ZIGUINCHOR FAIT SAUTER LA BARRIERE RELIGIEUSE
cimetiere mixte de santhiaba
Situé dans le quartier Santhiaba, sur la route du stade Aline Sitöe Diatta, le cimetière mixte de Ziguinchor a été érigé entre 1910 et 1915. D’éminentes personnalités comme Jules François Bocandé, les militaires victimes de l’attaque de Babonda ou le Sénégalais d’origine libanaise, Fahed Sala, y reposent. L’endroit continue de recevoir des Ziguinchorois et des Sénégalais des autres régions et des étrangers, sans distinction de race, d’ethnie mais surtout de religion.
Joal a son cimetière mixte, Ziguinchor aussi. Mais si dans le cas du célèbre terroir sérère, les problèmes d’espace ont expliqué la création d’un tel édifice, dans la capitale du sud, l’existence du cimetière mixte de santhiaba est le fruit de la volonté des populations qui ont fait jouer un élan de solidarité à nul autre pareil.
Placé à l’entrée de la commune sur la route nationale VI entre le stade Aline sitöe Diatta et la gare routière, le cimetière mixte de santhiaba attire l’attention de tout visiteur qui débarque dans la capitale du sud.
De prime abord, l’endroit ne paie pas de mine avec sa devanture aux couleurs noir et blanc défraîchies et sa porte en fer, un tantinet délabrée. Dès qu’on entre sur les lieux, on remarque les sépultures bien disposées à droite puis à gauche et séparées par une large allée qui mène droit vers la tombe du célèbre footballeur Jules François Bertrand Bocandé, situé au fond du cimetière.
Il s’agit d’un tombeau en apparence bien entretenue sur lequel on distingue deux belles œuvres d’art : un ballon de football et un crampon. D’autres sépultures se distinguent aussi comme celles des éléments de l’armée sénégalaise tombés au champ d’honneur à Babonda (commune de Nyassia) le 25 juillet 1995. Le décompte permet de constater 20 tombes musulmanes et 04 tombes chrétiennes. sur l’écriteau qui surplombe leurs tombes, on peut lire : « Ceux qui sont morts pour la patrie, méritent qu’en leur mémoire, des fils et filles de la nation viennent et prient. Parmi les plus grands noms, leurs noms sont les plus beaux. » .
Le 19 août 1997, d’autres soldats de l’armée nationale vont encore tomber, cette fois-ci, à Mandina Mancagne, dans la commune de Niaguis (département de Ziguinchor). Il s’agit de 24 musulmans et de 02 Chrétiens. C’est pourquoi lors de cette visite, un accent particulier est mis sur ce cimetière avec un hommage mérité rendu à ces vaillants soldats.
C’est donc dire toute l’importance qu’a ce cimetière aux yeux des citoyens, des autorités locales et de la République. Le premier novembre, fête de la toussaint, est l’occasion, pour les autorités et les fidèles, de rendre hommage aux amis et proches disparus à travers une visite dans les différents cimetières de la ville, sous la conduite du gouverneur de région.
REPOSER À SANTHIABA, LE VŒU DU PRÉSIDENT DIOUF
Au cours de cette visite, les autorités civiles et militaires donnent un accent particulier au cimetière mixte de santhiaba. Là, reposent des sénégalaises et des sénégalais qui ont servi l’Etat et la Nation, notamment Jules Charles Bernard, premier maire de la ville de 1956 à 1966, son successeur, Antoine Etienne Carvalho, qui fut maire de 1966 à 1977, Louis Dacosta, ancien député de Ziguinchor, le Pharmacien, Dr Joseph Alexandre Diadhiou,...
L’ancien président de la République du sénégal, Abdou Diouf, était tellement marqué par l’existence d’un tel cimetière, qu’il aurait demandé, dans une interview accordée à Radio France internationale (Rfi) d’être inhumé dans le cimetière mixte de santhiaba s’il venait à mourir avant son épouse qui est chrétienne. D’éminentes personnalités de l’administration coloniale et du Sénégal indépendant reposent dans ce lieu.
