AU COEUR DE LA VIE SAUVAGE
A 65 kilomètres à l’est de Dakar, la réserve de Bandia est l’un des rares parcs animaliers d’Afrique de l’Ouest. L’occasion d’un safari dans l’intimité des plus belles espèces de la savane
Ecrin d’une biodiversité sauvegardée dans une zone menacée par le projet pharaonique d’extension de la capitale sénégalaise, mais aussi par la raréfaction des ressources et la disparition de la faune originelle, la réserve de Bandia est un exemple de réussite écologique qui promet de ravir les voyageurs. Quand on pense à un safari, le Sénégal n’est pas la première destination envisagée. Pourtant, c’est bien au cœur de la région de Thiès, sur la route de Mbour, que des passionnés se sont lancé il y a trente ans le défi de réintroduire des espèces emblématiques du continent. Sur la petite réserve de 3 500 hectares, à l’ombre de baobabs millénaires, cohabitent en harmonie mammifères en voie d’extinction et une multitude de bipèdes ailés. Pour réussir à observer le maximum de spécimens et éviter les fortes chaleurs, il est préférable de se lever tôt et de s’y rendre dès l’ouverture, à 8 heures.
Alors que les dernières lueurs orangées du lever de soleil se dissipent, les premiers visiteurs sont accueillis par des petits singes verts qui déambulent habilement entre les postes d’accueil, leurs petits en bandoulière. Coup de chance, en août, nous sommes en pleine période de mise bas. Bientôt ce sont les silhouettes de familles de phacochères qui se dessinent dans les reliefs de la savane arbustive. Le temps de grimper dans un pick-up avec chauffeur, aménagé en quatre rangées, et de faire la rencontre d’Ahmadou Bah, l’un des meilleurs guides de la réserve, nous voici partis pour trois heures de safari, à la découverte des plus beaux animaux de la savane.
Le tour commence par une visite du village des tortues sénégalaises sulcata, dont l’espérance de vie est de 200 ans. A la nurserie, l’équipe vétérinaire protège les œufs et les nouveau-nés, qui risqueraient d’être convoités par les rapaces du parc. Un peu plus loin, en contrebas, sur les bords de la rivière Somone, les crocodiles femelles veillent elles aussi sur leur progéniture. A proximité du lieu de la nidification récente, sur la terre meuble, les petits crocodiles regroupés en crèche prennent le soleil, immobiles, aux côtés de leurs pairs dont la taille peut atteindre 7 mètres de longueur. Interdiction totale de descendre du véhicule. La vitesse de charge du reptile est telle qu’elle en fait un terrifiant prédateur, même pour le buffle, mammifère le plus dangereux de la réserve, s’il se hasarde au bord du point d’eau pour se désaltérer.
Nous abandonnons ce décor quelque peu hostile, attirés par le chant des tisserins gendarmes qui s’activent quelques mètres plus loin. Chez cette espèce particulièrement présente au Sénégal, la construction du foyer revient aux mâles, qui volent d’arbre en arbre pour trouver les branchages d’acacia nécessaires à l’édification d’un nid solide… que les femelles viendront inspecter une fois la tâche accomplie. Outre ce bipède au plumage jaune vif, on peut aussi admirer le petit calao à bec rouge ou encore le rollier d’Abyssinie à longue queue qui, dans son envol, offre à l’observateur attentif une sublime palette de bleus.
Lors des agrandissements de la réserve, sur le site de la forêt classée de Sindia, les populations ont été déplacées aux alentours, mais l’héritage des pratiques animistes de l’ethnie sérère perdure. La réserve abrite un sanctuaire : des ossements de griots déposés dans le tronc creux d’un baobab. Conteurs traditionnels, messagers, troubadours, mais aussi historiens, les griots retraçaient les origines et la généalogie des peuples. Nomades et sans attache, on leur niait tout rapport avec la terre dans laquelle ils ne pouvaient être enterrés, au risque de la souiller et d’empêcher la venue des pluies. Ainsi leurs ossements étaient déposés dans les cavités de l’arbre emblématique du Sénégal. En 1960, l’interdiction de cette coutume par le président Léopold Sédar Senghor avait provoqué de fortes craintes chez les populations : la grande sécheresse de 1973 fut vécue comme la conséquence de cette réforme.
