DIDIER AWADI, L'ESPRIT ENGAGÉ
Son dernier album ‘’Made in africa», les 30 ans du PBS, son rêve avorté d’être steward ou encore journaliste - ENTRETIEN
Et le mag s’ouvrit aux sonorités du rap. Pour cela, le Témoin est allé dégoter un ténor en la personne de Didier Awadi, l’éternel panafricaniste et rappeur engagé pour un disc spécial. Pour ce spectacle, pas de morceau sur la politique, c’est un disque «usé» et «rayé». Mais vous aurez droit à un vrai show avec des reprises de son dernier album ‘’Made in africa", un avant-goût des 30 ans du PBS, sur son rêve avorté d’être steward ou encore journaliste. Du beau spectacle qui a failli être gâché par le gossip qui voulait filer un méchant AVC. Heureusement qu’Awadi a vite fait de reprendre le dessus face à ce mélodrame. Qui ne l’a pas effleuré, ni altéré sa forme du moment. Pour qu’il puisse nous donner encore le meilleur de lui-même. Nous régaler avec ses beaux tubes. Que le spectacle commence !
Lorsque vous avez été appelé pour un entretien, vous m’avez stoppé net en me disant pas d’actualité politique. Pourquoi ?
Parce que j’ai fait une confèrence de presse pour parler de la sortie de mon album, et on m’a parlé plus parlé de politique. Et ça ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un homme politique et ni un candidat déclaré. Pour moi, mon actualité reste la musique.
C’est peut-être dû au fait que le public est habitué à vos prises de position à chaque fois qu’un fait se passe…
Quand je vois qu’après tout ce que j’ai dit, il n y a aucune ligne sur le contenu de mon album, il n y en a que pour la politique, je me dis que soit les journalistes ne connaissent pas la musique ou qu’ils n’ont pas envie de faire leur métier sérieusement. Donc, le temps de la promotion de mon album, j’ai décidé de ne pas parler de la politique.
Pensez-vous que vos prises de position nuisent à vos affaires ?
Non mais cela dilue mon message. (Il se répète). Si on ne s’intéresse pas à mon album, je ne suis pas là non plus pour faire le gros titre des journaux.
Concernant votre dernier album ‘’Made in Africa’’, comment évolue-t-il sur le marché musical. Vous ne devez pas trop vous plaindre avec les plateformes de téléchargement qui rapportent assez bien…
Oui, le digital ça marche très bien. Et d’ici la semaine prochaine, on va commencer avec les CD. Pour le moment, on privilègie la mise à disposition sur Youtube et les plateformes digitales. C’est une manière d’amener les gens à aller de plus en plus vers le digital. Et effectivement, ça marche bien que ce soit itunes ou sur les autres plateformes.
Donc, vous ne devez plus trop vous plaindre de la piraterie…
C’est la même chose puisque rien n’a changé. Il suffit d’aller sur les feux rouge pour voir l’écoulement des CD. Pas du tout, on ne s’en sort pas comme on le voudrait. Les gens n’ont pas encore cette culture d’acheter sur internet. En faisant avec les plateformes de téléchargement peut-être qu’à la longue, les gens vont s’habituer, auront le réflexe d’aller sur internet pour acheter des sons.
Et comment se passe la promotion. On ne vous sent pas trop…
Pourtant, on est là. Et on joue dans notre club ‘’le Balajo’’ (pub gratuite). Même si avec le ramadan, on n’est obligé d’observer une pause. Et après, on va faire une tournée dans les universités. Il y a aussi quelques dates qui s’annoncent à l’étranger. Du fait du ramadan, et comme c’est très calme au Sénégal, on va profiter pour faire la promo dans des pays tels que la Côte d’ivoire, le Mali, la Guinée, etc. Partout où on pourra, on va se déplacer pour défendre l’album. Et donc, il y aura également Paris, Londres, le Gabon.
Parlant justement de votre dernier album ‘’Made in africa’’, vous y avez invité pas mal d’artistes d’ici et d’ailleurs. Parmi ceux-là, il y a Deug-Tee..
Dans tous mes albums, il y a Deug Tee. C’est tout à fait normal parce que pour nous c’est la base. Il m’aide beaucoup, il écoute et me conseille dans mes productions.
Pourquoi alors vous ne vous remettez pas ensemble dans le Positive Black Soul (PBS) ?
On n’a jamais dit qu’on allait pas se remettre ensemble. Le PBS ne s’est jamais arrêté même s’il est vrai qu’il y a moins d’activités. Pour la bonne et simple raison que chacun a quelque chose.
Il n’empêche qu’il y a une cassure dans le PBS originel ?
Oui parce qu’il n y a plus la même intensité qu’avant. Moi, je suis PBS et Deug Tee l’est aussi. Pour nous, on n’est dans le PBS même si chacun a sa carrière solo à gérer. Le PBS, on ne l’a pas tué. Il est toujours vivant. Comme vous le dites, il y a eu ‘’cette cassure’’. Et on ne regrette pas, ce sont des histoires de vie. Il y a des moments comme ça où il faut prendre le moment de respirer. Mais cela ne nous a pas empêchés à chaque fois de se mettre ensemble, de faire des choses. On n’appelle pas cela une cassure. Ce qui nous lie est beaucoup plus fort que ce qui pouvait nous séparer.
Vous le niez mais il y a eu véritablement une cassure…
Oui, il y a eu un moment où chacun a pris son chemin. Mais il n’empêche que l’on se retrouve à chaque fois autour d’un projet commun.
L’année 2019 va coincider avec les 30 ans du PBS. Que prévoyez-vous de faire pour le bonheur des mélomanes ou même ceux qui n’ont pas connu le PBS originel ?
Pour les 30 ans, on a prévu de faire un film sur notre vie. Et ça va forcément avoir un impact sur la vie du hip hop au Sénégal et en Afrique. Ensuite, il y aura un album pour célèbrer les 30 ans du PBS. Ce sera un produit Positive Black Soul (PBS) avec tous les membres du groupe originel dont Baye Souley. Il est vrai que c’est maintenant un styliste. Ce qui ne nous surprend pas d’ailleurs. Puisqu’il a toujours été assez visionnaire. Baye Souley est un génie.
De plus en plus, le rap s’ouvre vers d’autres sonorités. Est-ce que ça ne va pas dénaturer le rap ou ça lui profite bien ?
Bien sûr que cela va enrichir le rap. Qui est toujours ouvert à d’autres sonorités. Le rap tel qu’on l’avait connu au début des années 80 a évolué. Chaque deux ou trois ans, le rap change de forme. Il épouse d’autres sonorités. Il se transforme. Ça, c’est la trajectoire normale du rap.
Dans ce cas, pensez-vous que le rap engagé se meurt ?
Non, il existe toujours. Tout dépend des rappeurs mais il y en a beaucoup qui le sont encore. (Il se répète). Est-ce que les gens éccoutent le rap engagé ? ça, c’est autre chose. Ceux qui sont engagés le sont toujours. Ce qui est toujours mon cas. C’est trop tard pour changer.
On vous pose la question puisque les rappeurs font de plus en plus dans le clash. Cette forme de rap peut-elle prospérer ?
Je ne sais pas trop peut-être que je n’entends pas assez. Mais le clash fait partie du rap. Ça a toujours existé. C’est un choix artistique. Et il y a des gens qui font ça pour exister ou se définir dans un environnement de compétition. On ne peut pas parler à la place de ceux qui le font. L’histoire a évolué. Nous (le PBS), on a rappé dans un contexte bien défini. Année invalide, blanche, on fait partie de cette génération, de la classe 88. On l’a vécu. Pour l’année blanche, j’étais élève en classe de première au collége Sacré-Coeur. Tandis que l’année invalide m’a trouvé au lycée Seydou Nourou Tall.
Comment vous aviez vécu l’année blanche puis l’année invalide ?
