LES RAISONS DE LA DÉLOCALISATION
Si le Grand Théâtre National reste la principale salle de concert ou de soirée au Sénégal, les artistes ont préféré mettre la barre haute en jouant dans les grandes salles mythiques d’Europe
Si le Grand Théâtre National reste la principale salle de concert ou de soirée au Sénégal, les artistes ont préféré mettre la barre haute en jouant dans les grandes salles mythiques d’Europe. De Youssou Ndour, à Pape Diouf en passant par Wally Seck et Viviane Chidid, les artistes sénégalais rassemblent la communauté africaine de l’Occident même si parfois les difficultés ne manquent pas. Les journalistes culturels Alassane Cissé, Alioune Diop et Fadel Lo analysent cette nouvelle tendance des artistes consistant à délocaliser les prestations.
Tout a commencé avec le lead vocal du groupe Super Etoile, Youssou Ndour. A travers son Grand Bal qu’il organise à Bercy depuis les années 2000, il réussit à rassembler la communauté africaine et même plus. Aujourd’hui, la jeune génération d’artistes lui emboite le pas en allant elle-aussi à l’assaut du public de la diaspora. Par exemple, Viviane Chidid a été au Zénith le 10 mars dernier. Wally Seck et Pape Diouf prévoient de retourner sur les mythiques salles européennes. L’un est programmé le 8 septembre prochain à Aréna de Genève, l’autre le 13 octobre prochain à Bercy, pour ne pas oublier les artistes qui sont en tournée permanente en Europe. Le journaliste Alassane Cissé explique cette tendance actuelle d’aller jouer en Europe par le « dynamisme de la musique sénégalaise du point de vue de ses rythmes et de ses messages ». Allant plus loin, il dira que «cela montre que la musique sénégalaise s’exporte». Un avis que ne partage pas son confrère Fadel Lô. Pour ce dernier, «malgré tous les efforts des artistes, le mbalakh peine à s’imposer en Occident et ces spectacles sont toujours suivis en majorité par des sénégalais».
Ce qui fait qu’il trouve les raisons de vouloir jouer en Europe ailleurs. « Il est évident que la notoriété d’avoir joué dans ces lieux mythiques constitue certainement la plus grande source de motivation. Certains même s’enorgueillissent, à tort, d’être les premiers à avoir joué dans tel ou tel lieu. Ce qui renseigne sur le prestige attaché à ces lieux mythiques», a-t-il fait savoir.
Difficultés parfois à remplir les salles
Sans aucun doute. Que ce soit Zénith, AccorHotels Aréna Paris Bercy ou encore Aréna Genève, ces salles mythiques européennes sont très vastes. Ce qui fait que parfois, les artistes sénégalais peinent à les remplir. « Il faut noter que la plupart des artistes peinent à remplir ces lieux qui accueillent des milliers de personnes. Wally Seck avait eu du mal à remplir le Zénith et aussi Bercy. Pape Diouf avait lui réussi à faire le plein au Zénith. Viviane a été la plus mal lotie en peinant à déplacer du monde au Zénith», soutient Fadel Lo. Toutefois, ajoutera-t-il, «le plus important, c’est de réussir à produire un beau spectacle mais, il n’est pas question de tout faire pour remplir les salles. Une confession qui renseigne largement sur la complexité du problème». Fadel Lo fait ainsi savoir que «cette hantise de remplir ces salles constitue quelque part aussi une hantise pour ces jeunes artistes».
«Un seul concert, c’est insuffisant pour développer une carrière»
Le journaliste culturel à la Rsi, Alioune Diop apprécie bien cet engagement des artistes à aller conquérir l’Europe surtout avec la «dimension communautaire».
Mais pour lui, il faut beaucoup plus d’ouverture. Car, dit-il, un seul concert pour un artiste c’est juste un «aspect sémique». Cela ne peut pas développer une carrière d’un artiste. «Ce sont des concerts communautaires mais ce serait mieux que leur agent ou le promoteur contactent d’autres tournées pour leur permettre de circuler un peu tout autour, c’est ça qui est bénéfique mais essayer de développer une carrière avec une date dans un pays donné sans un aspect discographique, c’est insuffisant», souligne Alioune Diop.
Poursuivant son propos, il dira : «il faut un disque, il faut être distribué et puis aller jouer plusieurs dates mais ce que je vois, les concerts sont juste des concerts communautaires. C’est pour la diaspora sénégalaise et à mon avis, si les rayons sont ouverts davantage vers d’autres mélomanes, ce serait le mieux. Un seul concert, c’est insuffisant pour développer une carrière mais avec sa dimension communautaire, je crois que c’est important».
Les artistes se frottent les mains
En général, ce sont des promoteurs qui sont derrière l’organisation des concerts des artistes en Occident. Les clauses contractuelles sont définies par les deux parties. Ce qui fait que le risque se trouve au niveau du promoteur mais pas au niveau de l’artiste s’ils arrivent bien sûr à respecter les contrats signés.
«Je crois qu’ils n’ont rien à perdre. Ils vont jouer, on les paie sauf si de façon indirecte, ils sont impliqués dans l’organisation car, ils peuvent faire un deal avec le promoteur pour chercher des moyens additionnels », explique Alioune Diop.
Sur ce, Alassane Cissé embouche la même trompette. Pour lui, les artistes ont de «bons cachets» en plus de gagner en termes de «contacts et de relations».
«Les artistes gagnent certainement en notoriété en jouant dans ces grandes salles. Mais au niveau financier, le gain n’est pas toujours important. Le chanteur est juste payé par le promoteur et son seul et unique défi est de remplir la salle ou bien à défaut de faire déplacer du monde», dixit Fadel Lo.
FUITE DES TALENTS
Dans cette tendance d’aller jouer en Europe, souvent certains invités en profitent pour prendre la poudre d’escampette. Mais, une chose est sûre selon Alioune Diop, le domaine de la musique est un domaine complexe qui demande un travail de titan. « La concurrence est trop rude en Occident. Il faut être réellement talentueux pour pouvoir se frotter aux autres, pour pouvoir attirer l’attention des producteurs ou des chanteurs qui peuvent les prendre dans leurs groupes. Ce qui fait que souvent, ils abandonnent la musique », dit-il. Et d’ajouter, « un bassiste ne peut pas trouver un boulot facilement en Europe, un batteur, un saxophoniste, ce n’est pas facile ». Malgré tout, Alioune Diop reste convaincu que la « fuite des talents n’a pas affaibli la création de la musique, le milieu musical ici ne souffre pas de la fuite des talents». Il faut dire que de ces concerts organisés en Europe, les artistes, en plus de chercher la notoriété, font découvrir la musique africaine.