LES ARGUMENTS DE SIMON NJAMI
Un relooking pour la Biennale de Dakar ?

«C’est problématique», la Biennale ne peut pas continuer à dépendre, à 95%, de l’Etat du Sénégal, qui a bien décidé de «doubler le budget de la Biennale»… «Ce n’est (pourtant) pas assez». Une Fondation pour la Biennale de Dakar ? Pourquoi pas ?! Morceaux choisis de cette matinée d’hier, lundi 7 mai au Musée Théodore Monod, où le directeur artistique de la Biennale de Dakar, Simon Njami, devait répondre à Adama Sanneh, conférencier du jour et co-fondateur de la…Fondation Moleskine.
C’était à prévoir...Il n’est pas du genre à faire dans le politiquement correct, quand bien même sa voix basse a presque l’air d’un murmure. Il faut tendre l’oreille, s’adapter à lui et pas l’inverse. Simon Njami, le directeur artistique de cette 13ème Biennale de Dakar dans la peau du «discutant», on s’attend forcément à quelques piques çà et là.
Dans la matinée d’hier, lundi 7 mai ou le tout dernier jour des Rencontres et Echanges de ce Dak’art 2018 au Musée Théodore Monod, Simon Njami devait donc répondre (et Dieu sait qu’il a du répondant) au conférencier Adama Sanneh, que l’on a entendu dire, entre autres choses, que nous devions «repenser nos institutions», la Biennale de Dakar par exemple, en créant pourquoi pas une Fondation Biennale de Dakar sur la base d’un «partenariat privé-public». Ce qui signifierait que l’Etat resterait présent.
Une idée qui a eu l’air de plaire à l’actuel directeur artistique. «La Fondation ferait sens», a-t-il dit, sans oublier que celle-ci «permettrait au Gouvernement de garder le contrôle sur la Biennale». Simon Njami, qui s’est même laissé aller à jeter quelques fleurs au Sénégal et aux Sénégalais, «pour avoir (justement) créé la Biennale», a tout de même à tenu à dire, comme pour rassurer, sinon pour convaincre, que le pays de Senghor n’avait pas à avoir «peur de perdre» son bébé. Et que cela ne risquait pas d’arriver, même si l’Etat du Sénégal laissait un peu grandir la Biennale, qui ne peut pas absolument pas continuer à «dépendre de l’Etat du Sénégal à 95%.» Parce que «c’est problématique».
Quant à l’Etat du Sénégal lui-même, il serait là pour veiller à ce que les choses n’aillent pas «dans la mauvaise direction». Une sorte de contrôle parental dirait-on.
Simon Njami, qui s’est exprimé en anglais, a aussi parlé de faire de la Biennale, «a winning machine», donc une machine qui gagne. Mais encore faudrait-il que «l’on ne dorme pas entre deux Biennales», sans parler de ces galeristes qui ne s’activeraient «que pendant la Biennale », probablement la seule période où «l’atmosphère est (encore assez) riche».
Si la Biennale «existe» et qu’elle peut «attirer des gens», il faudrait donc penser à l’entre-deux Biennales. L’actuel directeur artistique a justement soulevé un certain nombre de questions : comment, entre deux Biennales, un artiste se débrouille-t-il pour montrer son œuvre à Dakar? «Que font les artistes, où sont les galeristes, où est la pensée critique » ?
Pour Adama Sanneh, «nous avons besoin d’avoir plus de galeristes africains, plus de curateurs africains, plus de collectionneurs africains, plus d’investisseurs africains...», et on ne peut pas se contenter, ajoutera-t-il, de faire les choses chacun dans son coin.
Justement parce que, pour reprendre les propos de Simon Njami, «sans les écrivains, les collectionneurs», les choses qui se font ici et là resteront malheureusement invisibles, «et si c’est invisible, c’est que ça n’existe pas».
Il faut aussi souligner que le tout dernier volet des Rencontres et Echanges de cette 13ème Biennale de Dakar a eu le mérite, dans son intitulé tout au moins, de parler d’ «Art et Argent», de façon crue, et sans euphémisme. Simon Njami fait d’ailleurs remarquer que c’est un peu par «hypocrisie», que certains artistes vous diront qu’ils ne créent pas pour de l’argent, qu’ils sont avant tout des artistes, alors que «l’argent compte».
Y compris dans cette Biennale de Dakar elle-même où le président du Conseil national du Patronat (CNP), Baïdy Agne, qui est aussi le président du Comité d’orientation du Dak’art se vantait d’ailleurs, lors de la cérémonie d’ouverture de cette 13ème édition, d’avoir ouvert l’art à l’entreprise.