LES PERSPECTIVES D'EXPLOITATIONS PÉTROLIÈRES S'ÉLOIGNENT
« Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé »

« Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé »
Le rêve pétrolier et gazier s’éloigne encore un peu plus pour les Sénégalais. Initialement prévue en 2020, l’exploitation des deux principaux projets d’hydrocarbures, le champ pétrolier offshore Sangomar et le gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) partagé avec la Mauritanie – tous deux découverts en 2014 – avait déjà été retardée à trois reprises.
La pandémie due au Covid-19 vient à nouveau de repousser d’un an, à la fin de 2023, le lancement de la production commerciale. Un coup dur pour le pays qui compte sur ces ressources pour dynamiser son économie, créer des emplois et développer les infrastructures.
« L’effondrement des prix du pétrole brut ainsi que le ralentissement des activités du secteur (…) ont amené certains de nos partenaires à évoquer le cas de force majeure qui pourrait impacter les délais de livraison », indique un communiqué de Petrosen datant du 10 avril. La compagnie nationale sénégalaise reste tributaire des majors du pétrole et de leurs sous-traitants pour exploiter les 500 millions de barils de pétrole en réserve.
Ainsi, c’est un consortium de compagnies australiennes et britanniques qui détient près de 90 % des parts du projet Sangomar. Fin avril, l’australien Far, dont la participation s’élève à 15 %, a fini par se retirer du financement.
« Cas de force majeure »
Quant au gisement gazier GTA, le géant pétrolier britannique BP, qui en détient 60 %, a lui aussi brandi un « cas de force majeure » pour retarder d’un an l’installation de sa plate-forme offshore aux larges des côtes sénégalo-mauritaniennes.
Ce énième report inquiète Ndèye Fatou Ndiaye Diop, co-coordonnatrice de la plate-forme citoyenne Aar Linu Bokk (« Préserver nos biens communs », en wolof), mobilisée pour une gestion plus transparente des ressources pétrolières. « Malgré les incertitudes liées à ce projet, le Sénégal avait tout misé sur le pétrole. Il a perdu », estime la militante.
De fait, les conséquences économiques de ces nouveaux délais pourraient être lourdes. « Cette crise est un avertissement pour le Sénégal qui a emprunté une trajectoire d’endettement en se basant sur l’exploitation à venir des hydrocarbures », explique Luc Désiré Omgba, chercheur associé au laboratoire BETA-CNRS et spécialiste en économie de l’énergie. Le pays a d’ailleurs été parmi les premiers, au début de la pandémie, à faire campagne pour réclamer un allègement de la dette du continent africain.
Depuis 2012 et l’arrivée au pouvoir du président Macky Sall, la dette publique du Sénégal est passée de 42,9 % à 67 % du PIB en 2020, selon le Fonds monétaire international (FMI). Cet accroissement s’explique d’abord par les investissements massifs dans des projets d’infrastructures et de développement réalisés dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE), mais pas seulement. « Le pays a augmenté les salaires des fonctionnaires dès 2018. Il a aussi mis en place des subventions en faveur du secteur énergétique, malgré une hausse des cours », précise M. Omgba.
Subir les contrecoups de la récession
Des dépenses engagées immédiatement alors que les retombées du pétrole sur l’économie ne sont pas prévues avant plusieurs années. « Il était illusoire de penser que le Sénégal gagne grand-chose du pétrole avant 2030. Et cela va encore être retardé », insiste Ousmane Sonko, président du parti d’opposition le Pastef.