UN HÉRITAGE CULTUREL EN DÉCOMBRES
Thiong, Metissacana
"Le temps n'a point de rive, il emporte tout sous son aile" dit un dicton. La gloire et la beauté n'échappent pas à cette règle. Le Metissacana a connu un grand succès avec son cybercafé qui a initié les Sénégalais à Internet en est l'exemple. En son temps, le vrombissement des véhicules devant la bâtisse, les allers-retours des habitués du bar et les éclats de rire des clients du restaurant animaient les nuits et jours de la rue deThiong. Aujourd'hui, sa façade attractive, son intérieur convivial et ses heures festives ont laissé place à un vide. Les 600 m2 de terrasse et son rez-de-chaussée ne sont plus que ruine. Un calme lugubre règne à l'intérieur. Le sublime décor qui installait la gaieté dans les locaux a été dévoré par la moisissure et les arbustes qui germent de partout. Metissacana n'existe plus, le bâtiment en rénovation sert désormais de hangar pour marchandises, au grand dam des riverains.
"Salon de thé internet…", des écritures du passé encore présentes. "Salon de thé, internet, 24…", "Soirée animée par Dj… au Metissacana". Ces lettres gravées en bleu sur la façade de la porte ou inscrites sur des affiches sont les vestiges du cyber-complexe, Metissacana. On est au 30, rue de Thiong, près du marché Sandaga, au cœur de Dakar où l'endroit se présentait comme un espace convivial, multidisciplinaire, composé d'un café électronique, d'un restaurant et d'une immense terrasse de 600 m2 qui a accueilli spectacles et moult événements.
Le lieu était festif et attractif. L'endroit est désormais poussiéreux. Premiers plans d'un restaurant particulier à l'état d'abandon. Gravas à l'entrée, murs qui partent en cloques, peinture qui pâlit, la terrasse du Metissacana est en morceaux. L'endroit n'attire plus. Il fait même peur. Les plus prudents ne vont pas s'y aventurer, peut-être les nostalgiques ou les curieux. D'ailleurs, la couleur rouge de la porte d'entrée renvoie au danger, contrairement à la belle époque où elle était décorée en bleu, couleur du calme et de la sérénité, propice à la détente.
En effet, le mythique cybercafé de l'Afrique de l'Ouest, s'était niché dans un bâtiment R+1 de couleur blanche sur laquelle était inscrit, au-dessus de la façade triangulaire de la terrasse, en jaune et bleu, "Bienvenue au Metissacana". Aujourd'hui, le temps a eu raison de ce décor. Les inscriptions ont laissé place aux moisissures qui sont en train de ravager le mur de la terrasse de tout son long. En haut, sur la devanture, le décor est troqué par les fils des branchements électriques clandestins des commerçants et des tailleurs de la "Galerie".
De chaque côté du triangle, les ouvertures qui servaient de fenêtre sont barricadées par des bouts de zinc, où poussaient des arbustes. L'étage s'ouvre vers le ciel. "J'ai enlevé tout ce que j'avais investi là-bas, y compris le plafond de la terrasse", a indiqué Oumou Sy, lors d'une interview accordée au journal Le Quotidien. Une bâtisse en pleine rénovation. On frappe à la porte, une voix d'homme répond.
Mine fatiguée, regard méfiant, Samba demande : "Vous voulez quoi ?", d'une voix peu amène, en se tenant au seuil de la porte. De là, on pouvait avoir un aperçu de la cour intérieure, qui à l'époque, nous dit-on, était peuplée d'arbres tropicaux, de photos de la styliste Oumou Sy, propriétaire des lieux, accrochées un peu partout. Aujourd'hui, elle s'est muée en chantier. On ne peut pas avancer un pas de plus, car ce n'est pas sûr, affirme Samba.
Derrière lui, sont superposées des briques sur le sol. A côté, une masse de sable et des sacs de ciment campent le décor. C'est un bâtiment en rénovation. L'arrière-boutique où était aménagée la salle des ordinateurs est prise d'assaut par des gravats, des pelles, des marteaux, du béton …. C'est ce à quoi ressemble désormais le Metissacana. Au fond du hall, les escaliers qui menaient à l'étage où se produisaient moult évènements, sont restés intacts.
