«NOUS ALLONS CONTRIBUER A LA RESOLUTION DE LA CRISE CASAMANÇAISE»
Après plusieurs années d’absence, les Touré Kunda sont de retour, au bon souvenir des Sénégalais avec l’album Lambi Golo
Après plusieurs années d’absence, les Touré Kunda sont de retour. ils se rappellent au bon souvenir des Sénégalais avec l’album Lambi Golo. Alertes et hyper actifs même après quarante ans de carrière internationale, ils comptent régaler les amateurs de la bonne musique avec ce nouvel opus. Très ancrés dans leurs traditions, les frères Touré Kunda s’empressent d’aller se ressourcer dans la Casamance des profondeurs où s’enracine l’incroyable saga de la famille éléphant (Touré Kunda en soninké). Dans cette interview accordée à «L’AS», ils reviennent sur leur parcours, expliquent leur choix de s’expatrier, décortiquent la musique sénégalaise, évaluent les jeunes talents et annoncent leur retour sur la scène musicale sénégalaise.
L’AS : votre nouvel album va s’appeler «Lambi Golo». Pourquoi le choix d’un tel titre?
Sixu Tidiane Touré : «Laambi Golo» est un jeu d'enfants traditionnel auquel on s'adonnait tous durant notre tendre enfance. A travers «Lambi Golo», on essaie d'imiter les lutteurs. Je me rappelle quand j'étais jeune mon père nous amenait mon frère Ismaël et moi assister aux combats de Fodé Doussou Ba, Doudou Backa Sarr, Falaye Baldé, Double Less et autres. A l’école, pendant les récréations, on imitait ces lutteurs. «Laambi Golo» est un hommage national aux anciens lutteurs et à ceux qui sont en activité. La lutte est notre sport national et les Sénégalais l’adorent. Elle fait partie de notre patrimoine.
Parlez-nous des thèmes que vous développez dans cet album ?
On ne vit que de souvenirs. Nous sommes des éternels nostalgiques du Sénégal et plus particulièrement de la Casamance. Des morceaux comme «Sene Bayo» parlent de l'hivernage. Ce sera bientôt l'hivernage au Sénégal, les cultivateurs se préparent pour les semis. Le paysage change. C’est toute cette atmosphère qu'on a mise dans une chanson pour rendre hommage à nos parents paysans et en profiter par la même occasion pour demander au gouvernement d'appuyer les paysans. Dans «Mister Farmer» aussi, on rend hommage aux agriculteurs. Dans ce morceau chanté en anglais, nous avons invité KiddusI, un monument de la musique jamaïcaine. «Malang» aussi fait partie des titres du nouvel album et rend hommage à un lépreux célèbre du nom de Malang plus connu sous le nom de Adama. Toute la ville de Ziguinchor le connaissait. C’est quelqu’un qui a marqué notre enfance. On a fait un remix du fameux titre «Emma» en duo avec Carlos Santana qu'on a joué sous forme de reggae. Nous avons fait un titre aussi avec Lokua Kanza qui s'intitule «Soif de Liberté» pour réclamer la paix en Casamance ; c’est notre éternel cri du coeur. La Casamance est fatiguée. La population décimée par plus de 36 ans de conflit. C’en est trop, nous réclamons la paix. Tous les régimes qui se sont succédé au Sénégal ont essayé de résoudre le problème, en vain. Nous espérons que Macky Sall parviendra à la résolution du conflit. Nous ne ménagerons aucun effort pour contribuer à la résolution de la crise casamançaise, quitte à organiser même une marche nationale avec tous les Sénégalais. Nous implorons tous les belligérants de la crise à cesser définitivement cette guerre inutile qui nous a divisés. La Casamance est une belle région, calme avec de beaux endroits. Par ailleurs, nous avons fait une collaboration avec Alioune Wade (un jeune bassiste) et aussi avec Hervé Samb (un autre jeune guitariste sénégalais). On a voulu transposer notre enfance dans cet album avec une fusion entre notre langue (le Soninké) et les autres langues.
Ne craignez-vous pas d’être rejeté par ce public jeune qui ne vous connaît pas ?
On n’a pas de problème par rapport à cela. Les générations se succèdent. C’est à la presse de nous faire connaître à la jeune génération en mettant fréquemment nos œuvres. Ainsi, les jeunes pourront nous connaître davantage. Malheureusement, les medias préfèrent plutôt le mbalax. Des personnes très âgées offrent en cadeau, certains de nos albums comme «Paris Ziguinchor», à leurs enfants qui viennent dans nos soirées pour qu'on les leur dédicace. Après, ils expliqueront notre trajectoire à leurs petits enfants. Il appartient aux medias de mettre nos œuvres. Nous gardons de bonnes relations avec la presse sénégalaise. Les Blancs ne cessent de nous rendre hommage.
Vous avez très tôt quitté le Sénégal pour la France. Expliquez-nous les raisons de ce choix.
