«ON NE VIT PLUS NOS RÉALITÉS SOCIO-CULTURELLES DANS NOS THÉÂTRES»
Daba Sèye, plus connue sous le sobriquet de «Diamant noir», est une actrice-comédienne de l’ancienne génération
Daba Sèye, plus connue sous le sobriquet de «Diamant noir», est une actrice-comédienne de l’ancienne génération. Ayant capitalisé près de trente années d’expérience sur les scènes théâtrales, «Diamant noir» ne met pas de gants pour critiquer la manière de faire actuellement du théâtre qui est loin de ce que l’on avait l’habitude de voir auparavant, avec en toile de fond la censure dont font l’objet certains téléfilms.
D’où tenez-vous votre sobriquet de «Diamant noir» ?
Ça vient de l’hôpital Dalal Xeel de Thiès où un parent avait été interné. Une personne souffrant de déficience mentale. Quand elle a recouvré la santé, elle m’avait collé ce sobriquet en référence à mon teint noir. Je ne me suis jamais dépigmentée et j’étais en parfaite harmonie avec ces malades mentaux. Je n’avais pas peur d’eux et je ne les fuyais pas. J’avais de la compassion pour eux au contraire. Nous étions toujours ensemble et je les soutenais. On s’entraidait. J’ai vécu dans l’hôpital durant plus d’un mois. On avait fini par croire que je faisais partie du personnel de l’hôpital, tellement j’avais des liens avec les personnes déficientes mentales et discutais avec elles. Il y avait une case où je me retrouvais pour faire des contes. Et je demandais à chacune de ces personnes ce qui l’avait ramenée à l’hôpital. Et chacune d’entre elles y allait de sa réponse. C’était une initiative que j’avais prise de les accompagner en tant qu’artiste.
Et comment vous êtes arrivée dans le théâtre ?
Je suis entrée dans le théâtre en 1992. J’étais dans une troupe théâtrale qui s’appelait Yakaar, basée à Guédiawaye, plus précisément au quartier Diamono 2 où on faisait du théâtre de rue. Un gars qui s’appelle Tapha Ndiaye regroupait les jeunes du quartier que nous sommes pour des répétitions. Après les Navétanes, tout le monde a quitté la troupe sauf moi. Je venais constamment faire des répétitions. C’est pour ça qu’il m’a amenée chez feu Malick Ndiaye pour que j’évolue dans sa troupe théâtrale qui s’appelle Libidor et qui est à Pikine. C’est tonton Malick Ndiaye qui m’a formée dans le théâtre. Je prie que le paradis soit sa demeure éternelle. C’est grâce à lui que j’ai acquis toutes les connaissances que j’ai eues dans le théâtre. C’est quelqu’un qui avait de la personnalité, quelqu’un qui a contribué à ce que je suis devenue aujourd’hui. J’ai joué dans Thiaba Thiès, Thiey Arona, Thiey Awa. En somme, j’ai joué dans plusieurs pièces théâtrales dont la dernière est Le grand amour avec Pikini Production de Alioune Ndiaye.
Comment jugez-vous le théâtre sénégalais à l’heure actuelle au regard de ce qui se faisait auparavant ?
Les acteurs-comédiens de l’ancienne génération comme moi ne se retrouvent pas dans ce qui se fait actuellement dans le théâtre. Avec le théâtre actuel, des rôles sont dévolus à des jeunes alors que ces rôles devaient échoir à de vieilles personnes. Je ne sais où ça cloche. Je ne sais pas si c’est au niveau des producteurs, des réalisateurs ou ce sont les Sénégalais qui veulent que les choses se passent ainsi. Il y a beaucoup de failles et de fausses notes qu’on décèle à travers les pièces de théâtre. Mais on n’y peut rien. Maintenant, ce sont les sponsors qui paient les pièces. Si on n’a pas de bras long, on ne pourra pas apparaître au petit écran ou on ne pourra pas participer à certaines choses, on est laissé en rade. Il suffit d’être mannequin pour gagner beaucoup d’argent dans le théâtre. Il y a certains qui, récemment, ont intégré le théâtre et y trouvent leur compte. C’est leur chance et je prie pour que cela leur porte bonheur. Je peux dire que je n’ai rien gagné dans le théâtre. Je n’y trouve pas encore mon compte. Je ne désespère pas de voir la chance me sourire un jour. Les rôles ne sont pas dévolus dans les règles de l’art. Je pense qu’on ne fait plus de casting. On fait ce qu’on veut, c’est tout sauf du casting.
