KARAMBA DIABY, DE MARSASSOUM AU BUNDESTAG
Peu connu dans son Sénégal natale, le premier noir à siéger au Parlement allemand (Bundestag) jouit d’une grande renommée en Europe. Récit d’un engagement au service de la communauté
Karamba Diaby, ce Sénégalais n’est pas très bien connu dans son pays d’origine. Pourtant, il jouit d’une grande renommée en Europe. Il est, en effet, le premier noir à siéger au Parlement allemand (Bundestag). Nous avons récemment rencontré ce natif de Marsassoum, en Casamance, à Dakar, où il a participé à un symposium sur les migrations. Récit d’un engagement au service de la communauté.
Karamba Diaby est un digne fils de la Casamance. A force d’abnégation et d’engagement pour sa communauté, il est parvenu à se faire une place au Bundestag, le Parlement allemand. Elu conseiller municipal de la ville de Halle en 2013, il est reconduit en 2017, suite à des élections législatives très déterminantes en Allemagne qui dispose d’un système parlementaire. Il est parvenu à s’imposer dans une localité estampillée fief néonazi. Son succès est grandissant, des médias européens mettent le projecteur sur sa personne. Mais sur les réseaux sociaux, certains n’hésitent pas à lui coller des clichés dépréciatifs, le taxant même de «singe noir».
Dr Karamba Diaby, qui a subi des agressions verbales, montre une capacité à faire preuve de résilience dans les épreuves. «Il faut dire que l’extrême droite et le populisme ne sont pas spécifiques à l’Est de l’Allemagne, c’est un phénomène général que nous rencontrons en Europe et dans d’autres continents. Même si les partis populistes ont le quart de leur électorat à l’Est de l’Allemagne, je dis toujours que 75% de cette population sont démocrates et ouverts au monde», relativise-t-il, dans un entretien réalisé lors de son séjour à Dakar dans le cadre d’une conférence sur les migrations (le 13 novembre 2019).
Il souligne également qu’il a été une fois victime d’agression physique. C’était en mai 1990. « J’ai été agressée par deux jeunes durant l’unification de l’Allemagne. Cette période était très dure avec un impact sur le taux de chômage. La situation était tendue. Beaucoup d’usines étaient fermées. Mais cela ne s’est pas reproduit depuis lors», fait-il remarquer.
« A tous les racistes : je ne suis pas votre nègre ! »
Et mercredi matin dernier, la violence et l’intolérance sont montées de plusieurs crans lorsque des impacts de balle ont été découverts sur la vitrine de la permanence de Karamba Diaby à Halle. « Une vitrine avec mon portrait présente plusieurs impacts de balle. La police (...) enquête », a écrit le député de 58 ans. La police a confirmé que la vitrine comportait des impacts de balle mais qu'aucun projectile n'avait été retrouvé. La solidarité s’est aussitôt mise en marche. « Tout simplement inconcevable. Répugnant et lâche », a dénoncé le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, sur Twitter. « Nous allons continuer d'être à vos cotés pour une démocratie libre, tolérante et plurielle. Maintenant plus que jamais! », a ajouté le chef de la diplomatie qui appartient lui aussi au Spd. En 2017, avant les élections législatives, il avait lancé ce message sur Facebook: « A tous les racistes : I'm not your negro! » (« Je ne suis pas votre nègre! »). « Les commentaires sont devenus très, très agressifs » sur les réseaux sociaux, avait également affirmé dans un entretien à l'Afp ce docteur en chimie.
Karamba Diaby, le sourire aimable, avec des gestes qui traduisent une politesse et une certaine courtoisie, montre aussi l’image d’un esprit généreux. D’ailleurs, il considère que son parcours est le fruit d’un engagement sans commune mesure pour le bien-être social. Il a toujours porté des combats d’avenir. « Pour être candidat à la députation, il faut se battre à la base et que celle-ci te soutienne de manière démocratique. En 2013, quand je posais ma candidature, il y avait trois candidats, parmi eux, un pédiatre d’origine allemande qui était très confiant. Mais, le Congrès régional de mon parti m’a élu à 68% en vote secret. Pour vous dire que l’origine et la couleur de la peau ne sont pas importantes, mais le niveau d’engagement au sein de la communauté, et l’espoir que les populations placent en vous priment sur tout. En 2017, j’ai été reconduit», partage-t-il.
