SIBETH NDIAYE, L'ÉQUILIBRISTE
Elle est née à Dakar, elle franchit parfois les bornes mais, entre provoc et langue de bois, la porte-parole du gouvernement français est un pilier de la macronie
« Salut ! Moi, c’est Sibeth », lance la secrétaire d’Etat en se présentant, ce soir-là, aux animateurs d’une colonie de vacances. Depuis sa nomination au gouvernement, il y a quatre mois, le « vous » avait chassé le « tu », et la poignée de main, protocolaire, remplacé la bise. Mais avec elle, chassez le naturel, il revient au galop : Sibeth Ndiaye retire sans complexe son costume de porte-parole. Ce jeudi 11 juillet, une surprise attend les petites têtes blondes du centre de vacances de Ouagne, dans la Nièvre. Une soixantaine d’enfants profitent d’un séjour sur le thème de la protection de l’environnement. Quelques tentes, vides, forment l’arrière-plan de la veillée. Les bananes au chocolat fondent tranquillement dans le brasero. A la tombée de la nuit, la ministre – ce qu’ils ont traduit par « secrétaire du Premier ministre » ! – se lance même dans un conte. La fiction n’est pourtant pas son domaine. « Mon rôle, c’est de raconter ce que fait le gouvernement », explique-t-elle doctement. Aux grands... comme aux petits.
A l’heure où les ministres prennent leurs congés, le nouveau visage de l’exécutif peut tirer un premier bilan : elle ne passe pas inaperçue ! Elle est même, déjà, devenue une cible. Verrouilleuse en chef, capable de rabrouer les journalistes, ou jeune femme solaire, au rire communicatif et à l’énergie débordante ? Nombre de portraits ont tenté de percer le mystère Ndiaye. « Hier, j’étais l’Elysée. Aujourd’hui, je suis Sibeth », sourit-elle, guère impressionnée par le passage du «off» au «on». En mars dernier, lors de sa nomination, Edouard Philippe a dû désamorcer certaines craintes. « Je suis cash ! » l’a-t-elle prévenu. « Moi aussi », a répondu le Premier ministre, qui lui a alors précisé la mission : « Je veux un porte-parolat bienveillant et rond.» Ndiaye n’a pas trop à se forcer. C’est le fruit d’une éducation. Avec ses trois sœurs, au Plateau, le quartier de Dakar où la famille est installée, elle ne connaît pas la misère. Mais elle se souvient de ces « cousins éloignés », enfants adoptifs, moins chanceux qu’elle et qu’il fallait nourrir. Et puis Fara, son père, est musulman. L’aumône est un pilier de l’islam. Le vendredi, à la sortie du collège Jeanne- d’Arc, où elle étudie, l’adolescente va aider lépreux et pauvres. «Avec des sacs de riz, des pots de tomates et de l’huile », la base du fameux thiep, le plat local. « Chez mes parents, l’humilité a toujours été considérée comme une vertu », confie- t-elle. Ça tombe bien, l’ex-conseillère de l’Elysée répond à la nouvelle exigence d’Emmanuel Macron : après la crise des gilets jaunes, son obsession est de se rapprocher des Français.
Un jour au vert en colonie ; un autre jour à l’ombre des barres HLM de « Clichy Plage », l’opération vacances en Seine- Saint-Denis. Le gouvernement se veut « à l’écoute ». Elle se charge de la mise en scène. Sans chichis. Au réveil, un bol de Nesquik attend la secrétaire d’Etat au réfectoire. Et le midi, c’est poulet-patates (et eau) dans les assiettes. D’ici, homards et grands crus paraissent très loin... Et pourtant, la polémique sur les dîners de François de Rugy la rattrape. D’une manière inattendue. Quelques minutes après le déjeuner, au moment de répondre à la presse, un animateur pose sous les yeux de la secrétaire d’Etat... un gilet jaune dissimulé dans son sac. Il porte cette inscription : « Marre du homard et des crabes au pouvoir ! » Le malaise ne dure pas longtemps. Elle n’hésite pas à hausser le ton : « Si vous ne voulez pas entrer dans la discussion, partez ! » rétorque-t-elle.
C’est aussi ça, le style Ndiaye: le combat. A l’image de son prénom. « Sibeth » évoque les qualités guerrières des reines de Casamance, une région du Sénégal. « Elle a la culture du rapport de force », témoigne un de ses anciens collègues. Un héritage de son apprentissage au sein de l’Unef, le syndicat étudiant, il y a une quinzaine d’années. «Aller se coltiner les mecs de droite dans les facs, ça ne lui faisait pas peur », témoigne Nadjet Boubekeur, une copine de l’époque. « Son terrain de jeu, c’est l’agora », abonde une amie. La piste de danse aussi, où elle n’est « jamais la dernière à s’éclater ». Sous les yeux attendris de Patrice Roques, un autre militant. Une histoire d’amour naît. Depuis, elle dure. L’engagement et le sens de l’organisation de la dirigeante font merveille. Au point qu’elle hérite d’un gentil surnom, « Sibeth pas si bête ». Un jour, elle gagne même un drôle de pari : obtenir le plus d’adhésions. « J’en ai fait 70 en une journée», s’enorgueillit-elle. Résultat, un percing à la langue. Pas question de s’en séparer, même aujourd’hui ! « D’autant que je peux adapter sa couleur avec mes tenues », sourit-elle. Sa capacité à affronter l’adversité a marqué Mathieu Hanotin.