Et la censure qui frappe certains téléfilms accusés de perversion…
Il y a des rôles qu’on ne devrait pas accepter d’incarner. Notre religion ne nous le permet pas. Une vidéo résiste à l’usure du temps. Le rôle que tu dois incarner devrait préserver ta dignité. Les producteurs n’ont que leur argent. Les réalisateurs, je ne sais pas s’ils ont appris ou pas leur métier, mais la manière avec laquelle certaines pièces de théâtre sont faites m’intrigue. Tu vois une dame sur son trente-et-un se retrouver dans une cuisine. C’est vous dire qu’on ne vit plus nos réalités socio-culturelles dans nos théâtres. Parce que ce sont des piscines qu’on nous montre, de beaux salons. Les scénarios sont ainsi faits. On nous fait miroiter d’autres réalités, on fait miroiter à nos enfants de l’argent, on veut leur inculquer les mauvaises pratiques. C’est ce que je vois à travers nos téléfilms.
Vous voulez dire que faire du théâtre actuellement est beaucoup plus facile qu’auparavant ?
Jadis pour faire du théâtre, on entrait dans une troupe pour se faire former. Il y avait des troupes à l’époque. On y allait pour répéter. Normalement quel qu’en soit le rôle, cela exigeait que l’on fasse de la répétition pour bien le maîtriser, même s’il fallait que le rôle qu’on incarne se limite à des salamalecs. «Comment tu vas, je vais bien» demandait que l’on fasse de la répétition pour le prononcer dans un rôle dévolu. Rien qu’une séquence dans un film te prenait trois heures de temps pour la répéter pour que ça soit normal. La répétition est une obligation dans le théâtre. Dans le théâtre d’aujourd’hui c’est du «Yamaneex (la facilité en français). Il n’y a que la beauté qui compte. Il n’y a que ceux ou celles qui sont beaux qui sont cooptés dans les pièces. Peut-être que les Sénégalais le veulent ainsi. Les jeunes ne cherchent que le buzz. Il suffit de gagner en popularité pour gagner de l’argent. C’est devenu facile pour ceux qui sont populaires de gagner de l’argent. Il suffit d’être populaire chez les filles pour se trouver un copain. C’est le même cas chez les hommes qui trouvent facilement une petite amie. Il y a certains qui ne sont même pas payés. Plusieurs d’entre eux sont trompés car on leur fait miroiter qu’ils seraient pris. Il y a des castings de chambre. Plusieurs jeunes ont gâché leur vie à cause de ces pratiques peu orthodoxes qui ont court dans le théâtre. Pour la plupart d’entre eux, le théâtre n’est pas leur métier. Mais c’est le fait de vouloir être célèbre qui les pousse vers le théâtre. Il y a actuellement plus d’argent dans le théâtre. Jadis, il y avait le long métrage d’une heure. Maintenant on fait des pièces avec plusieurs épisodes. Il y a certains qui sont payés par mois. Ce que je vois dans le théâtre est qu’il y a beaucoup de laisser-aller que j’y note. Qui veut se taper une petite amie passe par le théâtre. Le théâtre est un métier noble. Celui qui le pratique doit être quelqu’un de discret, qui doit être civilisé. On ne doit pas dire à ses parents que je vais aller faire du théâtre pour aller faire autre chose. Cela n’est pas bon pour celui qui le fait. L’acteur-comédien participe à l’éveil des consciences. Il ne doit pas jouer avec sa carrière pour de l’argent et du buzz. Il doit éviter le buzz. On ne doit pas vendre sa dignité pour de l’argent. Ça n’en vaut pas la peine. Il y a certains qui ne sont pas rétribués mais à qui le théâtre profite. Grâce au théâtre, ils se font des connaissances. Le théâtre c’est un métier. Je demande à ceux qui veulent faire du théâtre d’aller vers les troupes où d’intégrer les Arcots pour se faire former.
Quel est votre plus grand cachet gagné dans le théâtre ?
Souvent je gagne des marchés de publicité. L’argent que je gagne, le plus je le tire de la publicité. Je rends grâce à Dieu. Souvent ce sont les périodes de vaches maigres. Je reste dans mon coin et l’on me sollicite pour une pièce. Je demande combien de séquences qu’on voudrait que je fasse et on me paye. Si je n’y trouve pas mon compte, je décline l’offre.
Jusqu’où êtes-vous prête à aller dans le théâtre ?
Je n’accepte pas de jouer n’importe quel rôle. Si on me propose un rôle où on dénote une certaine vulgarité, je rejette l’offre. Beaucoup me disent que je suis très compliquée et je ne vais pas avancer parce que je mets trop de barrières. L’argent ne vaut pas plus que ma dignité. Si on jette un coup d’œil sur l’accoutrement de certains chanteurs et danseurs, on note une certaine vulgarité qui expose leur nudité. Ils ne s’en rendront compte qu’une fois qu’ils seront vieux et auront des enfants et qu’on publie les archives qu’on a sur eux. C’est à ce moment qu’ils réaliseront que l’argent ne vaut pas plus que la bonne image qu’on doit véhiculer. La recherche du buzz n’en vaut pas la peine. Une femme doit se respecter, avoir de la personnalité.