« J’AI LE BAC ET J’AI FAIT DEUX ANS A LA FAC DE DROIT… »
SCANDALE À L’ÉDUCATION NATIONALE - BABACAR SAKHO ELEVE-MAITRE ACCUSÉ DE FRAUDE
Né en 1985, Babacar Sakho fait partie des 690 élèves-maîtres accusés de fraude ayant entraîné le limogeage du directeur des Examens et Concours et celui de la Formation et de la Communication au ministère de l’Education nationale. Titulaire du baccalauréat série L1 en 2010, il nourrissait le rêve de sortir sa famille de l’extrême pauvreté en intégrant l’enseignement. «Je suis orphelin et il m’arrivait de ramasser des arachides pour subvenir à mes frais scolaires. Ecartant toute fraude, il révèle que c’est à son deuxième coup d’essai qu’il réussi au concours pour devenir élève-maître. Aussi, il a déploré la légèreté des services du ministère de l’Education dans la confection des listes des personnes mises en cause.
Elève-maître au Centre de formation de Rufisque, le jeune Sakho a la gueule de bois. Alors qu’il est en formation depuis le 7 avril dernier et rêvait d’intégrer d’ici peu la Fonction publique pour subvenir aux besoins de sa maman veuve qui l’a soutenu à bout de bras, il a vu son rêve se transformer en cauchemar : il est sur la liste des 690 cas de fraude: «Il y a un nommé Babacar Coly, avec mes date et lieu de naissance. Or moi j’avais déposé avec mon baccalauréat et tous les documents au nom de Babacar Sakho. C’est pour vous montrer que c’est du n’importe quoi. A Saint-Louis, c’est aussi pareil.
Dans l’ensemble des centres, les identités complètes affichées ne sont pas conformes aux noms des élèves maîtres dûment inscrits dans cet établissement. Je pense que c’est trop léger. Il y a des incohérences», dit-il. La vie de ce garçon n’a pas été un long fleuve tranquille. Orphelin de père lorsqu’il était en classe de cinquième, il a failli mettre un terme à ses études faute de soutien : «On parle de 600.000 francs pour acheter une admission. Moi je n’ai personne dans ma famille qui peut me donner 100.000 francs a fortiori 600.000. J’ai dû ramasser des arachides pour payer mes frais d’inscription.
Avant de réussir ce concours, je travaillais dur. Ma maman ne sait même pas comment je fais et où je me trouve. Pour ce concours, j’ai échoué une première fois à Nioro et la deuxième à Dakar, j’ai réussi. J’avais fait deux autres concours en même temps et Dieu a fait que j’ai réussi celui-là. Je ne me laisserai pas faire. On ne peut pas dire que je ne sais pas lire ou écrire, alors que j’ai le bac et j’ai passé deux ans à la faculté de Droit à l’université», explique-t-il.
Avant de déplorer que le ministre Serigne Mbaye Thiam ait terni l’image de tous les élèves-maîtres du Sénégal. «Je suis triste et désolé par cette attitude du ministre qui a jeté l’opprobre sur nous. Dans les grandes démocraties, c’est le ministre lui-même qui doit démissionner au lieu de limoger ses collaborateurs.
Le ministre nous a déçus car c’est lui qui devait nous aider à avoir une formation complète », a-t-il martelé. «Nous n’allons pas nous laisser faire. Dès le retour des fêtes de la Korité, nous allons nous mobiliser pour faire face à ces accusations fallacieuses », conclut-il.
LA TETE DU MINISTRE SERIGNE MBAYE THIAM RECLAMEE
Le scandale qui a éclaboussé le ministère de l’Education continue de susciter des vagues. Le coordonnateur adjoint des enseignants républicains, Ahmet Suzanne Kamara, pense que Serigne Mbaye Thiam doit lui-même être démis de ses fonctions et répondre devant la justice.
Comme lui, des proches d’Abdoulaye Diatta, le directeur déchu de la formation et de la communication, voient à travers la communication du ministre une volonté d’étouffer sa défaite à Nioro et un désir de noyer un adversaire politique qui s’est allié avec l’Afp pour faire perdre son poulain.
Les 690 cas de fraudes notés dans le recrutement des élèves maîtres vont encore alimenter les débats. Pour les proches d’Abdoulaye Diatta, directeur déchu de la formation et de la communication, le ministre est en train d’agiter un trésor de guerre. «Après la Police et la gendarmerie, il veut lui aussi faire le buzz autour de cette affaire pour se donner bonne conscience et surtout faire oublier à l’opinion qu’il a perdu les élections chez lui à Keur Madiabel. Il en veut à Abdoulaye Diatta parce que ce dernier a soutenu le candidat de l’Afp contre son candidat. Je ne vois pas comment un directeur de la formation et de la communication peut être impliqué dans un tel scandale. Il ne reçoit que les dossiers déjà ficelés par les
inspecteurs.
S’il a une responsabilité, le ministre aussi en a puisqu’il signe le même document et c’est le ministre qui a signé les ordres de service», soutient ce proche du désormais exdirecteur de la communication qui déplore également l’utilisation de la fonction ministérielle à des fins politiques : «Il faut au Sénégal qu’on en arrive à dissocier les affaires de l’Etat des affaires politiques. Serigne Mbaye Thiam a eu à dire dans une rencontre politique à Nioro que c’est lui le patron de Diatta, qu’il pouvait le limoger à tout moment. Je pense que c’est cette menace qu’il a mise à exécution».
AHMED SUZANNE CAMARA S’Y MET
Alors que les proches d’Abdoulaye Diatta étouffent de rage contre le ministre, ce dernier ne devrait pas trouver de salut auprès des ses alliés républicains. Si l’on en croit, Ahmed Suzanne Camara, le ministre est lui aussi trempé jusqu’au cou dans cette affaire : «Serigne Mbaye Thiam s’empresse de parler des cas de fraudes alors que c’est lui-même le premier responsable. Si on remonte l’affaire, il est trempé. Il doit être également traduit en justice», charge le coordonnateur adjoint du réseau des enseignants républicains.
En effet, pour beaucoup d’observateurs, la chaîne de responsabilités est telle que le ministre ne devrait pas se limiter à sanctionner les directeurs qui ne sont que des fusibles. «Il s’est défaussé sur eux. C’est lui qui suit le processus de bout en bout, il devrait avoir l’élégance républicaine de démissionner. Dans les grandes démocraties, c’est le ministre qui paye d’abord et non le contraire», fulmine-t-il.