Une charge publique a ses exigences et ne s’accorde pas avec le feeling des uns et des autres. Ces normes impersonnelles s’imposent à tous.
Tant qu’il était dans une sphère privée, You n’avait jamais fait l’objet de réprimandes aussi sévères pour ses activités. La fonction publique exige de ses agents un devoir de rendre compte. Pour justifier ses déplacements fréquents à l’étranger, le président Abdoulaye Wade avait trouvé que Youssou Ndour voyageait plus que lui. Une réplique jugée malencontreuse puisque le chanteur n’avait aucune charge publique. Actuellement, les choses ont changé. Le ministre Youssou Ndour doit rendre compte pour ses déplacements.
Dommage que l’auteur du succulent tube « Conseil » se soit livré à un acte anticonstitutionnel. Lui naguère si prompt à demander le respect de la charte fondamentale. Pour être conforme à ses idéaux hautement proclamés, You doit faire amende honorable.
Mais si le président ne veut démissionner de la tête du parti, normal que son musicien de ministre use du show-business pour récolter des sous. Avec l’aval de son gouvernement, You donne rendez-vous, le 12 octobre, à Bercy. Pour cette autre soirée où activités privées et publiques s’emmêlent comme dans un écheveau, Youssou monnaie l’entrée à 46 euros. Qui en seront les bénéficiaires ? Ses structures, naturellement. Sacré You !