VIDEODE LA GLOIRE À L'OUBLI
Aminata Fall

Le 24 novembre 2002 nous quittait à jamais la cantatrice saint-louisienne Aminata Fall. Hier marquait la 13ème année de son rappel à Dieu. Mais aucune manifestation n'a été organisée en son honneur. Elle semble tombée peu à peu dans l'oubli total. C'est pourquoi EnQuête rafraichît les mémoires en rappelant le riche parcours de la chanteuse.
Avec Diabou Seck, Aminata Fall, née le 29 janvier 1930 dans la première capitale sénégalaise, était l'une des plus grandes voix de la chanson à SaintLouis. Bien des générations ont entonné "kangforé dioudioum ya sa Sine, Aïda yayou Mbaye", imitant la voix grave et belle de la cantatrice saint-louisienne. Une chanson qu'elle a interprétée avec l'ensemble lyrique traditionnel du Théâtre national Daniel Sorano. En effet, comme Diabou Seck la Saint-Louisienne, Aminata Fall était aussi pensionnaire de Sorano. Elle l'a intégré après avoir passé 8 ans au Star jazz de SaintLouis dont le lead vocal était Papa Samba Diop dit Mba. Avec ce groupe, elle composera deux chansons dont une en l'honneur de sa mère et intitulée "Yaye Boye".
"Elle est venue au théâtre et y est restée. On avait trouvé chez elle tout ce qu'on cherchait. Elle dansait, chantait et faisait du théâtre", se rappelle d'ailleurs la comédienne Isseu Niang dans le film documentaire que Moussa Sène Absa a consacré à Aminata Fall. Ainsi, celle que ses proches appelaient affectueusement Garmi était une artiste complète. Elle a tenu divers rôles au cinéma. Elle a joué en premier dans le long métrage de Djibril Diop Mambéty "Touki Bouki". Les cinéphiles l'ont découverte avec sa voix grave dans le rôle de Magoné Ndiaye. C'était en 1973. Elle enchaînera après les rôles notamment dans les productions de Mambéty.
Artiste aux talents multiples, Aminata Fall ne se fixait pas de limites dans son art. Elle est la première jazzwoman sénégalaise. Elle n'a pas eu peur d'explorer des genres musicaux différents de la musique traditionnelle ou encore de la salsa qui avaient le vent en poupe à l'époque. Ainsi, elle a osé s'essayer au jazz. Non pas seulement parce qu'elle se sentait capable de le faire mais aussi et surtout à cause des influences musicales qu'elle a reçues. Enfant, Aminata Fall vendait des cacahuètes devant l'une des salles de cinéma de Saint-Louis. Elle entendait alors souvent des chaînes stéréo s'échapper des notes de chanson de Mahalia Jackson ou encore Tino Rossi.
"J'ai commencé à mimer et j'ai tenté de chanter ces titres venus d'ailleurs et que j'aimais beaucoup", informe-t-elle dans le film qui lui est consacré. Des influences qui se ressentent jusque dans sa manière de chanter. Car beaucoup de journalistes jadis l'avaient surnommé Mahalia Jackson. Et jusqu'à sa mort, le 24 novembre 2002, on l'appelait ainsi. Ces qualités de chanteuse hors pair n'ont pas seulement étaient loués ici. Aux USA, lors de ses tournées internationales, Garmi étonnaient toujours les Américains qui ne croyaient pas qu'une Sénégalaise puisse ainsi chanter. Elle a aussi eu à éblouir le public de la première édition du festival des arts nègres initiée par Léopold Sédar Senghor. Ce fut pareil au festival de jazz de 1994 ainsi que celui de 1998. C'est pour cela d'ailleurs qu'en 2013, le comité d'organisation de cette rencontre annuelle du jazz a tenu à lui rendre hommage.
