LA CARTE MILITAIRE AFRICAINE DES ETATS-UNIS DEVOILEE
Une présence militaire discrète, mais massive des Etats-Unis en Afrique. Même s’ils annoncent une présence mesurée, destinée à être réduite, «The Intercept», un magazine américain d’investigation, démontre que ce n’est qu’une réorganisation stratégique. Deuxième théâtre des opérations américaines après le Moyen-Orient, l’Afrique abrite 34 sites militaires américains avec un intérêt stratégique pour les bases de drones.
On connaissait la « guerre très spéciale» des Etats-Unis en Afrique grâce à la déclassification des documents obtenus par TomDispatch. En plus de la loi sur l'Information, The Intercept, magazine américain d'investigation, a poussé l'enquête plus loin pour dévoiler le maillage militaire américain en Afrique. Qu'est-ce qu'on y apprend ?
Le Niger, nouveau joyau militaire des Etats-Unis en Afrique
D'abord, à l'épreuve des faits, le discours policé des autorités américaines, prêchant une réduction de la présence militaire des États-Unis en Afrique, ne tient pas. Sous la bannière du Commandement des États-Unis pour l'Afrique, paradoxalement basé à Stuttgart en Allemagne, le Pentagone n'a fait qu'opérer un redéploiement stratégique en jouant habilement sur la fermeture d'avant-postes ou de réduction d'effectifs. Ce recentrage ne gêne en rien les mouvements militaires américains.
La présence militaire américaine est massive sur le Continent. Selon l'enquête de The Intercept, sur fond de présence ou de renforcement de la présence de la Chine ou de la Russie, les Etats-Unis détiennent au total 34 sites militaires entre les 14 bases principales et les 20 camps, avant-postes. Mais le Pentagone joue habilement sur le jargon militaire pour lister la présence effective des Etats-Unis.
La plus importante base est sans doute le Camp Lemonnier à Djibouti qui est la «plateforme principale» des opérations américaines, selon le rapport de Peter Teil, conseiller technique au Pentagone cité par nos confrères. Ancienne base de Légion étrangère française, le Camp Lemonnier compte plus de 4 000 hommes destinés à des opérations aussi bien en Afrique qu'au Moyen-Orient. Dans cette «chasse gardée» de la France, les Américains doivent composer avec la présence de l'importante et seule base militaire chinoise à l'étranger, mais aussi à la convoitise d'autres puissances qui se verraient bien mettre pied dans la Corne de l'Afrique.
Pour importante que soit, la base djiboutienne pourrait être supplantée par une autre base à ouvrir au Niger, ce sera la plus grande base au monde, le nouveau joyau militaire américain en Afrique. Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest très stratégique, le commandement américain peut compter sur cinq bases dont deux centres de coopération à la sécurité. La mort de quatre soldats américains en octobre 2017, dans une embuscade à la frontière malienne, a mis au jour la présence militaire des Etats-Unis à Agadez, Ouallam, Arlit ainsi que la base 101 d'opérations spéciales, connectée à l'aéroport international de Diori Hamani.
Une présence organisée autour de trois théâtres d'opérations
Ailleurs sur le Continent, les Américains disposent de sites en Somalie où ils comptent apporter une riposte à la menace des Shebabs avec leur base de drones, mais aussi leur présence à Baidoa, Bosaaso, Mogadiscio, Berbera, Kismayo, Baledogle. Le Kenya voisin accueille quatre bases à Mombasa, sur l'Ile de Manda, à Lakipia ou encore Wajir. La configuration est différente en Afrique du Nord où la présence américaine est en quelque sorte floutée. En Libye, les Etats-Unis sont présents sur trois sites sur lesquels ils ne communiquent pas. En Tunisie, ils ne conservent qu'une base de drones, la base aérienne de Sidi Ahmed.
En Afrique centrale, le Cameroun abrite une base américaine de drones à Garoua et des installations militaires à Douala, Maroua et Salak. Au Tchad, les Américains opèrent depuis une base de corps d'élite et de drones à N'Djamena, mais aussi depuis Faya Largeau. La présence est plus modeste au Gabon où ils ne disposent que d'un escadron pour la coopération militaire qui pourrait devenir un poste de commandement avancé.
Même configuration en Afrique de l'Ouest à Dakar et Bamako, avec respectivement un et deux sites destinés à des redéploiements stratégiques. Le tollé qui a accueilli le projet d'installation d'une base militaire américaine au Ghana a sans doute poussé les Américains à maintenir à Accra une escadre de coopération. Le sud du Continent ne semble pas guère intéresser les Etats-Unis. Leur présence se limite à un site à Gaborone au Botswana, et un autre essentiellement de surveillance à Entebbe en Ouganda.
Carte
«Le plan de présence du Commandement américain est conçu pour sécuriser l'accès stratégique à des emplacements clés sur un continent caractérisé par de grandes distances et une infrastructure limitée. Notre réseau de positions permet aux forces déployées vers l'avant de fournir une flexibilité opérationnelle et une réponse rapide aux crises impliquant du personnel ou des intérêts américains sans créer l'optique voulant que le commandement américain en Afrique militarise l'Afrique», explique Thomas Waldhauser, commandant de l'AFRICOM, dans une audition publique, repris par The Intercept.
Finalement, Adam Moore, professeur adjoint de géographie à l'Université de Californie à Los Angeles et spécialiste de la présence de l'armée américaine en Afrique, résume pour nos confrères. «La distribution des bases suggère que l'armée américaine est organisée autour de trois théâtres antiterroristes en Afrique: la Corne de l'Afrique - la Somalie, Djibouti, Kenya; Libye; et le Sahel - Cameroun, Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso».