LA FORÊT DE MBAO, PATRIMOINE EN PÉRIL
Coincée entre les communes de Mbao et de Keur Massar, la forêt classée de Mbao est l’un des rares poumons de la très polluée capitale dakaroise. Aujourd’hui, elle subit des agressions de part et d’autre qui compromettent sa survie
Avec la frénésie constructive, Dakar est une ville bétonnée : il n’y a quasiment pas d’espaces de jeu dans une capitale fortement polluée. A travers une série de reportages et d’enquêtes, Le Quotidien «ausculte» les poumons verts de Dakar. Et leur état demande une campagne pour la sauvegarde des écosystèmes dans un contexte de changements climatiques. En attendant l’érection du parc forestier de Yoff sur les terres de l’ancien aéroport Léopold Sédar Senghor.
Coincée entre les communes de Mbao et de Keur Massar, la forêt classée de Mbao est l’un des rares poumons de la très polluée capitale dakaroise. Aujourd’hui, elle subit des agressions de part et d’autre qui compromettent sa survie. Parallèlement, les autorités des Eaux et forêts ne manquent pas d’initiatives pour préserver et conserver la biodiversité de son écosystème, surtout dans un contexte de changements climatiques.
Elle est le plus grand et l’un des rares poumons verts de Dakar. La forêt de Mbao, située entre les communes de Mbao et de Keur Massar, est une immense surface de terre et d’arbres inscrite dans le patrimoine de l’Etat depuis 1908 et classée depuis 1940. «La forêt classée de Mbao date de la colonisation. Parce qu’à cette époque, les autorités, les marchandises et d’autres biens et services se déplaçaient à bord de trains. Et ces trains avaient justement besoin d’être alimentés en bois. C’est la raison pour laquelle, les autorités avaient ordonné la plantation d’arbres et la constitution de forêts, tout au long des rails ; et la naissance de la forêt de Mbao entre dans ce cadre», explique Sidiki Diombana Diop, chef des services des Eaux et forêts, secteur de Pikine. Dans une ville très polluée, la forêt de Mbao permet aux visiteurs et habitants des localités environnantes de profiter de cet air pur qui se dégage à travers la zone. Juste à l’entrée du secteur, des jeunes, bénéficiaires du programme Xëyu ndaw ñi, rangent soigneusement des rouleaux de grillage et débarrassent des branches d’arbres. Au même moment, des agents des services des Eaux et forêts palabrent devant la porte du bâtiment administratif du secteur sous l’ombre clément.
Des activités de maraîchage pour préserver la biodiversité
Dans le but de préserver le plus grand poumon vert de Dakar, les autorités forestières ont élaboré, avec l’appui des partenaires, un plan d’aménagement de la forêt classée de Mbao. Des objectifs sont déclinés et consistent tous à parvenir à une meilleure gestion de son écosystème agressé par plusieurs activités.
C’est dans ce sillage que la pratique d’activités agricoles est prévue. Elles consistent à valoriser et aménager des périmètres agricoles dans le but de conserver la biodiversité forestière et de faire profiter aux populations riveraines des bienfaits de cette nature. Ainsi, des groupements de femmes, venant des huit villages limitrophes de la forêt, ont été constitués et autorisés à accéder au domaine classé. Aujourd’hui, elles sont nombreuses, les femmes qui travaillent dans la forêt. «Moi, je pense que la forêt de Mbao est aussi une entreprise. Elle permet à un bon nombre de femmes de s’autonomiser financièrement. Avec les activités maraîchères qu’elles pratiquent aussi, elles participent à reverdir l’espace forestier et préserver la biodiversité. Les femmes participent de manière considérable à la protection de cette forêt.
Si vous leur demandez, la majorité d’entre elles vous diront qu’elles n’ont trouvé qu’un dépotoir d’ordures ici. Ainsi, nous les avons accompagnées du point de vue technique, et ensemble, nous avons aménagé et valorisé des périmètres agricoles qui constituent aujourd’hui les parcelles maraîchères.
Elles participent dans l’entretien de la forêt. Aussi, souvent, nous faisons du reboisement avec ces femmes, et parfois, c’est elles-mêmes qui sollicitent des journées de plantation d’arbres», déclare Lieutenant Fatou Gaye, ingénieure des Eaux et forêts, chargée de l’intensification du Plan d’aménagement. Dans ce document élaboré depuis 2008, il est également prévu la mise en place d’un arborétum dont le but est de représenter toutes les espèces caractéristiques des différentes zones éco-géographiques du Sénégal. Lieutenant Fatou Gaye enchaîne : «Ce fut un grand défi. Parce que chaque zone géographique, au Sénégal, dispose de son propre climat. Il fallait donc faire tout pour que les espaces s’adaptent à leur environnement. L’arborétum, c’est en quelque sorte, le Sénégal en miniature.»
Ces périmètres maraîchers permettent, du point de vue environnemental, «de maintenir la fertilité des sols (l’utilisation de pesticide étant prohibée), renforcer le rôle de la forêt dans le dégagement des gaz à effet de serre, la séquestration du carbone dans une ville très polluée. Mais aussi, contribuer à atténuer les effets des changements climatiques».
Une forêt sous pression
La pépinière implantée dans la clôture voisine du bâtiment des services des Eaux et forêts, avec la joliesse de ses plantes et la pureté de l’air qu’elle dégage, trahit, cependant, la face hideuse de la forêt. Péri-urbaine auparavant, la Forêt de Mbao est devenue aujourd’hui une «brousse urbaine», faisant face à de nombreuses et diverses pressions de part et d’autre. Avec la poussée démographique, Dakar n’a plus suffisamment d’espaces pour loger ses habitants et faire pousser des projets. Evidemment, la forêt de Mbao fait l’objet de plusieurs pressions et aussi de convoitises. Des pressions engendrées par, notamment, les projets de l’Etat, les déclassements effectués, la poussée urbaine et la criminalité qui s’y développe.
Aujourd’hui, les conséquences sont terribles : sa superficie ne cesse de se rétrécir. Avec plus de 800 hectares au début, elle compte à peine 700 désormais.
En effet, en 2008, la construction de l’autoroute à péage, qui devait traverser d’est en ouest la forêt classée de Mbao sur un rayon de plus de trois kilomètres, a grignoté plusieurs hectares d’arbres. Alors que les rails du Ter ont rayé plus de dix hectares. La route qui relie Mbao à Keur Massar a, quant à elle, fendu la forêt en deux, du nord au sud. Pour dire que l’Etat constitue le véritable et principal «raseur» de cette forêt. Toujours selon nos informations, les eaux issues des quartiers inondés de Keur Massar et environs ont été déversées dans la forêt classée de Mbao.
A l’heure actuelle, l’eau ne bouge pas et les arbres disparaîtront aussi longtemps que la stagnation durera. «A côté de cette belle vue que vous voyez dans les médias, il existe dans cette forêt, des endroits où les eaux sont stagnées, menaçant l’existence de plusieurs espèces d’arbres. Les eaux des inondations de cette année sont restées dans cette forêt. D’habitude, l’eau suit son chemin, mais avec la réalisation de certains projets, l’eau ne peut plus bouger et certains arbres vivent sous ces eaux», déplore-t-on dans les services. Aujourd’hui, la forêt de Mbao doit subir une autre agression avec un prochain déclassement prévu pour les besoins d’ériger un cimetière, après celui des Naufragés du Joola.