On l’a vécue comme tout le monde. Ça faisait chier. Tu te rendais compte que tu perdais un, deux ans pour rien. Alors que les enfants, les fils de… allaient partir en Europe pour étudier. Et qu’ils allaient avoir deux ans de plus, des diplômes plus que vous. Donc, demain, ils reviendront pour te dominer. C’est pourquoi il y avait un morceau que l’on appelait ‘’le Bourreau et le Noir’’où l’on disait : «les mêmes dominants, les mêmes dominés, les fils de dominants, les fils de dominés.» Une situation qui nous a poussés à étudier la sociologie de notre pays, à plus s’impliquer dans la chose politique, par rapport à l’importance du vote, à l’engagement. Et c’est à partir de ce moment qu’on s’est dit qu’il se passe des choses, on doit les dire. Puisque personne n’en parle, nous on les dit dans nos textes. Même si au début, on les disait pour nous. Tu écris, tu dis ce qu’il y a dans ton coeur. Et après on se rend compte ce que l’on dit a un impact. Le rap a commencé aux Sicap, ça a démarré dans ces quartiers-là, pas ailleurs dans le Sénégal. (…) Nous, on est pas des enfants issus de familles aisées. Du tout. Deug Tee et moi sommes tous deux orphelins de père. Ma mère était dans l’enseignement. Et j’ai perdu mon père à l’âge de 14 ans. Deug Tee lui aussi a perdu assez tôt son père. Quant à sa mère, elle faisait dans le commerce. Aisées ou pas, nos familles nous ont donné une dignité, une indépendance d’esprit qui fait que l’on a jamais baissé la tête.
Vous avez vécu l’année blanche de 1988. Trente ans plus tard, il y a encore ce spectre qui plane sur l’école sénégalaise. Comme c’est le cas encore cette année avec des débrayages et des grèves à ne plus finir…
Cela fait mal que le même scénario soit là. A notre époque, on a fait des grèves pour des raisons qui persistent encore. Globalement, c’est la même situation qui prévaut. Il y avait une longue plateforme. C’est pratiquement la même situation. Donc, y a pas grand-chose sous le soleil. Et c’est triste de le dire. A l’époque, on s’est dit qu’on n’avait la même plateforme depuis plus de 15 ans. Donc, c’était anormal et c’est pourquoi nous étions en grève. Et aujourd’hui, c’est la même plateforme qui revient.
Ancien meneur de grève, vous haussez toujours le ton pour dénoncer ce qui ne va pas. D’où vous vient cet esprit rebelle ?
On a juste toujours été conscient. Soit tu décides d’être un mouton qui est dirigé vers l’abattoir ou tu décides de ne pas être ce mouton. Nous, comme je vous l’ai dit, on ne provient pas de familles aisées mais nos parents nous ont donné une dignité, un esprit libre. Et puis les grand-frères qu’on a, ils sont de la gauche. Ils étaient assez rebelles, révolutionnaires. On faisait du thé pour eux. Ils nous parlaient de Malcom X, de Cheikh Anta Diop. Ce sont eux qui nous ont ouvert l’esprit. Ils nous passaient des bouquins. On a été à bonne école. Moi, esprit rebelle ? J’appelle ça plutôt ‘’indépendant’’. Nous sommes libres penseurs, diseurs. Donc, je suis indépendant. Et on l’assume. En vivant dans une société, soit on est acteur ou téléspectateur. Moi, je n’ai pas envie d’être telespectateur. Et non un acteur. De ce fait, lorsqu’on écrira l’histoire, on dira que je fais partie de ceux-là qui ont fait bouger les choses.
Vos dreadlocks, c’est une question de feeling ou il y a toute une histoire derrière…
Parfois, ça pousse, c’est tout. Quand c’est trop long, ça commence à rentrer trop dans le dos, on coupe un peu. Il n y a aucune histoire derrière, c’est juste que je n’aime pas me peigner. Et puis ma mère trouvait que ça m’allait bien.
La presse a récemment fait état d’ennuis de santé. Qu’en est-il réellement ?
Non du tout. Il y avait juste des images de mon clip qui circulaient. Un vidéo qui commence là où on me sort d’une ambulance. (éclat de rires). C’est cette image que les gens ont vu pour dire que j’ai été victime d’un AVC. En ce moment, j’étais au Cap-Vert. Et on m’a appelé de partout pour s’enquérir de mon état de santé. D’ailleurs, j’ai reçu plein de messages sur Watshapp pour me demander ce qui n’allait pas. Il y en avait qui m’appelaient et qui ne savaient même pas quoi me dire. J’ai compris qu’ils voulaient vérifier l’information. Mais ils ne savaient pas comment s’y prendre. Ce n’est qu’après que j’ai compris que ce sont les images de mon clip vidéo qui circulent. Il y a même une tante qui a paniqué. Parce qu’elle a commencé à songer au pire. Mais mach’Allah, ça va. Alhamdoulilah, ça va.
