AU SENEGAL, IL SOUFFLE UN VENT ANTI-DOMINATION FRANCAISE
Le sentiment anti-français est-il une réalité ou une invention des médias internationaux ? Qu’en est-il du Sénégal qui est un partenaire traditionnel de la France et accueille une flopée d’entreprises françaises ?

Le sentiment anti-français est-il une réalité ou une invention des médias internationaux ? Ces derniers mois, on en parle en Afrique de l’Ouest. Les récents propos du président Macron, aux allures de sermon, lors du Sommet de l’Otan, n’ont fait que rajouter de l’huile sur le feu. Qu’en est-il du Sénégal qui est un partenaire traditionnel de la France et accueille une flopée d’entreprises françaises ?
‘’Elle sert à quoi, cette armée française !’’, lance le président du collectif Yèrè Wolo, moteur des manifestations contre la présence des forces françaises au Mali, en marge d’un rassemblement. ‘’Dehors, Barkhane dehors ! Les Forces armées maliennes peuvent sécuriser le Mali", "Le gouvernement français est un frein à notre développement" ou encore "À bas la France, Barkhane doit quitter", peut-on lire sur les pancartes brandies par les manifestants maliens sur la place de l’Indépendance, à Bamako, vendredi 10 janvier. Une énième manifestation pour réclamer le départ des troupes françaises, en raison de la multiplication des attaques terroristes, malgré leur présence sur le territoire depuis 2014.
L’ardeur est la même au Burkina Faso où l’opinion publique pose le débat de la pertinence de l’accord intergouvernemental de défense de décembre 2018 avec l’ancienne puissance coloniale ; surtout que, depuis, l’offensive djihadiste s’accentue. Autant de faits que le président Macron a qualifié de ‘’sentiment anti-français’’.
Au Sénégal, on ne parle point d’attaques terroristes. Mais, de plus en plus de voix haussent le ton pour dénoncer la gourmandise économique de l’ex-colonisateur. Au banc des accusés, sont principalement cités les groupes Auchan, Orange et Total.
Bien loin d’un discours radical et virulent comme chez ses pays voisins, on assiste à un sursaut qui tend à se généraliser et se trouve être plus perceptible sur Internet. Derrière un écran ou au travers d’un smartphone, les citoyens, jeunes pour la plupart, ne se font pas prier pour déverser leur bile sur la République française. ‘’La jeunesse a soif d’un mieux-être. Il ne s’agit pas d’un sentiment de mépris à l’endroit des Français. Je pense que ceux à qui nous en voulons le plus, ce sont nos dirigeants qui courbent l’échine face à la République française. Que ce soit dans le domaine politique comme économique, l’ex-colon a toujours son mot à dire. Pis, ses multinationales poussent comme des champignons, au détriment du commerce local’’, martèle l’étudiant en troisième année de médecine Mansour Faye.
Il est évident que grogne il y a, et Internet aidant, les informations circulent à la minute près. Ces derniers mois, les mouvements Frapp (Front pour la révolution anti-impérialiste populaire et panafricaine) France dégage et Aar Li Nu Bokk se sont le plus illustrés en matière de dénonciation et d’éveil de tout un peuple. A la mi-juillet 2019, le premier, dans un post Facebook, accusait la France de préparer un attentat terroriste contre le Sénégal ; une publication qui a fait l’effet d’une bombe et dont Guy Marius Sagna a fait les frais.
Pourtant, le 22 juillet 2019, le deuxième s’est chargé, lors d’une conférence de presse, d’étayer cette accusation. En proposant à l’opinion un enregistrement audio dans lequel on entend le député de Benno Bokk Yaakaar, Khoureichi Niasse, déclarer, lors d’un meeting en marge de la campagne électorale à Kasnack (Kaolack) : ‘’C’est la France qui nous a colonisés durant plus de deux siècles. Et la France n’a jamais pensé que le Sénégal aurait du pétrole, du gaz et bien d’autres ressources. Bien évidemment, il faut qu’elle vienne réclamer sa part. Quand elle est venue demander une zone pour exploitation, si le président Macky Sall avait refusé de lui concéder cela, la France allait ouvrir les portes du Sénégal aux djihadistes du Mali. Elle aurait aussi réarmé les rebelles casamançais et créé d’autres problèmes dans le pays.’’
Une déclaration visiblement passée sous silence par les autorités sénégalaises, à un moment où le débat sur la transparence dans l’attribution des blocs pétroliers était pourtant chaud brûlant dans les médias et grand-places.
Si, pour beaucoup de Sénégalais, le sentiment anti-français existe depuis belle lurette au Sénégal, certains pensent qu’il faut relativiser. De l’avis du jeune entrepreneur Amadou Wade, ‘’sur les réseaux sociaux, il y a de plus en plus de gens qui prennent tous les maux de notre pays, qui n’ont parfois rien à voir avec, pour dire que la source du problème c’est la France. Je pense qu’il y a un peu de fanatisme dans cette affaire. C’est le cas chez les partisans de ce nouveau parti dit antisystème. C’est comme s’ils sont passés de personnes antisystèmes à des fanatiques et rebelles qui ont modifié une idée politique en idéologie dogmatique telle une bible’’.
Une question détournée de son vrai sens
Quant à la montée en puissance d’un discours de rupture avec toute forme de domination, les avis divergent. Le professeur en géopolitique et relations internationales Lat Soucabé soutient, pour sa part, que le sentiment anti-français est loin d’être généralisé. Il est diffus, voire inexistant. ‘’Je ne le perçois pas. Il n’y a que quelques Sénégalais qui s’indignent sur Facebook ou Twitter. De plus, rien n’a changé dans la relation bilatérale entre la France et le Sénégal. Notre pays déroule sa politique économique et le président Macky Sall est en bonne intelligence avec Macron’’, dit-il. Et s’il ne s’agissait pas, en réalité, d’un sentiment dirigé contre la France ?
Ce contrepied est, en tout cas, le point de vue du leader de Pastef-Les patriotes. Selon le député Ousmane Sonko, il faut plutôt parler d’un sentiment pro-africain. Un désir ardent de la nouvelle génération et même d’anciens de voir un partenariat gagnant-gagnant entre la France et le Sénégal. Il est rejoint dans sa position par bon nombre d’hommes politiques. ‘’De manière globale, les Sénégalais n’éprouvent pas de sentiment anti-étranger, peu importe la nationalité. Cela ne répond pas à la culture sénégalaise qui prône la ‘Teranga’ (le sens de l’hospitalité). Toutefois, il n’y a pas de situation irréversible. Un peuple pacifique peut être amené à devenir violent. Tout dépend des circonstances. Ce fut le cas avec la Mauritanie, en 1989. Ce qu’il y a, c’est que l’impérialiste d’hier, qui a opprimé, est le même qui, aujourd’hui, implante ses tentacules chez nous, qui gagne les plus gros marchés. C’est encore le même qui vient imposer à nos gouvernements des politiques en matière étrangère et de défense’’, explique Madièye Mbodj, responsable du parti Yoonu Askan Wi. Il poursuit : ‘’La jeunesse ne réagit pas sur la base d’un sentiment anti-français, mais plutôt sur la base d’un sentiment anti-domination française, un sentiment anti-oppression de notre peuple. Un sentiment qui dit : nous sommes souverains chez nous. Nous voulons décider nous-mêmes, aux plans politique, militaire et économique ; la santé et l’éducation, un sentiment anti-impérialiste.’’