IL FAUT ARRÊTER AVEC LE MYTHE DE L'ELDORADO EUROPÉEN
Le plasticien béninois de renom, Romuald Hazoumè, se livre sans filtre sur la montée de l’extrême droite en France, l’immigration, la guerre en Ukraine et la restitution des trésors royaux du Bénin par la France - ENTRETIEN
Du célèbre Moma de New-York aux États-Unis au Queensland Art Gallery de Brisbane en Australie, en passant par le British Museum de Londres ou la Fondation Zinsou au Bénin, les œuvres de Romuald Hazoumè sont exposées partout dans le monde. Ses masques conçus à partir de bidons d’essence racontent à leur manière l’histoire de l’humanité : la traite négrière, l’immigration, les tensions sociales.
Mais si l’artiste plasticien connu pour son franc-parler commente en privé l’actualité politique africaine, il se garde de s’épancher dans la presse hors de son domaine, l’art contemporain. Redoutant que ses prises de position soient incomprises. « Je ne suis pas un donneur de leçons », dit-il. Pour Jeune Afrique, toutefois, il a accepté de faire une exception et de se prêter à cet exercice périlleux.
Jeune Afrique : La présidentielle française a été marquée par une percée de l’extrême droite, chez les Français et binationaux vivant en Afrique. Cela vous surprend-il ?
Romuald Hazoumè : Rien ne m’étonne en ce moment. Mais les Africains doivent prendre conscience que le mieux est de rester chez soi. Nous devons développer nos pays et ne plus penser que la solution se trouve dans l’émigration vers l’Occident. Il faut arrêter avec le mythe de l’eldorado européen. On peut réussir en Afrique.
Le Mali, la Guinée et le Burkina Faso sont désormais dirigés par des juntes militaires. Sont-elles une panacée face à la défaillance des États ?
Le retour des militaires au pouvoir est dommage pour nos pays. Au Bénin, entre 1960 et 1972, nous avons connu une dizaine de coups d’État. Et pour nous amener où ? Nulle part. C’est un éternel recommencement. Aujourd’hui encore, nous assistons à des coups d’État et personne ne tire les leçons des expériences passées. Tant pis pour les Africains.
L’Afrique doit-elle jouer un rôle de médiatrice entre l’Ukraine et la Russie, comme le souhaite le président de l’Union africaine, Macky Sall ?
Vouloir jouer un rôle d’arbitre ou de facilitateur, c’est se mettre le doigt dans l’œil et c’est une mauvaise idée. La priorité pour nous, Africains, c’est d’arriver à développer nos pays, à ne plus être dépendants ni des États-Unis ni de la Russie. Nous en avons les moyens. Nous sommes le continent le plus riche du monde. Mais nous continuons de regarder les autres, et de nous questionner sur le bloc derrière lequel il faudrait se ranger.
Nous pouvons décider d’arrêter de manger du blé et de dépendre des importations : nous avons le maïs, le riz ou nos céréales que nous pouvons produire en quantité suffisante pour répondre à nos besoins. Nous sommes capables d’être autosuffisants sur le plan alimentaire, sur le plan de l’énergie également, comme le prouve le barrage Inga sur le fleuve Congo. Mais nous n’avons jamais pris nos responsabilités. Les Africains doivent travailler à être autonome et à se développer plutôt que de regarder les autres.