LA PATRIE D'UN CHERCHEUR, C'EST L'ESPRIT ET PAS LA NATION
À l’Université de Duke (Etats-Unis), où il est professeur depuis juillet dernier, Felwine Sarr développe une approche transdisciplinaire qui nourrit ses recherches mais aussi les prochains Ateliers de la pensée de Dakar, prévus en mars 2022
À l’Université de Duke (Etats-Unis), où il est professeur depuis juillet dernier, Felwine Sarr développe une approche transdisciplinaire qui nourrit ses recherches mais aussi les prochains Ateliers de la pensée de Dakar, prévus en mars 2022. Dans l’intervalle, après son récent recueil La saveur des derniers mètres, place au théâtre à Avignon, puis Bruxelles…
Il y a eu un débat assez vif sur le fait que le professeur Sarr quitte l’Afrique, surtout après avoir écrit un livre comme Afrotopia. « Ça faisait 14 ans que j’enseignais à l’Université Gaston-Berger au Sénégal, 20 doctorants ont soutenu leur thèse avec moi. On a créé une Fac des civilisations des arts et de la culture. À un moment donné, j’avais envie de continuer à apprendre, d’élargir ma géographie intellectuelle et mentale, de sortir de mon champ disciplinaire et d’aller ailleurs », explique Felwine Sarr.
Garder l’esprit en mouvement
« C’est important pour un chercheur de continuer à grandir. Et puis, la patrie d’un chercheur, c’est l’esprit et pas la nation. Ce qui est fondamental, c’est de continuer à contribuer aux humanités africaines et d’aller dans des lieux où je reprends le chantier épistémologique. Si non, tu es comme assigné à résidence : tu parles toujours des mêmes thèmes, on te pose toujours les mêmes questions. On te demande toujours de faire des conférences et des lectures sur l’économie et les œuvres d’art. À un moment donné, il faut aller dans d’autres lieux. Le voyage est intéressant pour cela : il t’ouvre des imaginaires, il te permet de te confronter à d’autres manières de faire, il te donne de la distance critique. Car tu regardes le lieu dont tu viens d’une façon différente. Pour voir, l’œil a besoin de se détacher. C’est important pour se renouveler et ne pas se scléroser, pour rester dans le mouvement de l’esprit. »
Felwine Sarr voulait regarder sa réalité sous un autre angle.
« L’université de Duke m’avait écrit il y a deux trois ans en me disant qu’ils allaient ouvrir une nouvelle chaire dans les Humanités et qu’ils cherchaient un profil pluridisciplinaire. À l’époque, j’étais à Cassis (en résidence d’écriture et de recherche, NdlR), je réfléchissais déjà à cette question. J’avais envie de sortir de la boîte étroite de l’économie et je cherchais un département interdisciplinaire. La proposition est arrivée à point nommé. J’ai déposé ma candidature, on était une cinquantaine à postuler, la sélection s’est faite en plusieurs étapes et j’ai été retenu. Surtout, ils m’offraient des conditions extraordinaires : je peux créer des recherches nouvelles, employer des doctorants et des post-doc. J’ai le loisir d’inventer des cours, d’ouvrir mon cours à des personnes venant de divers départements (African studies, history, etc.) et d’explorer des champs nouveaux. »