Retraitée de Sorano dans les années 1990, Aminata Fall continue quand même à chanter et s'établit à son propre compte. Elle sortira un seul et unique album. Ce que certains trouvent aberrant pour une artiste de sa dimension. "Aminata Fall n'a pas été assez aidée. Elle devait avoir plus d'un album sur le marché mais elle n'a pas été soutenue", s'est désolée Isseu Niang dans "blues d'une diva". De plus, dans le film de Moussa Sène Absa, l'on découvre une Aminata Fall qui avait perdu de sa superbe car gagnée par la maladie. Elle restait, malgré les difficultés qu'elle rencontrait, taquine, coquette et surtout pleine de vie. Partie à jamais il y a 13 ans, elle semble tombée dans l'oubli. Hier marquait la 13ème année de son rappel à Dieu. Mais aucune manifestation n'a été organisée en son honneur.
Moussa Sène Absa, cinéaste : "On n'a pas rendu à Aminata Fall la monnaie de sa pièce"
Cela fait 13 ans que la cantatrice Aminata Fall est partie à jamais. Que pouvez-vous nous dire sur elle ?
Aminata Garmi Fall était une grande dame. Elle a commencé dans les années 40. Elle a grandi à SaintLouis. C'est après qu'elle est venue s'installer à Dakar. Par la suite, elle s'est mariée, elle a eu des enfants. Elle a débuté sa carrière au Théâtre national. C'était une femme bourrée de talent. Elle savait chanter et danser et jouer de la comédie. Aminata a marqué le théâtre Sorano. À un moment donné, elle a été au festival mondial des arts nègres. À SaintLouis, elle travaillait dans le groupe "Mbaa" parce qu'elle avait déjà une fibre musicale. L'artiste avait cette manie de reprendre toutes les chansons qu'elle entendait. Elle avait un don de répétition. Parler d'Aminata Fall, c'est parler de ce Sénégal-là et de ses grands moments de création. Elle a apporté de belles choses à la musique sénégalaise même si elle n'avait pas beaucoup de produits. Elle n'a fait qu'un seul disque "Kang Foré" mais beaucoup de musiciens se sont inspirés d'elle. Elle chantait dans le style du jazz et du blues. Personnellement, je pense que c'est une grande perte et on ne lui a pas rendu la monnaie de sa pièce parce qu'elle méritait que quelque chose porte son nom dans sa ville natale de Saint-Louis. Au moins, qu'il y ait une chose qui nous rappelle son passage sur cette terre.
Donc, vous avez des regrets pour elle?
Je pense qu'elle mérite plus que des hommages. Mais le Sénégal a la mémoire courte. Il y a des gens comme Djibril (ndlr Djibril Diop Mambety), Ousmane Sembène qui ont quitté cette terre en y laissant de beaux calques et qu'à leur mort, jusqu'à présent, rien n'a été fait en ce qui concerne leur mémoire. Donc, ce qui se passe là avec Aminata n'est pas quelque chose de nouveau je peux dire. Tout le monde parle de lui rendre hommage en tant que mère mais pour moi, elle n'était pas une mère, c'était une amie. Je pense que tous les Sénégalais devraient, de temps en temps, penser à elle. Et la meilleure façon de penser à quelqu'un, c'est de donner son nom à un lieu, un espace, une rue… afin de l'immortaliser.
Qu'est-ce qui explique, selon vous, le fait que le Sénégal ne soit presque jamais reconnaissant envers ses ambassadeurs de la culture ?
Je pense que la chose la plus évidente dans ce domaine, c'est que les Sénégalais consomment ce qu'on leur vend, c'est-à-dire de la musique insipide, de la danse vulgaire, de la lutte. Tout le monde fait la même chose mais on ne s'en rend pas compte. Ce qui est vraiment triste. Il faut avoir des références mais le Sénégalais n'en a pas. Ce qui est grave. Les références des artistes d'aujourd'hui, si on les cherche vraiment, on ne les trouvera pas malheureusement. On ne nous parle pas de ces anticonformistes qui font avancer la société.