Ce cimetière a profondément marqué l’histoire religieuse de la Casamance voire du Sénégal en ce sens que c’est un fait à la fois rare et unique en son genre. toutefois, malgré son importance et le rôle que ce cimetière mixte pourrait jouer dans le dialogue interreligieux, son contexte de création, c'est-à-dire son origine, connaît plusieurs versions. Des versions parfois contradictoires ou complémentaires sont développées par des gens de la région.
Pour l’historien Lamine Mané, en service à la radio locale Zig Fm, certaines sources estiment que le caractère mixte du cimetière serait dû à un naufrage survenu vers 1905 du bateau Cap Lopez qui assurait, pendant cette période, la liaison Dakar-Ziguinchor. Deux femmes seraient décédées lors de ce voyage.
Arrivées à Ziguinchor, les deux femmes furent enterrées à cet endroit. L’une d’entre elle portait une croix, donc elle était supposée chrétienne, elle fut enterrée à gauche et l’autre à droite, en présence du Médecin commandant Pikandé, dont le quartier Kandé de Ziguinchor porterait le nom. Ainsi, on venait d’enterrer deux personnes issues de confessions religieuses différentes (une chrétienne et une musulmane) dans un même endroit.
Le même rituel continua pendant des années selon cette version pour enfin aboutir à un cimetière mixte où tout le monde vient enterrer, sans distinction de race, d’ethnie ou de religion. La seconde version insiste sur le fait que ce cimetière serait chrétien à l’origine. Le cimetière musulman était à Kadior sur le site de l’actuel hôtel Néma Kadior situé entre l’hôpital de la Paix l’Alliance franco-sénégalaise, le Commandement de la zone militaire numéro V et la légion sud de la Gendarmerie.
Les musulmans qui habitaient les quartiers de Kandé, Tilène et santhiaba étaient séparés de ce site par une grande forêt avec beaucoup de bêtes féroces. Ils éprouvaient donc beaucoup de difficultés pour enterrer la nuit et même au crépuscule. C’est pourquoi, selon toujours nos sources, en cas de décès au crépuscule ou la nuit, certaines familles musulmanes habitant les quartiers précédemment cités, venaient enterrer discrètement leurs morts dans ce cimetière de santhiaba. Les fidèles chrétiens ayant constaté des tombeaux différents des leurs décidèrent de redoubler de vigilance. Un autre décès musulman eut lieu au crépuscule au quartier Kandé, comme d’habitude, l’enterrement devait se faire au cimetière de santhiaba.
DIALOGUE INTERRELIGIEUX
Les risques d’affrontements entre fidèles musulmans et chrétiens étaient réels vu ce que la mort représente. Certains fidèles alertèrent le Révérend Père Jean Marie Esvan qui représentait l’Eglise catholique en Casamance. Le père écouta les deux parties et s’adressant aux chrétiens, il dit : « cet homme a voulu être enterré auprès des chrétiens parce qu’il les aimait, ce n’est pas une provocation.
Laissez donc ces gens enterrer leur mort à côté des vôtres ». C’est pourquoi beaucoup de gens pensent qu’il serait l’initiateur de ce cimetière où chrétiens et musulmans se retrouvent, après la mort. Le père Jean Marie Esvan est considéré également comme le père fondateur de l’église catholique en Casamance. De nombreuses personnalités musulmanes ont retenu de lui l’image d’un homme ouvert. Le père Jean Marie Esvan est arrivé à Ziguinchor, un petit village de 500 habitants situé au bord du fleuve Casamance le 29 janvier 1900. Il lança, le 24 février 1920, les travaux de la future cathédrale dont la rue porte désormais le nom.
Il s’oppose à l’enrôlement des Casamançais pour la première guerre mondiale. En 1918, il dit à Blaise Diagne, commissaire de la République française, accompagné par le Gouverneur du Sénégal Levecque, le lieutenant Gomis de Karabane, le sous-lieutenant Galandou Diouf, conseiller général alors en visite à Ziguinchor pour recruter des soldats : « en voulant trop mater les gens, on sème les germes des révoltes futures que l’esprit de vengeance rendra atroces ».
Avant son départ définitif de Ziguinchor, il a réussi le tour de force de créer 44 postes de brousse. Il meurt le samedi 17 juin 1944 à Dakar où il repose depuis le 19 juin de la même année au cimetière de Bel Air. Enfin, la troisième version qui semble plus officielle informe que la création du cimetière de santhiaba entre dans l’extension de la ville de Ziguinchor et la recherche d’endroit de sépulture.
