LE TOURNOI DE LUTTE SANS FRAPPE, PASSAGE OBLIGÉ POUR FUTUR CHAMPION
Le « mbapath » est au jeune lutteur ce que le CE (Cours élémentaire) représente pour le jeune apprenant. Il ne peut se soustraire aux contraintes et dures réalités de cet apprentissage qui lui permet de s’aguerrir
Le « mbapath » est au jeune lutteur ce que le CE (Cours élémentaire) représente pour le jeune apprenant. Il ne peut se soustraire aux contraintes et dures réalités de cet apprentissage qui lui permet de s’aguerrir, affûter ses armes au plan technique et de l’endurance au contact de lutteurs qui, comme lui, rêvent de gloire et d’ascension sociale. Pour peu qu’il fasse preuve d’assiduité, de pugnacité et de rigueur durant ce « bizutage », il peut s’ouvrir les portes de l’arène. Toutes les icônes et autres « têtes couronnées » de l‘arène ont fait des piges studieuses dans les « mbapath » avant de franchir le rubicond.
Le « Mbapath » est un tournoi nocturne de lutte simple. Le site d’accueil est souvent un terrain vague que les organisateurs, assistés de bonnes volontés, nettoient pour en extraire tout objet susceptible de constituer un danger pour les acteurs et les spectateurs. Il est organisé le soir, après le dîner sous la lumière de lampes électriques en ville ou au clair de lune en campagne. L’organisateur, habituellement un ancien champion de lutte ou des associations sportives et culturelles, en assure la sécurité en s’attachant les services de volontaires. Le plus souvent, ce sont les jeunes du quartier qui s’acquittent de cette tâche, sans bourse délier. La mise est souvent constituée de sacs de riz et d’espèces sonnantes. Dans les villages, les têtes de bœuf servent de trophées. En pays sérère, on l’assimile aux tournois de lutte traditionnelle disputés après la période de récolte. Les principaux acteurs en sont les jeunes agriculteurs, pasteurs ou pêcheurs, selon la zone, qui sillonnent les villages à la quête de ces séances de lutte dont les mises sont constituées de têtes de bœuf, matériel électro-ménager ou de construction, et espèces sonnantes et trébuchantes.
Si on rate le Cours élémentaire qu’est le «mbapats»), inutile de tenter l’aventure dans l’arène…
Ambroise Sarr, l’entraîneur national des « Lions » de la lutte, un pur produit des « mbapath » ouvre sa page d’histoire, avec beaucoup de nostalgie. « J’ai sillonné tout l’arrondissement de Fimela (département de Fatick) pour me produire dans des « mbapats ». Ces tournois constituent le fondement pour tout lutteur qui aspire à se faire une place au soleil. C’est un passage obligé pour tout jeune lutteur qui rêve de gloire dans la discipline. C’est à partir des « mbapath » que l’on se taille des habits de champion, grâce à un bagage technique indéniable que l’on acquiert au contact des autres durant ces tournois de lutte. Ils sont indispensables pour les jeunes lutteurs et à tous points de vue. Point n’est besoin de se faire d’illusion. Si on rate le Cours élémentaire qu’est le « mbapats »), inutile de tenter l’aventure dans l’arène, elle va tourner court. Le mbapat constitue une véritable école de formation où tout se construit et se façonne. Dans mes pérégrinations, j’ai remporté beaucoup de têtes de bétail. J’ai battu des champions de légende comme Doudou Gangako, entre autres, au cours de mes randonnés à travers les contrées du Sine et des Iles du Saloum». La descente de l’entraîneur national à Dakar coïncide avec l’âge d’or du « mbapath » érigé en passion par nombre d’amateurs dont l’amour fou pour la lutte les transportaient souvent dans la banlieue dakaroise et notamment à Pikine, Thiaroye, Pikine, Rufisque, Bargny et même hors de la région du Cap-Vert pour les plus mordus. Quid de ses prestations à Dakar ? Ambroise Sarr ouvre son album- souvenirs. « Dans la capitale, j’ai croisé le fer» avec la génération des Toubabou Diour, Lamine Cissé, Pathé Diop et un des oncles de Mame Gorgui Ndiaye. », déclare-t-il. Et de lancer le message suivant : « J’exhorte les jeunes lutteurs à se produire dans les mbapath ». Ils en tireront un bénéfice énorme. Il ne sert à rien d’inverser la tendance. La priorité est d’apprendre d’abord à lutter en fréquentant les tournois de lutte sans frappe avant d’aller à l’assaut de la lutte avec frappe.
Nombre de jeunes présentent des lacunes au plan technique. La raison est tout simple. Ils n’ont pas fait leurs classes dans les mbapatsh », déclare l’entraîneur national. Cette complainte de Ambroise Sarr trouve un écho favorable auprès des habitants du populeux quartier Grand-Dakar connu pour son célèbre « mbapath » organisé par l’ancienne gloire Aliou Camara di Boy Bambara. «Le mbapath de Boy Bambara était très couru à l’époque. Il a révélé les « cadres » de l’écurie Fass et des lutteurs comme Manga 2, Mbita Ndiaye « managé » alors par Mame Gorgui Ndiaye. Cette séance nocturne de lutte simple était le plus grand et le plus attrayant. Tous les lutteurs s’y produisaient sans aucune frayeur. Il était suivi par les amateurs de Grand-Dakar, de Niary Taly, de Bène Tally et des quartiers environnants. J’ai vécu dans cette ambiance particulière dès ma tendre enfance, à l’âge de douze ans. L’ambiance de ce « mbapath » était particulière. Voilà qui explique sa grande audience et sa célébrité », se souvient avec un brin de nostalgie l’un d’entre eux, véritable féru de lutte simple, rencontré dans une des ruelles du quartier.
