IL ETAIT UNE FOIS L’AGE D’OR DES «VENTISTES» DANS LA MUSIQUE SENEGALAISE !
Très présents dans les productions musicales sénégalaises dans un passé récent, les instruments à vent (saxophone, trompette et trombone) sont devenus quasi-inexistants dans les nouvelles productions musicales de nos jours.

Très présents dans les productions musicales sénégalaises dans un passé récent, les instruments à vent (saxophone, trompette et trombone) sont devenus quasi-inexistants dans les nouvelles productions musicales de nos jours. «l’AS» est allé à la rencontre de quelques musiciens «ventistes» pour comprendre
Les instruments à vent tendent à disparaître des productions musicales sénégalaises. Pourtant, dans les grands groupes qui ont marqué le paysage musical sénégalais comme le Xalam, le Super Diamono ou encore le Super étoile, ces instruments étaient très prisés. Ils y jouaient un rôle très déterminant. Cela faisait même le charme de notre musique. Mais, de nos jours, avec l’avènement de nouveaux artistes sur la scène musicale, ces instruments sont devenus les parents pauvres de la musique sénégalaise. Trouvé dans son célèbre restaurant, Jules Guèye nous donne des éléments de réponse. Pour le trompettiste, cette nouvelle génération s’adonne beaucoup plus à la guitare qu’à la trompette car, souligne-t-il, l’instrument à vent est très complexe et il est indispensable d’avoir un maître pour le maîtriser. «La majeure partie des instrumentistes que l’on voit ici ont été formés au conservatoire. J’ai été professeur au conservatoire et j’avais une classe de 10 à 15 élèves qui étaient là et qui avaient commencé à faire la trompette, mais au bout d’une année, 7 ou 8 élèves ont renoncé pour aller faire de la guitare, du piano ou autre chose», se désole-t-il d’entrée de jeu, non sans préciser que ces instruments sont très techniques et demandent beaucoup d’énergie et de travail. Jules Guèye qui joue depuis des années de la trompette se dit persuadé que l’instrument à vent est «le prince des instruments».
En effet, d’après l’instrumentiste, avec les aérophones, il est difficile de tricher. «La trompette, par exemple, a 3 pistons. C’est avec ces 3 pistons que tu dois émettre toutes les notes. C’est différent d’un piano ou tu as toutes les notes avec toi. Avec la trompette, il faut connaître les portions d’air et les densités qu’il faut. Il faut aussi connaître le diapason et avoir la maîtrise des doigtés pour pouvoir faire toutes les altérations sans pour autant se tromper sur les tonalités. C’est un instrument extrêmement difficile», explique Jules Guèye soulignant qu’il a fait douze ans d’apprentissage avec des Russes. Aussi, a-t-il reconnu qu’il n’y pas assez de ventistes au Sénégal. «On ne peut pas compter 5 ventistes au Sénégal ou un tromboniste avec un niveau assez acceptable. Ce sont des instruments avec lesquels on ne peut pas tricher», fait-il savoir avec un sourire taquin.
Et pourtant, l’instrument à vent a été très présent dans la musique sénégalaise. «Que cela soit avec des groupes comme le Xalam2, Ndeup, Sénémali, Baobab, le Super étoile, le Diamono, Bataxal, etc. Ce sont des groupes qui utilisaient beaucoup les instruments à vent. Avant, ces instruments avaient leur place, mais actuellement, il y a certaines formations qui utilisent les instruments à vent mais on ne sent pas leur présence et leur apport au niveau de la valeur artistique. Souvent ce sont des comportements très limités», dit-il. Ce qui est en vogue, fulmine-t-il, c’est qu’il y a un chanteur et un percussionniste qui répondent et qui font en même temps du «kébétu» (parloter). Il y a énormément d’éléments qui sont nouveaux dans notre musique et qui prennent la place des sections et des partitions de cuivre. Cela a tué la valeur musicale sénégalaise. Maintenant nos musiciens préfèrent faire les partitions de cuivre avec le clavier», regrette-t-il
LES CLAVIERS SUPPLANTENT LES INSTRUMENTS A VENT
L’autre facteur qui fait que l’on ne voit plus les instruments à vent dans les productions musicales, selon le mucisien-ventiste, c’est qu’il se trouve qu’actuellement avec le clavier on peut émettre pas mal de notes. Toutefois, d’après Jules Gueye, les claviers ne peuvent pas remplacer les instruments à vent car il y a des gens qui sont très rigoureux et très exigeants en musique. «Par exemple, si je regarde la télé ou j’écoute la radio et que j’entends certains trucs, je décroche parce que je sens les failles et on ne peut pas me leurrer», indique-t-il. Il dit préférer avoir un saxophoniste qui est là et qui fait l’exécution musicale. «C’est important sur le plan visuel mais c’est également important pour le respect de l’œuvre», soutient l’instrumentiste. Pour que l’œuvre soit respectée, selon lui, il faut éviter les programmations et avoir des exécutants. Ce sont ces exécutants qui donnent à l’œuvre toute sa valeur. Il faut que les musiciens insistent sur l’exécution musicale. L’autre problème, relève Jules Guèye, c’est que maintenant les musiciens font du colmatage. «Ils font appel à un