THIEYTOU SOUFFRE DE TOUT

Dans le village où reposent les restes du savant Cheikh Anta Diop, la modernité n’est qu’illusion : décrépitude du mausolée de l’historien, manque d’infrastructures routières et sanitaires sont quelques maux dont souffre la localité. A Thieytou, l’on souffre de tout ou presque. Dans le cadre de la commémoration du trentenaire de sa mort quelques pèlerins sont allés se recueillir sur la tombe du défunt historien.

Thieytou souffre et manque de tout ou presque : enclavement, électrification, infrastructures routières... Cette localité du centre-ouest du Sénégal, située à 27 km au nord de Bambey, dans la région de Diourbel, est le village natal de l’historien, anthropologue et égyptologue Cheikh Anta Diop. Dans l’axe routier Bambey-Thieytou, les véhicules qui s’y aventurent font face à un véritable parcours du combattant. Sans bitume, c’est une piste latéritique qui domine la chaussée, le bétail est à la recherche de pâturage, essentiellement de l’herbe sèche et des feuilles mortes.

Des buissons et des arbustes très espacés complètent le décor. Un temps sec enveloppé de poussière domine l’atmosphère. Dès l’entrée du village, de vieux bâtiments aux toitures en zinc, des cases en paille ou encore des clôtures en tôles ou en bambou sidèrent les pèlerins.

Quelques maisons sont en dur. Pourtant, ce village où reposent les restes de l’un des plus grands scientifiques d’Afrique mérite, selon ses habitants, plus de considération. En marge de la commémoration du 30ème anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop, leurs cris du cœur étaient unanimes : Thieytou mérite un meilleur décor.

«Nous lançons un appel au président de la République, Macky Sall, pour plus de considération à l’égard de Thieytou parce qu’ici repose Cheikh Anta Diop, notre référence. Nous trouvons inadmissible que cette localité ne puisse pas avoir une route bien bitumée», étouffe de rage Dr Cheikh Gadiaga, maire de Dinguiraye, commune qui englobe Thieytou.

Manque à gagner sur le plan touristique

Les murs du mausolée de Cheikh Anta Diop portent les stigmates de la vieillesse. La peinture verte disparaît petit à petit. Dans l’enceinte, des articles produits par le savant de son vivant sont visités par les pèlerins. A l’intérieur du mausolée, c’est le grand rush. Hom mes politiques, artistes et élèves se mélangent dans un recueillement total. Tous prient pour le repos de l’âme du célèbre historien. Dans ce magma de visiteurs, on pouvait identifier les députés Moustapha Diakhaté et Aïda Mbodj, la communauté universitaire avec les Profes seurs Pape Demba Sy, Bouba Diop...

Observant fièrement ce beau monde, le Dr Dialo Diop, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (Rnd), y voit un site touristique si l’Etat s’engageait à mettre les installations qu’il faut. «Vous voyez tous ces pèlerins. L’Etat pouvait gagner beaucoup d’argent à Thieytou avec le nombre de touristes qui viendront ici. Aujourd’hui, il y a beaucoup de nationalités qui se rencontrent ici. Malheureusement, la route n’est pas bonne et le mausolée souffre de viellesse», se désole Dr Diop.

Il faut par ailleurs signaler que Thieytou ne dispose pas encore d’un Collège d’enseignement moyen (Cem) ni d’un centre de santé. Lors d’une audience accordée aux disciples de Cheikh Anta Diop, le président de la République s’était engagé à réaliser ces infrastructures.

Toutefois, Dialo Diop y voit des relents électoralistes. «Pour la route, on nous promet 2017 et ce sera lors de la campagne électorale», ironise M. Diop qui rappelle que c’était lors de la campagne électorale de 2007 que le Président Wade avait décidé d’électrifier la localité.

30 ANS APRÈS LA MORT DU SAVANT

Les jeunes invités à s’inspirer de Cheikh Anta Diop

Des centaines de pèlerins se sont donné rendez-vous dimanche à Thieytou pour commémorer le 30ème anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop. Ainsi, élèves et étudiants ont été invités à s’inspirer des idées du savant pour développer l’Afrique.