En 2008, ce socialiste passé lui aussi par les rangs de l’Unef tente d’enlever le canton de Saint-Denis aux communistes. « Personne n’y croyait, sauf Sibeth et moi », jure-t-il. Le jeune candidat n’hésite pas à lui confier les clefs de sa campagne. « Elle savait tout faire », explique-t-il. Son peps tapera surtout dans l’œil du patron du 93, Claude Bartolone, une autre école de la dureté et de la loyauté... Ralliement à Emmanuel Macron oblige, certains amis de jeunesse, issus pour la plupart des rangs socialistes, se sont éloignés depuis. « Je ne la comprends pas toujours, soupire l’un d’eux. Où est passée celle qui aidait les sans-papiers étudiants ? » « Quand ce gouvernement dédouble les classes en Zep, il fait reculer les inégalités concrètement », rétorque la ministre. Fâchés ou pas, les amis ne sont pas vraiment surpris de son ascension. « Sibeth a une vision à 360 degrés des choses, décrypte Hanotin. Ce n’est pas une spécialiste. Mais elle a cette capacité à digérer de la donnée pour la traduire en termes politiques.
Emmanuel Macron l’a vite repérée en la recrutant à Bercy. Formée dans – et par – l’« ancien monde », elle est devenue la vitrine du nouveau. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes... La puissance du « symbole Ndiaye » transcende, il est vrai, les époques et les clivages.«Avec Sibeth, Macron envoie un signe de reconnaissance, approuve Boubekeur. La France black, blanc, beur, ce n’est pas seulement l’équipe de France de foot.» Une femme d’à peine 40 ans, pas énarque et noire au porte-parolat : c’est une première. Elle n’en joue pas outre mesure. Si elle a conservé son passeport sénégalais, la secrétaire d’Etat garde en mémoire l’obtention de la nationalité française. La cérémonie a eu lieu en 2016. «Ce jour-là, je me suis dit que j’étais prête à mourir pour mon pays», glisse-t-elle. Pour autant, Ndiaye n’a pas tiré un trait sur lAfrique. Ses trois enfants ? « Djimane, Youmali et Nguissally », dit la mère de famille avec tendresse. Lâchée, sa coiffure afro est devenue un marqueur. Ndiaye casse les codes. « Notre mère, Mireille, déjà ne s’embarrassait pas de conventions », raconte Anta Sow, une de ses trois sœurs. Mireille, magistrate à la forte personnalité, une référence éternelle. Loin du qu’en-dira-t-on, la benjamine Sibeth porte donc un tee-shirt dans la tribune d’honneur du dernier 14 Juillet. Et ses ongles ? Bicolores... « Comme toute la macronie, elle a la culture de la transgression et du bras d’honneur », dit un proche.
Entre franc-parler et dérapage, la limite est ténue. Son SMS «Yes, la meuf est dead », à propos du décès de Simone Veil, est entré au panthéon des boulettes. Même si elle a toujours nié l’avoir écrit en ces termes. Ses récents propos sur la France « qui mange du kebab », par opposition aux « Français qui ne mangent pas du homard tous les jours », ont fait la joie des réseaux sociaux. « Il va falloir te forger une carapace, tu vas t’en prendre plein la figure... », l’avait prévenue sa sœur Anta en mars dernier, volant à son secours quand Nadine Morano fustige « sa tenue de cirque ». « Une honte », lâche Anta. « Kebab », Matignon a quand même tiqué.
Coups d’éclat et improvisations ne font pas toujours bon ménage avec les contraintes du porte-parolat. Fiscalité, retraites, etc.: depuis sa nomination, elle ingurgite des ches. « Par hectogrammes », dit-elle. La langue de bois n’a donc plus de secrets pour celle qui, en juin 2017, à peine installée à l’Elysée, avait reconnu crânement « mentir pour protéger le président » et sa vie privée. Le temps d’un après-midi, Emmanuel Macron voulait passer un peu de bon temps au Touquet. « J’ai fait lambiner la presse, oui », se marre-t-elle encore aujourd’hui. Et le président a pu jouer son match de tennis à l’abri des regards indiscrets, « tranquillou bilou ». Du Sibeth dans le texte...