La sécheresse est toujours la préoccupation première de la région
Quarante-cinq ans plus tard, la sécheresse est toujours la préoccupation première de la région. « Il n’y a plus assez de nourriture pour les animaux et nous devons parfois apporter un complément pour les espèces brouteuses qui s’amaigrissent », explique Ahmadou Bah, qui travaille dans la réserve depuis vingt ans. Le personnel du parc a récemment dû déboiser une partie des terrains pour que les sols puissent se régénérer. Et le charbon de bois bio a ensuite été revendu aux populations alentour. Seules les girafes ne connaissent aucun problème d’alimentation. L’élégant herbivore se délecte de quelque 40 kilos de feuilles d’acacia par jour. Mais le plus gros mangeur reste le rhinocéros. A Bandia, le couple de rhinos blancs est l’attraction principale. Sur les pistes, dès que les 4 x 4 se croisent, les visiteurs s’interpellent pour savoir qui a eu la chance de les apercevoir. Les guides échangent quelques indications et suivent attentivement les traces laissées au sol. Le couple se fait discret et se garde bien de baréter pour faciliter sa découverte. Au bout de deux heures de safari, nous les repérons en pleine digestion, à l’ombre d’un baobab. La présence des deux individus est une exception pour la région où ils ne sont plus qu’une poignée. L’espèce est l’une des plus menacées d’extinction, à cause des propriétés aphrodisiaques que les trafiquants chinois accordent à sa corne en kératine.
Autre exemple de réintroduction réussie par les équipes de la réserve, celle des élands de Derby, la fierté de Chris Dering, fils de l’un des fondateurs de Bandia et technicien gestionnaire de patrimoine animalier du parc. L’espèce ne compte que 300 individus dans le monde, dont 109 à Bandia. « Au parc du Niokolo-Koba, dans le Sénégal oriental, on sait qu’ils sont encore présents, grâce aux traces qu’ils laissent, mais on ne les voit plus », explique Chris Dering. La réserve s’évertue à reproduire la plus noble branche de l’espèce aux cornes torsadées : les petits naissent dans des enclos avant d’être remis en liberté. Pour éviter que le cheptel soit décimé, les hyènes sont enfermées dans des espaces spécifiques. Avec la pression exercée par leur mâchoire, la plus puissante au monde, ces carnivores ne laisseraient aucune chance à leur proie.
Dernière étape de l’expérience, après trois heures de circuit dans la savane soudano-sahélienne : le restaurant de la réserve, très réputé auprès des gourmets dakarois qui n’hésitent pas à s’y rendre uniquement pour savourer un plat d’éland du Cap aux trois poivres. Contrairement à l’éland de Derby, ce dernier prolifère à Bandia, ce qui explique un besoin de limiter le nombre de spécimens, afin de préserver les ressources en nourriture pour les autres espèces.
Au cœur de la forêt de Sindia, la réserve révèle un écosystème attentivement protégé. Une expérience inoubliable pour les amateurs de safari. « Ici on peut voir plein d’animaux et de très près, ce que je n’ai pas pu faire dans d’autres parcs au Kenya », confie Seina, 11 ans, à la fin de la visite, sa quatrième. En effet, les tarifs défient toute concurrence pour cette activité pouvant atteindre plusieurs milliers de dollars dans d’autres parcs du continent. Comptez 12 000 francs CFA (environ 18 euros) par adulte et 7 000 par enfant, plus 6 500 francs CFA pour l’accompagnement d’un guide (obligatoire) ; le forfait véhicule, personnel ou en location, varie entre 10 000 et 60 000 francs CFA. La réserve de Bandia attire déjà près de 50 000 visiteurs annuels et gagnerait à se faire connaître.