Le député allemand, dont le visage s’illumine de joie quand il raconte son parcours, indique qu’il s’est toujours armé du courage d’évoluer selon ses aspirations. Son crédo : jouer un rôle que les populations sont en droit d’attendre. L’ancien militant de la gauche sénégalaise, qui est aussi un promotionnaire du Chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, le souligne. «Il faut reconnaître que notre génération regorge d’hommes et de femmes qui ont pu intégrer les sphères décisionnelles. Le Président Macky Sall en est la preuve. Nous avons partagé la classe de Terminale. Nous nous sommes toujours engagés, depuis le lycée, pour le développement de notre société».
«Je dois beaucoup à ma famille et au Sénégal»
Né à Marsassoum (région de Sédhiou, sud du Sénégal), Karamba Diaby, qui a obtenu son baccalauréat en 1982, au lycée Gaston Berger de Kaolack, après des études primaires à Sédhiou, quitte la Faculté des Sciences de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, après l’obtention d’une bourse d’études pour l’Allemagne. Il s’installe dans ce pays en 1985 pour étudier la Chimie. Mais il lui fallait d’abord maîtriser la langue allemande : la condition pour évoluer dans ce pays. Après une formation intensive de 9 mois, il s’inscrit à l’Université d’où il sort, quelques années plus tard, avec un doctorat en Géo-écologie dans le domaine de l’environnement. Sa thèse de doctorat a d’ailleurs porté sur les jardins urbains en Allemagne.
Se remémorant son enfance, il a témoigné sa gratitude à sa grande sœur et son mari qui ont su l’épauler et lui inculquer des valeurs fortes. «J’ai perdu ma mère quand j’avais 3 mois. Mon père est décédé quand j’avais 6 ans. Ma grande sœur, âgée de 17 ans, à l’époque, et son mari ont assuré mon éducation. Je leur suis très reconnaissant, c’est ce soutien familial qui m’a permis de me maintenir sur la bonne trajectoire».
Pour autant, son discours ne varie point. Pour le député allemand, l’engagement pour sa patrie doit être mis en bandoulière par tout citoyen. «C’est bien d’être brillant en classe, mais ce qui est plus important, c’est de s’engager dans sa communauté et de toujours œuvrer pour le développement de son pays, de se doter d’une bonne capacité pour analyser les situations locales et d’agir pour le bien commun», soutient-il. Cette philosophie a facilité son intégration en Allemagne.
L’homme, qui indique qu’il s’est toujours mis au service du bien commun, a été vite nommé président de l’association des étudiants étrangers de l’université de Halles, un an après son arrivée en Allemagne. Il a été le porte-parole des grévistes de l’Université de Dakar. «Je pense qu’il est important, quand on s’installe dans un pays étranger, de le considérer comme le sien et de se donner à fond pour la communauté dans laquelle on évolue, même si l’on pense retourner plus tard dans son pays d’origine. À l’université de Halle, où j’ai fait ma maîtrise, il y avait trois Sénégalais et plus d’une centaine d’étudiants étrangers. Et c’est sur ma modeste personne qu’ils ont porté leur choix», raconte-t-il.
Raffermissement des liens entre le Sénégal et l’Allemagne
Le parlementaire allemand, une personne avenante et pleine d’assurance, qui mène une vie tranquille avec son épouse allemande et leurs deux enfants sur sa terre d’adoption, souligne qu’il reste sensible aux multiples défis que le Sénégal doit surmonter. Il est, d’ailleurs, resté en contact permanent avec les autorités sénégalaises, de même qu’avec les institutions politiques allemandes présentes au Sénégal. «Le gouvernement sénégalais a des relations très particulières avec le gouvernement allemand. Mes collègues parlementaires viennent souvent au Sénégal, je pense qu’il y a des raisons d’être optimiste», avance-t-il.
