RENÉ MASSIGA DIOUF ANALYSE LES RÉALITÉS DE LA DIPLOMATIE SÉNÉGALAISE
De Senghor à nos jours, entre rationalité et errances
Dans cet ouvrage, le journaliste à la Rts revient sur la trajectoire diplomatique sénégalaise et de son fonctionnement, des indépendances à nos jours avec une approche comparative entre les méthodes des présidents Léopold Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall.
Dans l’ouvrage « La diplomatie sénégalaise de Senghor à nos jours : entre rationalité et errances », René Massiga Diouf, avec le regard du journaliste qu’il est, questionne le fonctionnement de la diplomatie sénégalaise à travers les quatre présidents que le Sénégal a eu à sa tête de l’indépendance à aujourd’hui. Il y évoque les principes de la diplomatique, la tradition diplomatique sénégalaise, la méthode en diplomatie sous Senghor, la continuité sous Abdou Diouf, l’esprit positif et l’aventure diplomatique sous Wade et la rationalité sous Macky etc.
S’il y a une différence d’approches entre ces quatre chefs de l’Etat, ce qui reste constant en revanche, c’est que le Sénégal a une constance dans sa ligne diplomatique. Cette ligne, comme l’a rappelé l’ancien ministre des Affaires étrangères et ancien ambassadeur Seydina Oumar Sy, lors de la séance de dédicace et de présentation du livre le vendredi passé, « est faite de dialogue, de la recherche constante du compromis dynamique. C’est une diplomatie engagée dans la recherche de la paix ».
Et c’est d’ailleurs pourquoi, a-t-il ajouté, devant un parterre d’anciens diplomates et du président de l’Assemblée nationale Moustapha Niasse qui a préfacé l’ouvrage, que « dans le monde, la voix du Sénégal a toujours été entendue même quand on a voulu l’étouffer ». C’est dans cet esprit qu’il a indiqué que l’entrée du Sénégal au Conseil de sécurité avec une majorité jamais atteinte mérite d’être saluée.
Sur les errances soulevées dans le livre et dont la plupart des épisodes ont été constatées sous le régime d’Abdoulaye Wade, l’ancien ambassadeur invite quand même à relativiser. Selon Seydina Oumar Sy, la méthode d’un tel président par rapport à un autre s’explique par une différence de caractère. Il a rappelé que les bases de la diplomatie ont été jetées par Senghor et mises en œuvre par Doudou Thiam. Quant à Abdou Diouf, en tant que grand commis de l’Etat, il s’est beaucoup investi dans le problème de l’endettement.
Concernant Abdoulaye Wade, dont il pense qu’il est le plus panafricaniste des présidents qu’on a eus jusqu’à présent, Seydina Oumar Sy souligne que, paradoxalement, c’est sous sa mandature et dans son approche africaine qu’on note le plus d’errances. « Quand il dit aux chefs d’Etat réunis "Je suis le mieux élu d’entre vous et le plus diplômé d’entre vous", c’est la stricte vérité, mais toute vérité n’est pas bonne à dire. Quand il a dit qu’en "Côte d’Ivoire, les Burkinabés étaient traités pire que ne l’étaient les autres Africains en France", cela aussi ne se dit pas », rappelle l’ancien ministre.
Du coup, il assimile le style du président Wade à celui d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il reconnaît que l’ancien président avait beaucoup de bonnes idées, voire même une surabondance d’idées, mais le problème c’est qu’il les prenait pour des projets prêts à être financés dans tous les domaines.
« Faut-il juger négativement ces errances verbales ou bien il faut s’en tenir à l’action persévérante de médiation du Sénégal, chacun a le choix, mais ce qu’on peut dire en tant que diplomate de carrière, c’est que nous avons tenu le cap parce que la diplomatie sénégalaise a des fondements extrêmement solides », a indiqué M. Sy.
Quant au président Macky Sall, l’ancien ministre pense qu’il est sur la voie. « Il est pondéré et modéré. Le Sénégal est écouté parce que proposant toujours des choses positives et réalistes. Il faut l’appuyer dans cette démarche », a-t-il dit.
Hommage aux pionniers
Le président de l’Assemblée nationale, en tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, n’a pas manqué de rendre hommage à ceux qui ont écrit les plus belles pages de la diplomatie sénégalaise. Moustapha Niasse a notamment cité Me Doudou Thiam, le tout premier ministre des Affaires étrangères de Senghor et qui reste à ses yeux la référence incontestable ; il y a eu aussi le Pr Assane Seck, Abdou Karim Gaye etc.
Au fond, Moustapha Niasse pense que sur les options diplomatiques, Abdoulaye Wade n’a pas mené une diplomatie différente de celle de Senghor car le soubassement sur lequel il fallait construire la poursuite des politiques diplomatiques du Sénégal était déjà bien ancré. « Wade a toujours été de bonne foi, mais il se trompait souvent car il décidait seul. Macky Sall est en train de réussir parce qu’il est calme et serein. La diplomatie requiert la patience, la discrétion et la perspicacité », a insisté le président de l’Assemblée nationale.
Tout en félicitant René Massiga Diouf pour son ouvrage « écrit de manière didactique et très pédagogique avec une approche et une analyse accessible aux étudiants et aux chercheurs », Moustapha Niasse l’invite à faire un autre ouvrage sur la diplomatie comme moyen de développement économique et social.
Pour Mame Less Camara, modérateur de la rencontre, il est heureux de constater qu’une nouvelle génération de journalistes, loin de se contenter de faire des émissions et d’écrire des articles, essaient d’aller un plus en profondeur dans certains sujets d’intérêt national. « C’est inédit et c’est un honneur pour notre corporation. Mais pour le faire, il faut s’armer de patience et de savoir comme René Massiga Diouf qui a passé beaucoup de temps de sa jeune vie à apprendre ».
Sur la question des errances sur laquelle il a été interpellé, René Massiga Diouf a rétorqué qu’il n’utilise pas ce terme dans un sens péjoratif ou négatif.
Il entend par ce mot, « une période de flottement pendant laquelle on se lâche un peu, une période où l’on ne s’inscrit plus dans la ligne qu’on avait définie auparavant ». Même s’il admet que c’est sous le président Abdoulaye Wade qu’on a observé plus d’errances dans la diplomatie sénégalaise.
L’auteur reconnaît que celles-ci ne sont l’apanage d’aucun régime. « Ces errances sont à des niveaux différenciés. Par exemple, sous Wade, on a eu des effets d’éclats au niveau international et cela a créé une situation où le Sénégal a été obligé de dépêcher des émissaires pour sauver les meubles. C’est le cas avec la déclaration sur la Côte d’Ivoire à propos des Burkinabés et qui a conduit au saccage de beaucoup de commerces sénégalais à Abidjan. Il a fallu alors que le Premier ministre de l’époque, Moustapha Niasse, s’y rende pour faire baisser la tension », a-t-il rappelé.