« De nombreux grands champions ont été piqués par le virus au contact du « mbapath »
Le « mbapath » est riche de son histoire écrite en lettes d’or et nombre de ses acteurs sont aujourd’hui devenus des anciennes gloires qui, après une brillante carrière dans l’arène, se consacrent à la formation des jeunes dans les écuries et écoles de lutte qu’ils ont créées et dont ils assurent la direction technique. Ils doivent cette aura à leur passage par les « mbapath » qu’ils ont marqués. «Cela me fait de la peine en voyant certains jeunes lutteurs évoluer comme le feraient de véritables nains au plan technique. Ceux-là n’ont pas fréquenté les « mbapath ». La lutte est faite de techniques dont l’ignorance ou la non maîtrise constitue un handicap majeur, voire un frein pour tout jeune lutteur qui aspire à devenir un champion. Quand on peine à faire du « rassou », du « rignaane » ou du « sol bou deguër » inutile de tenter l’aventure dans l’arène. Elle sera éphémère.», se désole notre interlocuteur De nombreux grands champions ont été piqués par le virus au contact du « mbapath » alors qu’ils étaient venus en simple spectateurs. Poussés par des amis ou insensibles à l’appel du tam-tam, ils ont pris goût à la chose et se sont laissé entraîner par cette force mystérieuse qu’est la passion et cette curiosité positive de découvrir une discipline vite érigée en religion. Les mbapaths étaient le plus souvent organisés par des lutteurs à l’image de celui de Grand-Dakar dont le maître d’œuvre était Boy Bambara. A la Médina, feu Riche Niang et Youssou Diène ont assuré ce rôle, ainsi que feu Pape Kane et Gora, respectivement à Thiaroye et Yarakh.
A Pikine, ce sont les associations qui se cotisaient pour organiser des mbapats. Fass n’a pas été en reste. Fort de son armada de valeureux « guerriers » qu’ont été les Mame Gorgui Ndiaye, Mbaye Guèye, Assurance Diop, entre autres icônes, le légendaire quartier a souvent vibré au rythme des « mbapath », sous la férule des deux premiers nommés. S’il est un point sur lequel mon interlocuteur a insisté, c’est celui de la violence que l’on vit de nos jours dans l’arène. «Les acteurs et amateurs de cette époque s’interdisaient un tel écart de comportement et de langage. Je prends l’exemple des mbapath de Pkline où on retrouvait des lutteurs venus de Fass, de Thiaroye, de Yoff, et de tous les quartiers de Dakar. Le temps de la compétition, ils cohabitaient sans aucune animosité, même au plus fort des confrontations où la détermination, l’engagement physique et l’envie de vaincre avaient droit de cité. Pas de geste déplacé et encore moins d’acte hostile à même de provoquer des heurts comme on le note actuellement. Ces lutteurs étaient de vrais gentlemen doublés de grands techniciens. Malheureusement, cette espèce se raréfie de plus en plus, au grand dam de la lutte qui pleure toujours ses orfèvres», reconnait-il avec désolation.
TRANCHE D’HISTOIRE : Le «mbapath» de la réconciliation
A Fass, Mbaye Guèye et Mame Gogui ont joué ce rôle, mais sur fond de concurrence au point de provoquer une brouille entre eux. On a encore en mémoire les divergences qui avaient quelque peu détérioré les relations entre ces deux monstres sacrés de l’arène. Ils ont été réconciliés par El Hadj Mansour Mbaye au cours d’un mbapath. L’on raconte qu’une nuit, Mbaye Guèye et Mame Gorgui avaient organisé chacun un mbapath dans leur fief, au plus fort de leur mésentente. Cela a eu le don d’embarrasser les habitants du quartier et les amateurs qui ne savaient plus où donner de la tête. Informé de cette fâcheuse situation, El Hadj Mansour Mbaye a saisi cette opportunité pour réconcilier les deux frères. En quoi faisant ? Il est allé avoir le plus jeune, Mbaye Guèye en l’occurrence, et lui a intimé l’ordre de mettre un terme à son mbapath et qu’ensemble avec tous les amateurs présents, qu’ils aillent à celui de Mame Gorgui. Le 1er « Tigre » de Fass s’exécuta aussitôt et El Hadj Mansour de conduire la manœuvre. A un moment donné, les spectateurs qui suivaient le mbapat de Mame Gorgui ont vu déferler vers eux une foule composée d’amateurs avec à leur tête Mbaye Guèye et El Hadj Mansour Mbyae. Il revenait au plus jeune de faire le premier pas. Mbaye Guèye l’a fait en se pliant à la volonté de El Hadj Mansour Mbaye. Cet acte de grandeur a mis un terme à la brouille au grand soulagement des habitants du quartier Fass