LA CUISINE FRANÇAFRICAINE, QUAND LE POETIQUE REJOINT LE POLITIQUE
PUBLICATION - ALMAMY MAMADOU WANE
Editions l’Harmattan 2016. Collection Points de vue. 109 pages
C’est entre les quatre murs d’une petite cuisine interne, assez particulière d’ailleurs, que nous introduit, en toute indiscrétion et sans avoir peur de toucher à tout, une pincée de ceci ou une pincée de cela, l’ouvrage d’Almamy Mamadou Wane, qui commence plus ou moins par défaire quelques nœuds. Non, la politique en Afrique n’est ni l’affaire d’une élite, encore moins la chasse gardée d’une petite poignée de privilégiés. On la retrouve, dit l’auteur, dans les endroits les moins prestigieux de nos capitales africaines, y compris dans les «faubourgs» de Dakar ou de Yaoundé, où elle a comme qui dirait trouvé le moyen de se glisser dans le quotidien de monsieur et madame tout-le-monde.
Avec sa petite centaine de pages, le livre passerait quasiment pour un lexique politique, entre l’opinion et l’Histoire, décortiquant quelques-uns des mots usuels, victimes ou non d’un abus de langage. Celui d’«Intellectuels» par exemple, hérité de cet article de Georges Clémenceau paru dans «L’Aurore» du «23 février 1898», en pleine affaire Dreyfus. Mais l’Histoire, quand on y pense, n’est finalement qu’un prétexte, car si la formule désigne à l’époque les universitaires, les écrivains et sans doute aussi tous les artistes qui occupent alors l’espace public, Almamy Mamadou Wane ne s’en sert vraiment que pour dépoussiérer les vieux meubles, disqualifiant tous les pseudo-intellectuels qui se contenteraient aujourd’hui de «parader devant les chaines de télévision», ou qui auraient hérité de ce titre surfait, à force de fréquenter de façon plus ou moins assidue les pages «opinion» des journaux. De quoi faire songer à ce que le sociologue français Pierre Bourdieu écrivait à ce sujet dans son ouvrage intitulé «Sur la télévision»…
CES «INTELLECTUELS EN MONTGOLFIERE»…
Almamy Mamadou Wane n’est d’ailleurs pas très tendre avec eux, soupçonnés qu’ils sont d’avoir justement été fabriqués par une presse complice, et idem pour ceux qu’il appelle les «intellectuels en montgolfière», cette «élite hautaine et désarçonnée», autrement dit «loin du peuple». Lorsqu’elle ne se compromet tout simplement pas comme il dit, servant de «bras armé» au «politicien», à ses «magouilles» et autres «fausses factures».
Et si Almamy Mamadou Wane donne même quelques exemples de cette «neutralisation des intellectuels par l’argent», mais sans citer de noms, on ne tombe pourtant que sur de vieux fossiles déterrés, ou sur des cold cases sans vrais «coupables» : au Zaïre (l’ancien nom de la République démocratique du Congo), des enseignants et intellectuels firent «allégeance au régime de Mobutu», et ce sont encore eux, les intellectuels, qui «théorisèrent», au Rwanda des années 90, «l’élimination systématique des Tutsis». Quant à nos élites politiques africaines, elles ne seraient ni plus ni moins que des «potentats locaux», à la botte de froides «institutions internationales, qui distilleraient «ici ou là des remèdes avec une arrogance (…) sans précédent».
Dans cette cuisine interne, on vous dévoile même quelques secrets…de table, lorsque l’auteur note dans son petit carnet de recettes, que les scrutins perturbent le sommeil de nos dirigeants africains, que les élections rajoutent un peu de «piment» à la marmite électorale, ou que la «fraude électorale», ou l’art de «transformer une défaite en ballotage ou en victoire», a toujours été un «ingrédient incontournable» de cette cuisine politique. Ou alors vous dira-t-il que dans un pays comme le Sénégal, les «pouvoirs qui se succèdent excellent dans leur capacité à organiser la captation des biens publics», en plus de «la patrimonialisation de l’Etat par l’invasion familiale», confondant les «caisses» de leurs pauvres Etats avec le «porte-monnaie du dimanche».
Le chef de l’Etat ne serait quant à lui que le «président déguisé de l’Assemblée nationale», de quoi fabriquer selon l’auteur un Hémicycle «léthargique», «douce parodie entre gens de bonne compagnie», avec des parlementaires roulant en grosses voitures, se contentant de citer le président de la République «à chaque fin de phrase», un peu comme s’il s’agissait d’une formule magique.
DANS LA PEAU D’UN «OPPOSANT HISTORIQUE»
En Afrique, laisse aussi entendre Almamy Mamadou Wane, les chefs d’Etat entretiennent une relation quasi pathologique avec le Pouvoir, s’accrochant à leur trône comme à une bouée de sauvetage : la peur d’être rattrapés par une sale affaire, d’être traduits devant la Cpi, la Cour pénale internationale (que l’on soupçonne d’ailleurs de ne s’en prendre qu’à des présidents africains), ou de recevoir une convocation officielle de la très controversée Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) au Sénégal, suspectée, elle aussi, de ne pas toujours être très équitable.
Quant aux «opposants historiques» comme on dit, qu’il s’agisse d’Abdoulaye Wade au Sénégal ou de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, ils feraient de «bien piètres chefs d’Etat», sans doute parce qu’ils ont du mal à se défaire de ce statut de «Présidents opposants», qui finit plus ou moins par leur coller à la peau.
En tournant l’une après l’autre les pages de ce livre, on tombe aussi sur une définition de la Françafrique, assez caricaturale du reste : La Françafrique, ce sont des «pillards (…) occidentaux bon teint et leurs complices (…) chefs d’Etat et de gouvernements des pays africains post indépendants».
Mais on reste dans le ton du texte…Un humour noir assez féroce, quelque chose d’assez caustique, et même quelques tranches de poésie par endroits, malgré ce petit côté à la fois trop cloisonné et trop fourre-tout ou touche-à-tout, qui arrive à rompre le charme : entre les très nombreux chapitres très juxtaposés du livre, comme étrangers les uns aux autres, on court parfois après le fameux fil rouge de l’histoire…sans transition.
Ou alors reprocherait-on à l’auteur d’avoir parfois manqué d’audace, se contentant parfois de quelques affirmations gratuites pour ne pas dire très peu argumentées : de Senghor et de Diouf il dira par exemple qu’ils n’ont jamais eu de vrais opposants, et que leurs seuls «vrais adversaires», que l’auteur ne prend pas la peine de citer nommément, «ont souvent été marginalisés et criminalisés». On soupçonne encore l’essayiste d’avoir aussi entretenu le flou autour de ces (mystérieux) hommes politiques «fabriqués de toute pièce (…), maintenus dans l’opposition par la France», «cachés sous une certaine opposition sénégalaise d’obédience droitière (…) inculte et revancharde», ou dans la peau de «dinosaures revenus du dioufisme et d’(…) opposants de circonstances». Idem pour les dictateurs «aux mains rouges de sang», et de surcroit «couvés par la France», qui ne sont ni plus ni moins que d’anonymes personnages.