Ce cimetière était réservé, par le colonisateur, à la communauté européenne et aux Africains occupant certaines fonctions de prestige dans l’administration d’alors chargée de la Casamance naturelle.
On s’en rend compte, en scrutant de plus près, les dates inscrites sur les tombes entre 1915 et les années des indépendances. Elles sont celles des Français, de quelques Portugais, des Africains venant des pays de l’Aof (Afrique Occidentale Française), de quelques sénégalais ayant occupé de hautes fonctions en Casamance notamment à Sédhiou, Marsassoum, Carabane, etc... A côté de ceux-ci figurent également quelques noms Libanais et syriens ayant vécu dans la région méridionale, des Créoles-Portugais.
De l’indépendance à nos jours, beaucoup de personnalités musulmanes ou chrétiennes reposent dans ce cimetière. L’existence d’un cimetière mixte en Casamance est un exemple achevé de dialogue interreligieux. Le dialogue interreligieux est une réalité dans cette partie du pays.
Il est pratiqué, d’une part, sous la forme du dialogue de vie, qui consiste en des relations interreligieuses dans les situations relationnelles ordinaires de la vie quotidienne : famille, voisinage, école, lieux de contact socioculturel, rencontres de village, lieu de travail, le partage des joies et des peines ; et d’autre part, sous forme de dialogue d’action : le champ politique, lorsque des hommes de différentes confessions religieuses collaborent à la promotion du développement humain et à la libération de l’homme sous toutes ses formes.
Ce qui attire l’attention en Casamance, c’est l’existence d’une cordiale relation entre les hommes de différentes religions et cela pour le bien de la société. Il n’est pas rare de rencontrer, dans certaines familles, des musulmans, des chrétiens et des adeptes des religions traditionnelles africaines.
PATRIMOINE MONDIAL DE L’UNESCO
La diversité religieuse ne détruit pas, au contraire, elle sert et doit servir de fondement à toute religion soucieuse de conduire à Dieu. C’est une cohabitation existentielle, une cohabitation depuis la vie jusqu’à la mort. En effet, dans ce cimetière, sont enterrés côte à côte, des musulmans et des chrétiens. Une situation qui n’est ni une contrainte encore moins une obligation, puisqu’il existe d’autres cimetières dans la ville.
Mais c’est plutôt un choix guidé par une conviction : « une même terre nous a accueillis et nous a nourris, elle nous accueillera un jour dans ses entrailles ; si nous avons tout partagé durant notre vie en ce monde (famille, hôpital, quartier, village, école, club, loisirs, etc.), pourquoi nous séparer à la mort ? ».
De l’avis de nos différents interlocuteurs, ce cimetière est un symbole d’unité et de tolérance religieuse. Il nous rappelle notre humanité, un exemple de coexistence pacifique réussie, une réponse à nos préjugés, à notre orgueil ; pour nous dire que nous sommes un. C’est pourquoi, ils ont demandé et souhaité que l’Etat érige ce cimetière en « patrimoine culturel national » afin qu’il soit mieux connu, mieux conservé pour la postérité.
La mairie de Ziguinchor qui en assure la gestion serait en train de produire un document pour que le cimetière mixte de santhiaba soit déclaré « patrimoine mondial de l’Unesco » puisque beaucoup de nationalités de toutes les religions d’Afrique de l’Ouest s’y retrouvent. C’est un exemple parfait de tolérance et de paix entre toutes les ethnies et toutes les croyances de notre pays. En février 1992, lors de la visite de sa sainteté le Pape Jean Paul II, le souverain pontife a magnifié la parfaite cohabitation et collaboration entre chrétiens et musulmans dans la Casamance naturelle.
La communauté musulmane a été fortement et bien représentée par des fidèles et de nombreux guides religieux dont l’Imam Ratib d’alors, Chérif Alioune Aïdara, qui prononça un discours mémorable de bienvenue à sa sainteté à la Cathédrale de Ziguinchor. Une visite qui a retenu l’attention de toutes les autorités qui décidèrent de rebaptiser le Rond-point Ngal Diaw, place Jean Paul II.