AUDIOPÉTALES DE SANG, DE NGUGI WA THONG'O
C'est un roman-fleuve de près de 500 pages, où il est question de beauté assassinée et de promesses non tenues dans le Kenya postcolonial. Son auteur Ngugi wa Thiong’o figure dans la liste des écrivains africains nobélisables
Au programme de la chronique littéraire de ce dimanche, Pétales de sang, un roman-fleuve de près de 500 pages, où il est question de beauté assassinée et de promesses non tenues dans le Kenya postcolonial. Son auteur Ngugi wa Thiong’o figure dans la liste des écrivains africains nobélisables.
Immense Ngugi wa Thiong’o
Romancier, homme de théâtre, essayiste, Ngugi wa Thiong’o est un auteur majeur des lettres anglophones d’Afrique de l’Est. Né en 1938 à Limuru, au Kenya, cet octogénaire a une trentaine de livres à son actif, dont seulement quatre romans et un recueil de nouvelles ont été traduits en français. C’est ce qui explique qu’il soit si peu connu dans le monde francophone. Mais comme le nom de Ngugi est souvent cité depuis quelques années pour le prix Nobel de littérature, on peut imaginer que son œuvre intéressera de plus en plus les éditeurs français, soucieux de répondre à la curiosité du grand public.
Bien qu’il vive en exil aux États-Unis depuis les années 1980, l’écrivain est resté proche de son pays et de l’Afrique sur le plan de l’imaginaire, puisant dans le passé et le présent de son continent les ingrédients de ses romans souvent militants et toujours puissamment évocateurs. Son grand livre Pétales de sang , roman au souffle épique, qu’il a publié en 1978, avant de quitter son pays pour de bon, ne déroge pas à la règle. L’ouvrage s’inscrit dans le projet ambitieux de l’auteur de rédiger en six romans une vaste fresque historique du peuple kikuyu, s’étendant de l’époque coloniale jusqu’après l’indépendance. Les trois premiers romans que l’écrivain avait fait paraître dans les années 1960-1970, avaient permis d’asseoir sa réputation d’écrivain engagé, peintre subtil des heurs et malheurs d’un peuple spolié par la colonisation de ses terres et de sa dignité.
Promesses non tenues dans le Kenya postcolonial
En campant son intrigue résolument dans la réalité postcoloniale, cette fois. Le Kenya qui fut une colonie de peuplement, a accédé à l’indépendance en 1963. Rendre aux populations leurs terres dont ils avaient été dépossédés pendant la colonisation était l’une des principales revendications des rebelles indépendantistes kényans. Dans Pétales de sang, Ngugi raconte comment, après l’indépendance, une bourgeoisie corrompue et avide de gains, a fait main basse sur le pays, préférant chausser les bottes du colonisateur plutôt que de procéder à des réformes foncières promises. Ce roman a une grande valeur documentaire, mais il reste avant tout une œuvre de fiction qui se distingue par sa structure narrative complexe, son contenu riche en analyses, introspections et métaphores.
Une structure narrative complexe
Ce récit est construit autour de ses quatre protagonistes, trois hommes et une femme. Un maître d’école en proie à des angoisses existentielles, un militant syndicaliste marginalisé, une prostituée rejetée par le clan des profiteurs qu’elle a rejoint et un ancien combattant qui a perdu une jambe dans la lutte pour l’indépendance du pays et réduit aujourd’hui à la mendicité. Le roman s’ouvre sur leurs arrestations.
Suspectés d’avoir participé à l’incendie de la brasserie du village qui a causé la mort de ses propriétaires, ce quatuor improbable est longuement interrogé par la police. Dans leurs récits se mêlent à l’Histoire avec un grand « H », des histoires intimes d’amours, de frustrations et de déchirement. Ce sont autant de miroirs dans lesquels se reflète l’évolution des forces sociales à l’œuvre dans le village ficitf d’Ilmorog où se déroule l’intrigue, avec en arrière-plan une nouvelle classe de propriétaires africains qui soumet le peuple à une exploitation de plus en plus féroce.
On l’aura compris. Il s’agit d’une allégorie. Dans les interstices des récits que racontent les protagonistes à la police, se dessine le portrait du Kenya contemporain.
Symbolique des « Pétales de sang »
C’est d’autant plus habile que, comme le rappelle Denise Coussy, la grande spécialiste des littératures d’Afrique, tout le roman est placé « sous la symbolique de la fleur aux pétales de sang – cette plante traditionnelle dont on faisait une boisson forte qui inspirait les chanteurs, les poètes et les devins de jadis et, qui maintenant, est devenue un breuvage nocif vulgairement commercialisé ».
N’est-ce pas une belle manière de symboliser la beauté assassinée et la dérive spirituelle de tout une société, qui sont au cœur de cette épopée kényane signée Ngugi wa Thiong’o ?
Pétales de sang, par Ngugi wa Thiong’o. Disponible aux éditions Présence Africaine.