À QUOI JOUE MACKY ?
Le ministre de la Communication remet en cause le pluralisme dans le secteur audiovisuel pour lequel les professionnels des médias se sont mobilisés et qui a été mis en place sous Abdou Diouf
"Le gouvernement du Sénégal va signer, dans les prochains jours, un accord de partenariat avec des organes de presse privés, afin de ’’mieux diffuser et expliciter’’ sa politique…"
"Nous pensons que nous pouvons, dans le cadre de la communication gouvernementale, utiliser ces différents médias pour mieux expliciter la politique de communication de l’Etat… Un tel partenariat permettra au gouvernement, en plus des médias d’Etat, d’avoir d’autres médias dans lesquels, nous pourrons diffuser toutes nos réalisations… Nous pourrons faire des publi-reportages, des débats télévisés, des entretiens, des enquêtes et des reportages."
C’est le ministre de la Culture et de la Communication, Mbagnick Ndiaye qui a fait cette surprenante déclaration le 20 janvier à l’Agence de Presse Sénégalaise.
L’APS nous apprend que le ministre recevait alors dans les locaux de son ministère «des responsables d’organe de presse sénégalaise».
Les interlocuteurs du ministre ce jour-là étaient : "les responsables de Safir-FM de Ndella Madior Diouf, du Groupe Wal fadjiri, l’Agence de Presse Africaine (APA News) et une délégation de l’Association de la presse étrangère au Sénégal (APES). Des discussions avaient déjà été entamées avec le groupe de SEN TV de Bougane…"
On a du mal à comprendre : pourquoi l’Etat qui dispose du formidable outil de communication audiovisuel qu’est la Radio Télévision du Sénégal (RTS) doté d’un réseau de deux chaines nationales de radios, de 11 chaines régionales ainsi que de deux chaines de télévisions satellitaires, aurait besoin de ce "partenariat".
En outre, tous les médias audiovisuels privés comme communautaires sont astreints au service public de l’information : ils doivent diffuser des informations concernant les activités de l’autorité publique (l’Etat, son administration et les autorités et services décentralisés).
En fait le ministre remet ainsi en cause le pluralisme dans le secteur audiovisuel pour lequel les professionnels de la communication se sont mobilisés depuis les années 1980 et qui a été patiemment mis en place sous l’ère Abdou Diouf avec la reconnaissance des radios privées et communautaires et parachevé pendant la présidence Wade avec l’avènement de la télévision privée.
Notre pays a depuis lors intégré dans son arsenal juridique et réglementaire le principe de la "libéralisation des ondes" et du pluralisme radiophonique qui repose sur la reconnaissance et la promotion effective des trois secteurs distincts et d’égale importance que sont : le secteur du service public, le secteur privé et le secteur communautaire.
Ce principe rappelé par la Charte Africaine de la Radiodiffusion de l’UNESCO de 2001 est depuis admis et mis en œuvre dans toute l’Afrique à l’instar des démocraties du monde entier.
Il s’agit, tout en mettant à la disposition de l’Etat les fréquences et les équipements requis pour sa communication en direction de la nation, dans sa diversité, de permettre aux entrepreneurs de mobiliser des ressources financières notamment à travers la publicité pour "informer, sensibiliser et divertir" tout en donnant aux populations les plus marginalisées la possibilité d’exercer leur droit à l’information avec des radios communautaires qu’elles gèrent elles même.
Le Président Macky Sall veut il revenir sur la libéralisation des ondes ?
S’agit-il plutôt de corrompre quelques patrons de presse particulièrement tonitruants dans la perspective des élections présidentielles de 2017 ?
Le ministre de la Communication comprend t-il bien que l’ère du contrôle par l’Etat des médias, y compris des «médias d’Etat», est révolue et que le rôle de son département n’est pas de produire et de diffuser des «réalisations» mais de mettre en place et d’améliorer sans cesse un environnement juridique, réglementaire et économique propice au développement harmonieux de tous les médias ?
Comprend-il que la libéralisation des ondes et le pluralisme audiovisuel, à travers les secteurs public, privé et communautaire, séparés mais complémentaires, sont indispensables à la mise en œuvre du droit à l’information et du droit à l’expression pour tous ?
Se rend-il compte que son initiative (si ce n’est celle du gouvernement, voire du Chef de l’Etat) non seulement menace l’équilibre de l’ensemble de l’audiovisuel de ce pays et le fragilise, mais remet en cause fondamentalement l’option démocratique du Sénégal dans ce secteur ?
Dans tous les cas il est inadmissible que soit remis en cause ou perverti, par de basses manœuvres politiciennes ou économiques, cet acquis démocratique décisif.
Le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) n’est il pas compétent pour interpeller le gouvernement sur la question ?
Les organisations professionnelles du secteur de l’information et de la communication ainsi que celles de la société civile soucieuses de la bonne gouvernance et de l’État de droit devraient alors s’en saisir au plus tôt.