20 ans après l'ouverture de ses portes, le Metissacana est un bâtiment en décombres. La porte se referme sous notre nez. Le mythique endroit disparait petit à petit, en emportant avec lui sa frivolité, son charme, son énergie, ses secrets et sa vivacité d'antan. L'on nous murmure à l'oreille que le bâtiment va désormais abriter un dépôt de marchandises.
Un Pakistanais est désigné comme le nouveau propriétaire. "Il réfectionne le bâtiment pour en faire un lieu de stockage de ses marchandises", confie un de ses employés trouvé dans une boutique située à la rue Valmy. Cela au grand dam des habitants de Thiong qui se disent nostalgiques du Metissacana.
Thiong nostalgique du Metissacana
Les témoins des beaux jours de la boîte, vieux et jeunes, ont bien voulu faire un détour au cœur de leurs souvenirs, pour partager leurs moments de folie dans le cyber-complexe. Sapé dans un grand boubou beige, la soixantaine révolue, Abdou Ndiaye natif de Thiong, fait l'historique de la maison mère de l'internet en Afrique :
"Avant c'était un restaurant marocain, une baraque peu fréquentée". A l'ère du Metissacana, le vieux Lébou était surtout épaté par le défilé des personnalités tels que Abdoulaye Wade ou Youssou Ndour, qui d'après lui, s'y donnaient rendez-vous pour des débats, des conférences... Sur le comportement de leur voisine Oumou Sy, M. Ndiaye se rappelle une bonne personne, qui n'hésitait pas à faire le tour du voisinage pour saluer les gens. A la question de savoir si le Metissacana dérangeait ses voisins, Abdou Ndiaye dira non car "il y a jamais eu de bagarres ni quoi que ce soit ; ceux qui venaient ici, étaient des gens civilisés, corrects, il n'a en aucun cas dérangé le quartier, au contraire, il nous manque".
Cette nostalgie trouve son explication dans les pensées de Awa Ndoye, vendeuse en temps plein depuis plus de 20 ans devant la porte du Metissacana où elle est assise sur une chaise, en train de couper les mangues qu'elle distribue à ses fidèles clients. "Metissacana créait de l'ambiance et il marchait à merveille, aussi bien le cyber, le restaurant que le bar", se souvient-elle.
D'ailleurs, pour elle, le restaurant était une bénédiction car, "comme vous voyez, la vente des fruits ne marche pas bien, contrairement au temps du Metissacana où je vendais tout avant midi pour rentrer chez moi avec beaucoup d'argent en poche", dixit la mémé, à qui les clients de la boîte manquent énormément. Selon elle, la fermeture du Metissacana a eu des conséquences néfastes sur les affaires des occupants du quartier.
A l'en croire, "Oumou Sy a aidé beaucoup de jeunes filles à l'époque et cela grâce aux recettes du cybercafé. Elle a offert des billets d'avion à deux de mes clientes de l'époque. Elles vivent actuellement aux Etats-Unis".
Pour Modou, un amoureux des "maad" de Awa, l'apport du Metissacana était tout autre. Ce tailleur de 40 ans, qui à l'époque n'avait pas de quoi se payer un ticket pour participer aux soirées dansantes qui s'y produisaient, faisait le mur pour se détendre après une dure journée de labeur dans les ateliers de couture, où il était un jeune apprenti.
Le sourire aux lèvres, les yeux braqués vers le passé, il confie que ces "bals poussière" lui manquent. Même son de cloche chez Ndigg, assis sur son scooter garé devant une boutique où sont exposés des tissus : "Je me souviens que l'endroit était très animé, tantôt par des défilés ou des mariages, tantôt par des conférences ou des soirées auxquelles je me faisais le plaisir de prendre part". Il se souvient d'un endroit mouvementé qui n'a jamais été mis à feu par qui que ce soit, comme l'affirme bec et ongles Oumou Sy.