Parlons de votre rubrique dans l’émission «les Mardis de l’Afrique» diffusé sur Canal+…
C’est une émission que j’ai commencée, il y a deux, trois ans. Avant, cela s’appelait ‘’afro disik’’. Alors que maintenant c’est ‘’Rendez-vous’’. Pour les besoins de l’émission, je me balade dans les capitales africaines pour montrer la culture de ces pays. Comme les gens de Canal+ savent que je me ballade dans pas mal de capitales africaines et que je connais du monde un peu partout, ils m’ont demandé de faire cette émission, de la produire avec le studio Sankara dont je suis le propriétaire. Et j’ai trouvé que c’était bien. Parce que presque toute l’année, je passe ma vie à voyager dans certaines capitales africaines. Donc montrer les gens que je rencontre et partager cela avec un grand public (il ne termine pas sa pensée). Je rencontre tellement de gens magnifiques. Et je dois dire que je me découvre une nouvelle passion. Et cela enrichit ma musique parce que je vais à la rencontre de beaucoup de cultures. Là, on revient de la Guinée (Conakry), on a rencontré presque toute la culture guinéenne, des gens qui étaient là depuis Sékou Touré jusqu’au petit de 3 ans qui fait dans la musique.
Des regrets dans votre vie ?
Comme tout le monde, j’en ai mais je n’en parle pas. Des regrets, on ne les met pas avant. Parce qu’on préfère mettre l’accent sur ce qui est beau. Je suis comme tout le monde, j’ai de gros regrets. Peut-être que je vais citer le fait que je n’ai pas pu terminer mes diplômes à l’université. Parce que le rap a été trop fort sur les études universitaires. Donc, je me suis orienté en rap. Alors que j’étais au département d’anglais. Plus tard, j’ai été au Collège Saint Michel pour faire le DEC. Et mon pied s’est cassé. Du coup, j’ai arrêté. (…) A chaque que je vis une mauvaise expérience, je transforme cela en une leçon positive.
Si vous n’êtiez pas rappeur, que seriez-vous devenu ?
J’ai essayé d’être steward pour Air Afrique. Et j’avais même fait le concours. Mais mon rêve n’est pas devenu réalité puisque je n’avais pas ‘’le bras long’’ pour ça. Ceux qui ont cette chance ont pu passer. Parce qu’il faut d’abord faire le concours de natation avant l’écrit. Je voulais être journaliste aussi. Avant tout cela, j’ai voulu faire le Prytannée militaire de Saint-Louis mais je me suis pris trop tard pour le concours. Peut-être qu’aussi, j’aurai pu être militaire. Mais ça n’aurait pas été un bon choix parce que j’aurai fait un coup d’Etat.
Panafricaniste vous vous définissez, pensez-vous que cet autre monde que vous disiez dans un de vos albums soit possible ou est en voie de l’être ?
Un autre monde est possible bien sûr. C’est le slogan des altermondialistes. Et nous, on y croit. Un monde avec plus de démocratie, avec une justice équitable, plus de paix, où les Africains sont propriétaires de leur développement, moins d’armées coloniales sur nos terres, propriétaires de leur monnaie, c’est possible. Il faut rendre possible. Donc, il faut s’engager. L’Afrique n’est pas pauvre, elle est appauvrie. Un Africain qui n’est pas panafricaniste, ça n’a pas de sens. Si tu ne le vis pas qui va le vivre à ta place ? Il ne faut pas que d’autres viennent défendre notre continent. Alors qu’il y a toujours des agressions que l’on subit. C’est juste normale d’être panafricaniste. On a pas le choix. On est panafricaniste et on se doit de l’être. J’ai la chance de faire 44 pays d’Afrique. Et mon rêve, c’est de visiter tous les 54 qui composent l’espace africain. C’est mon rêve ultime. Et le jour où je l’aurai fait, je pourrai dire : ‘’Yes, je suis un panafricaniste’’. Mais pour le moment, je ne le suis pas encore. C’est juste en voie.