L’ETRE, LE TEMPS ET LA MORT
JO OUAKAM
Jo Ouakam, décédé le mardi 25 avril 2017, à l’âge de 72 ans, aura réussi à retarder le Conseil des ministres qui se tient habituellement le mercredi à partir de 10 heures. Le chef de l’Etat devait assister à la levée du corps. Signe de reconnaissance de la République à un artiste qui aura inscrit son nom dans l’histoire de l’art du Sénégal.
Qui était Issa Samb, plus connu sous le pseudonyme Jo Ouakam ? La question est de taille vu que l’artiste présentait plusieurs facettes à l’humeur imprévisible. Poète, installateur, peintre, dramaturge et surtout philosophe dont toute l’œuvre questionne la Mort, le Temps et l’Etre, dans sa cour galerie-atelier au 17, rue jules Ferry, à Dakar. Une cour où les objets terminent leur cycle de réincarnation avant leur entrée dans le nirvana de l’art. Toute la pensée de Jo Ouakam s’orientait vers l’idée de la mort, de pourrissement, de dépérissement. Combien de temps met un livre, un bout de ferraille, un chiffon, un bout de bois ou une simple feuille à se décomposer et s’effacer de notre mémoire ? Le visiteur qui posait pieds dans cet endroit érigé en temple de la contre-culture ne manquait pas de se la poser devant ce qui paraissait être à ses yeux des empilements de fer, de livres, de feuilles mortes, de journaux patinés par les intempéries. L’idée maitresse du travail de Jo fait du temps, l’horloger de la création. Il n’était pas un stakhanoviste du travail, il pouvait s’emmurer dans de longs silences. Ses œuvres installations étaient des plus éphémères.
En rendant visite à Jo Ouakam une semaine avant sa mort, je l’ai trouvé fort maigri mais d’une extrême sérénité. Il m’avait fait asseoir dans son lit. Il n’avait pas tiré la couverture sur lui pour masquer les ravages de la maladie sur son corps qui ne s’était jamais signalé par un embonpoint. Son esprit restait alerte et vif. Nous avions échangé moult souvenirs et en le quittant il me demanda de ne pas oublier son exposition prévue le 23 mai à la galerie Le Manège. Alors que son corps le quittait tout doucement, son esprit se projetait vers le futur. La sérénité, l’absence de stress devant l’inexorable, avait de quoi déstabiliser le visiteur que j’étais. Alors, toute sa création sonna en moi comme une évidence : Accepter que la vie et la mort cohabitent en nous et que nul ne peut avoir la maitrise du temps, qui file entre nos doigts, imposant sa durée. Une fois l’idée acquise, il ne peut y avoir que de l’apaisement à l’heure de partir.
Jo Ouakam élaborait son raisonnement, avec toute sorte de matériau. Dans sa cour, on pouvait y voir des monticules de tombes surplombés de croix, des installations-autels. J’ai l’amertume d’avoir manqué de capturer avec mon appareil photo l’une des installations que je considère jusqu’ici comme étant l’œuvre la plus accomplie de l’artiste. L’œuvre en question était constituée d’une moustiquaire à l’intérieur de laquelle, enserré dans un drap blanc une forme humaine avec à l’entrée de la moustiquaire une paire de bottes en cuir noir. L’épitaphe « on n’emporte pas ses bottes en pénétrant dans le halo de la mort » aurait été superflu. L’œuvre était d’un tel saisissement pour l’esprit qu’on se figeait devant. Il n’était pas question d’effroi mais de rire de la mort.
Dans la cour de Jo, quand l’obscurité descend de ses arbres dont on dit qu’ils sont centenaires, tout devient théâtre d’ombres et c’est Plekhanov qui se donne en spectacle sous la poussée du vent. Lieu insolite pour les uns, lieu de transgression pour les autres où le temps sculpte la matière et accorde au visiteur le temps de pénétrer l’âme des objets disposés dans un désordre supposé. Les œuvres en suspension m’ont toujours renvoyé au poème de Villon : « les pendus »
Jo apprivoisait la mort en faisant d’elle la compagne des jours de fortune et d’infortune; une récurrente thématique. Jo était aussi un ermite dans son cloitre ouvert, en retraite dans sa solitude créatrice, entouré de ses objets. La réflexion était devenue son double. Le silence ; un tableau noir. Mais Jo s’occupait aussi à conserver et sauvegarder la mémoire de ses amis et anciens compagnons. La photo de Djibril Diop Mambety était fixée à la porte de sa mystérieuse chambre à coucher, tout récemment il avait exécuté le portrait de Blondin Diop, l’une des figures de proue du Mai 68 sénégalais et lors de la biennale sur le dos des chaises en empilage qu’il exposait, figurait le nom des personnes avec qui, il entretenait une amitié. Il conservait avec soin des coupures de journaux relatant des événements importants de la vie politique sénégalaise.
En fait les œuvres de Jo Ouakam, facette plus connue que l’énigmatique Issa Samb, nous réapprennent à voir et entendre les choses. Le poète Birago Diop dirait : «Ecoute plus souvent ….»