Pour lui, il est tout aussi important d’encourager les pays européens à prendre en compte les intérêts et réalités des pays africains dans leur accord de partenariat pour éviter des rapports déséquilibrés. Karamba Diaby annonce la visite, en mars 2020, du vice-président du Parlement allemand, pour la première fois au Sénégal. Ce séjour devra consolider les relations entre les deux pays qui sont, du reste, très dynamiques. «Nous allons profiter de cette occasion pour rencontrer nos collègues sénégalais et discuter de plusieurs projets de développement, même si ; nous avons des systèmes politiques différents. Le Parlement a plus de poids que le gouvernement en Allemagne », rappelle-t-il, saluant ainsi les politiques des deux pays orientées vers l’action. «Je continuerai à nourrir des ambitions fortes pour mon pays, le Sénégal. Je dois beaucoup au Sénégal. La société sénégalaise m’a permis d’arriver là où je suis. C’est pourquoi, je reste ouvert à ce qui se passe, même si, l’électorat qui m’a élu est allemand».
Modèle d’intégration réussie
Présenté comme un modèle d’intégration réussie, Karamba Diaby, qui maîtrise aussi bien l’anglais, le français que l’allemand, indique également que la nouvelle loi définie par l’Allemagne sur les migrations, qui entre en vigueur en 2020, dégage de belles perspectives pour les candidats à l’émigration. «L’Allemagne veut ouvrir son marché aux Africains en leur offrant des conditions légales d’émigration. Nous avons voté, cette année, une nouvelle loi qui gère la migration et qui offre des possibilités de travail aux Africains, mais il faut parler allemand et avoir suivi une formation reconnue », explique le parlementaire. Poursuivant, il ajoute que les offres de cours d’allemand seront intensifiées. « Nous allons augmenter les budgets des institutions politiques allemandes comme l’institut Goethe qui donne des cours d’allemand afin que les personnes qui pensent émigrer puissent apprendre l’allemand et que si les diplômes sont reconnus, qu’ils puissent émigrer. Mais il est important de souligner que ce programme n’est pas uniquement destiné aux diplômés, il vise aussi la main d’œuvre qualifiée. En Allemagne, nous avons 1,2 million d’emplois vacants, nous avons besoin d’experts et de main-d’œuvre », informe-t-il.
L’Allemagne, accentue-t-il, à l’image d’autres pays développés, la fuite des cerveaux ? «C’est une critique qui peut s’avérer juste, mais il faut savoir que ces personnes qui quittent ne voient pas de perspectives dans leur pays, sinon elles n’allaient pas partir. On ne quitte pas volontairement son travail, sa famille, sa région, j’ai toujours aimé rester travailler au Sénégal. A la maison, en Allemagne, j’ai toujours mon "soupe kandja" (plat sénégalais à base de gombo et d’huile de palme) ».
S’il n’aime pas parler de situation interne du Sénégal, Karamba Diaby, qui a siégé avec un autre parlementaire allemand d’origine sénégalaise, plaide pour le maintien des acquis démocratiques du pays. « Le Sénégal est un pays stable avec une démocratie citée en exemple. Durant mes nombreux voyages, quand je dis que je suis Sénégalais, des personnes s’enthousiasment, on ne me voit pas simplement en tant que parlementaire allemand, pour vous dire que le Sénégal a préservé son image de marque à l’étranger, il faut redoubler d’efforts pour la garder», se félicite-t-il.
Toutefois, sur les manifestations contre la hausse du prix de l’électricité, le député souhaite que les autorités sénégalaises parviennent à dialoguer avec les partenaires sociaux, les syndicats pour trouver des solutions idoines dans un proche avenir. «Des parents m’ont font part de leur souci, car ne sachant que faire si les prix continuent à grimper», ajoute-t-il.