On a voulu anticiper sur les choses. Surtout mon frère Ismaël qui est un visionnaire. Pour mieux vivre sa passion qu’est la musique, il a préféré quitter le Sénégal. La pression familiale était difficile à supporter ; il fallait s'exiler. Ce n’était pas facile en France, nous y avons galéré. Avant la France, nous sommes allés tenter notre chance en Gambie. J'ai rejoint Ismaël deux ans après, c’est-à-dire en 1977. A force de travailler, nous avons tapé dans l’œil de «Radio France Internationale» qui a commencé à mettre nos musiques. Dès cet instant, nos parents ont su que c'est sérieux. Les gens commençaient à découvrir la culture africaine. C’est pendant cette période faste qu'on a organisé notre fameux concert au stade Demba Diop en 1984. Cet événement a marqué l'histoire de la musique au Sénégal. Dès le lendemain de ce concert, le Président Abdou Diouf nous a reçu pour nous féliciter. A partir de ce moment, les armes se sont tues pendant quelques temps en Casamance. Tous les casamançais étaient fiers. Notre position musicale en France nous avait permis de faire beaucoup de tournées africaines. Notre venue en France nous a beaucoup apporté.
Pensez-vous qu’au Sénégal, la musique nourrit son homme ?
C’est une évidence qu’elle ne nourrit pas son homme. La gestion des retombées de la musique n'est pas bien structurée. Parfois, les artistes se partagent le cachet reçu et vivent au jour le jour. Il n'y a pas de cotisations sociales pour la retraite, alors que les artistes doivent jouir d’une retraite comme pour tout le monde. Quand nous sommes allés en France, nous avons eu la chance de trouver la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) qui protège toutes les œuvres, donc la retraite est bénéfique en France. Il faut que les artistes acceptent de payer la charge sociale pour espérer avoir des revenus pendant la retraite. La piraterie aussi n'aide pas. Elle peut pousser l'artiste à faire autre chose, alors que la musique est un métier comme tous les autres métiers. Il faut que l'Etat aide les artistes. Nous avons voulu sortir notre album «Laambi Golo» mais en pensant à la piraterie, nous sommes découragés. Mais nous souhaitons vraiment le faire sortir au Sénégal. Au-delà de vos liens de sang, qu’est-ce qui vous permet de rester aussi longtemps ensemble? Avant tout, c'est l'éducation reçue. Ismaël et moi sommes de faux jumeaux. Il est mon ainé de vingt-deux jours. Notre père est décédé très tôt et nos mamans se sont chargées de nous donner une éducation très stricte. Nous avons fait les quatre cents coups ensemble. Chacun connait l'autre mieux que quiconque. En dehors de cela aussi, Dieu nous a beaucoup aidé à rester ensemble.
L'identité de votre musique reste toujours cette base traditionnelle. quelle place donnez vous à l'ouverture ?
On peut s'ouvrir tout en gardant nos racines. Touré Kunda joue toujours avec le rythme Jambadong tout en utilisant des instruments internationaux. Nous utilisons aussi les autres rythmes du Sénégal. La musique est vaste et il faut une recherche approfondie pour prendre chez l'autre tout en restant ancré dans sa culture. Par exemple, un «xalam» de Samba Diabaré Samb, on peut le poser sur n'importe quelle musique, mais tout le monde saura que le rythme vient d’Afrique. La musique, c'est l'ouverture, mais il faudrait préserver son identité culturelle. Comme tout casamançais, nous avons été bercés durant notre enfance par beaucoup de rythmes bissau-guinéen, créole peulh, wolof et beaucoup d'autres... la Casamance est l'une de nos principales sources d'inspiration. Les blancs ne cessent de nous applaudir partout où nous passons et de nous témoigner de leur reconnaissance. Les gens ont aimé notre musique. D’ailleurs en arrivant en France, mon frère Ismaël disait : «je vais faire pleurer le soleil en France, le soleil va pleurer en Europe». Il était une sorte de visionnaire. Les gens ont automatiquement aimé ce que nous faisions. Sur toutes les scènes où nous nous produisons, nous sommes acclamés alors que les gens ne comprennent pas ce que nous disons. Le Sénégal a une culture profonde.
Que pensez-vous de ce que font les jeunes talents ?
Certes, il y a des étoiles qui ont commencé à briller, mais je préfère les anciens comme Youssou Ndour, Omar Pene, Ismaël Lo, Baba Maal, Thione Seck, Kiné Lam et autres. Cela dit, les jeunes sont en train d'abattre un travail remarquable. J’ai écouté Viviane Chidid, Amy Collé, Wally Seck, Pape Diouf etc... Ce que je leur conseille, c'est d'avoir de la vision pour s'adapter à la demande internationale. Il faut aussi qu'ils fassent beaucoup de recherches. Il y a beaucoup de mélodies différentes. Et il faut que les jeunes cherchent à les explorer et à composer aussi sur des thèmes. Je demande aussi aux jeunes d’être beaucoup plus patients. Par exemple, nous, nous avons galéré avant d'atteindre le sommet. La musique, c'est une carrière longue et parsemée d'embûches. Que les jeunes s'arment de courage, d'abnégation et de personnalité pour prétendre réussir dans ce métier. J’aime bien Duggy Tee et Awadi. Vraiment.
A quand la prochaine sortie de Toure Kunda au Sénégal ?
Nous souhaitons vraiment nous produire au Sénégal, notre beau pays. D’ici la fin de l'année, nous serons. Nous sommes en train de nous préparer pour venir au Sénégal. Nous donnerons quelques spectacles à Dakar, Saint Louis, Mbour, et Ziguinchor. Nous viendrons faire la présentation de notre album.