MABANCKOU ET WABERI REDÉFINISSENT L'AFRIQUE
Dans leur « Dictionnaire enjoué des cultures africaines », les deux écrivains rompent avec la perception du continent vu comme « un réservoir de malheurs »
« Abacost ». C’est la première définition du Dictionnaire enjoué des cultures africaines et un mot qu’Alain Mabanckou, co-auteur de l’ouvrage avec Abdourahman Waberi, confie adorer. Pas vraiment un hasard… Ce veston d’homme au col sans revers, lancé par Mobutu du temps du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) pour rompre avec les signes extérieurs de colonisation, voulait valoriser l’« authenticité africaine ». Le choix de ce terme en ouverture ressemble un peu à une mise en abyme de ce qu’est ce faux dico, vrai manifeste d’une Afrique en mouvement.
Le Dictionnaire enjoué est né de conversations de café entre ces deux plumes d’or, titulaires de chaires de littérature francophone dans de prestigieuses universités américaines, qui avaient envie de poser sur une page blanche un peu de l’énergie de l’Afrique et de montrer comment la France noire ou l’Afro-Amérique irradient de cette même énergie vitale et créatrice. Mabanckou le Congolais et Waberi le Djiboutien, qui contribuent depuis des années à faire circuler une parole libre sur leur continent de naissance et dans ses diasporas, offrent là un traité moderne et ludique qui remet quelques idées en place. Réponse carabinée à tous ceux qui, formatés par l’idée qu’une œuvre littéraire doit s’inscrire dans un genre, pensaient qu’un dictionnaire ne pouvait pas offrir de vision du monde…
Balles perdues
Les deux écrivains (Abdourahman Waberi est aussi chroniqueur au Monde Afrique) réhabilitent le genre. Avec cette « promenade dans les cultures africaines », ils glissent une flamme passionnée « qui donne à voir et à sentir le pouls d’un très grand continent » et entendent rompre avec cette manière « de percevoir l’Afrique comme un réservoir de malheurs ou un continent frappé d’une malédiction atavique et caractérisé par des affrontements ethniques ».
Loin de diminuer l’effet, la fragmentation de l’œuvre en définitions contribue à façonner une philosophie pétillante de l’Afrique où la France se prend quelques balles perdues. La définition de « développement », particulièrement achevée, rappelle que « l’aide au développement est une somptueuse arnaque. Bien loin de contribuer à atténuer les inégalités, l’argent versé par les pays riches aux pays du Sud sert d’abord à exercer une influence politique et commerciale tout en entretenant le cercle infernal de la dette ».
Faut-il y lire une pointe de critique à l’heure où Emmanuel Macron veut faire passer l’aide de la France de 0,5 % à 0,7 % du PIB ? Chacun interprétera à sa manière… Comme le fait que l’ouvrage referme sur les « Zem », ces taxis béninois « qui illustrent combien les populations africaines prennent leur destin en main et savent trouver des ripostes aux défaillances des régimes politiques en place ». Ça c’est dit !