guitariste par-ci, un percussionniste par là pour réaliser une œuvre. Ils viennent individuellement faire une petite partition et partir. Ce sont les orchestres en fait qui faisaient la grandeur des œuvres. Le Xalam 2, par exemple, c’était des gens qui répétaient les morceaux. Thione Seck et Baobab également faisaient la même chose. Tu rentrais dans un quartier on te disait il y a tel artiste qui répète dans cette école ou il y a tel orchestre qui est dans ce centre social. Ce sont ces répétitions qui donnaient cette générosité et cette largesse dans la musique et permettaient de donner à tout un chacun la possibilité de participer à l’œuvre. Alors que si c’est en studio, c’est déjà quelque chose qui est déjà programmé. On t’appelle pour faire une petite exécution. Or, des jours de répétitions donnent plus de grandeur quand même à l’œuvre», soutient avec le trompettiste. Aussi, il se trouve que maintenant on retrouve un orchestre dans un orchestre. Avant les orchestres travaillaient en synergie pour un seul et unique objectif. «Tu vois un Jimmy Mbaye qui a de très bonnes idées mais s’il prépare un album est-ce qu’il va donner toutes ses idées à Youssou Ndour ? L’orchestre Baobab, par exemple, travaillait pour un but très précis. Il y avait un système participatif. Maintenant, chacun veut tirer de son coté», regrette le «ventiste» confirmé soulignant qu’autrefois chaque région avait sa musique. C’est cette diversité, selon lui, qui faisait la beauté de la musique sénégalaise
JULES GUEYE : «LES GENS ECOUTENT LA MUSIQUE AVEC LES PIEDS»
Il considère que de nos jours la plupart des musiciens sont dans le même panier avec les mêmes exécutions, les mêmes rythmes et les mêmes couleurs. «Les gens écoutent beaucoup plus la musique avec le pied. Les musiciens écrivent beaucoup plus pour la danse. L’aspect pécuniaire est devenu la dominante. Maintenant on travaille beaucoup plus pour la vente», note-t-il.
THIERNO KOUYATE, SAXOPHONISTE: «LES INSTRUMENTS A VENT DEMANDENT DES MOYENS FINANCIERS»
Les instruments à vent sont très importants confirme celui qui fut des moments le plus jeune saxophoniste du Sénégal. Moulé dans son caftan de couleur beige communément appelé «Obasanjo» du nom de l’ancien Président Olesegun Obasanjo, Thierno Kouyaté de l’Orchestra Baobab est d’avis que la disparition des instruments à vent du paysage de la musique sénégalaise est due au fait que la nouvelle trouvaille c’est le «Marimba» (clavier). Toutefois, le musicien qui a fait les beaux jours de l’Orchestra Baobab trouve une explication à cela. Si l’on se fie à lui, les musiciens ne font plus appel aux ventistes parce que cela nécessite des moyens financiers. Cependant, s’empresse-t-il de dire, les artistes doivent y mettre le coût. «L’instrument à vent est un instrument nécessaire dans la musique. C’est la base de la musique. Il n’y a qu’ici au Sénégal que l’instrument à vent est délaissé mais partout dans le monde on utilise les instruments à vent» regrette-til. Il se remémore que Alioune Mbaye Nder a toujours voulu qu’il joue dans ses productions car il aime beaucoup les vents. Idem, dit-il, pour Youssou Ndour. Jetant une pierre dans le jardin des artistes «Mbalaxman», il invite ces derniers à améliorer leur musique en utilisant les instruments à vent au lieu de privilégier le sabar (Tam-Tam). Il considère, dans le même temps, que le clavier qui est très prisé par les musiciens contemporains sénégalais est aussi l’un des facteurs qui font que l’on voit de moins en moins les aérophones. Toutefois, Thierno Kouyaté est pour le retour des instruments à vent. Mais, alerte-t-il, si l’on n’y prend garde, cet instrument risque de disparaître.
SANOU DIOUF, CHEF D’ORCHESTRE, SAXOPHONISTE-FLUTISTE
Le chef d’orchestre de l’Orchestre national, Sanou Diouf, n’y va pas par quatre chemins. Dans son lieu de répétition où nous l’avons trouvé avec ses collègues de l’Orchestre national, Sanou Diouf qui a dans sa besace 36 ans d’expérience nous livre sa lecture sur la disparition des instruments à vent dans la musique sénégalaise. Sans euphémisme, il considère que la disparition des instruments à vent est liée au problème de production, au Sénégal. Il s’explique: «Les musiciens de nos jours au lieu de prendre un saxophoniste en temps réel, ils utilisent le clavier. Cela donne les mêmes sonorités mais pas le même impact». Il estime également que le problème est aussi économique. Par là, il nous fait savoir que les musiciens n’ont pas assez de moyens, faute de structures qui financent la production musicale. La politique culturelle, d’après le saxophonisteflûtiste est morte au Sénégal. Il pense, en effet, que les gens ne comprennent pas que la culture est importante. Très nostalgique, il se rappelle que vers les années 70 jusqu’aux années 90, les instruments à vent ont joué un rôle déterminant dans la musique au Sénégal. Pour remettre à la musique sénégalaise ses lettres de noblesses, le chef de l’Orchestre national invite le ministre de la Culture et le Chef de l’Etat à appuyer les musiciens.