Dans l’enceinte du site qui abrite le mausolée de Cheikh Anta Diop, les élèves du Lycée d’excellence Cheikh Hamidou Kane de Thiès ont en masse pris place. Sur les tee-shirts blancs qu’ils portaient, l’on pouvait lire cette célèbre citation du savant : «...Armez-vous de sciences jusqu’aux dents». Certains immortalisent l’instant en prenant des photos, d’autres s’intéressent à la stèle déposée devant les grilles du mausolée où on peut lire : «Ici repose auprès de son grandpère, Massamba Sassoum Diop, Cheikh Anta Diop». Une chaleur accablante règne à Thieytou.

Sur les lieux, des communications sonores de l’historien sont reprises comme une ritournelle. L’élève Any Sarr Fatima Dioum est aux anges après avoir fini son pèlerinage. «Je suis venue honorer la mémoire de Cheikh Anta Diop, un des plus grands scientifiques de l’Afrique. C’est mon idole parce que je souhaite devenir médecin», lâche timidement la fillette, teint clair, en classe de 6ème A.

Pr Obenga : «C’est à vous de réaliser son rêve d’un Etat fédéral»

Fier de son élève, Ibrahima Coumba Sarr, enseignant d’Histoire et de géographie au Lycée Cheikh Hamidou Kane, explique l’objet du pèlerinage à ses protégés. «Nous sommes venus pour initier les élèves à s’approprier les travaux de Cheikh Anta Diop. C’est pour leur dire que rien n’est impossible dans la vie, car Cheikh Anta vient de Thieytou, un village des fins fonds de Bambey. C’est une manière de leur dire qu’ils peu

vent réussir», philosophe M. Sarr. Dans cette perspective, le Dr Dialo Diop, secrétaire général du Rassemblement national démocratique (Rnd), un parti fondé par Cheikh Anta Diop, rappelle que lui et ses camardes ont engagé un vaste programme de propagation de la pensée de l’égyptologue dans les écoles. «Nous avons créé dans toutes les écoles du Sénégal des clubs Cheikh Anta Diop. Si un club est formé, on lui fournit les documents qui parlent des idées de Cheikh Anta», signale M. Diop.

Ayant effectué le pèlerinage sur Thieytou malgré ses 80 ans, le Pr Théophile Obenga estime que «se référer à Cheikh Anta Diop est un devoir pour tous les jeunes Africains». «Cheikh Anta a fait son devoir en nous procurant ses idées. Il a démontré que l’histoire de l’Afrique a été falsifiée. Maintenant, il n’a pas pu réaliser son vœu cher de voir l’Afrique unifiée autour d’un Etat fédéral. C’est à vous de le faire», ordonnait ce disciple de Cheikh Anta Diop à l’endroit des centaines d’élèves et étudiants, lors de la cérémonie officielle.

ABSENCE D’UNE REPRÉSENTATION GOUVERNEMENTALE À THIEYTOU

Un manque de reconnaissance envers Cheikh Anta

Le gouvernement était l’absent le plus présent à Thieytou dimanche dernier dans le cadre du 30ème anniversaire de la mort de Cheikh Anta Diop. Si le pouvoir législatif a été bien représenté par Moustapha Dia khaté, président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar, ce ne fut pas le cas pour les membres du gouvernement.

Ni Mbagnick Ndiaye, ministre de la Culture et de la communication ni Serigne Mbaye Thiam de l’Education nationale encore moins Mary Teuw Niane de l’Enseignement supérieur et de la recherche n’ont senti le besoin de rehausser de leur présence ce pèlerinage qui a drainé, de Dakar, bien de monde. Leur présence aurait apporté une autre dimension à l’hommage rendu à Cheikh Anta Diop. Pourtant, on les a vus dans d’autres manifestations moins importantes que celle d’avant-hier.

Ce n’est qu’une heure après l’ouverture de la cérémonie officielle que le ministre-conseiller, Mor Ngom, est venu pour sauver la face de l’Exécutif en se confondant en excuses. Est-ce un manque de considération envers le savant ?

Cela en a bien l’air. Heureusement, beaucoup pensent et affirment que l’aura du regretté professeur est bien plus importante sur le plan international. La preuve, l’ambassadeur de la Palestine, Safwat Ibraghith, était présent dans la salle.